17 septembre : 24° dimanche ordinaire. L’épineuse et décisive question du pardon

S’il y a parfois des lectures face auxquelles nous avons du mal à voir comment elles peuvent nous concerner, ce n’est pas le cas de celles de ce dimanche ! Je veux surtout parler de la 1° lecture et de l’Evangile. Vous savez sans doute d’ailleurs que, le dimanche, la 1° lecture et l’Evangile, il faut les écouter comme en stéréo car elles se complètent, elles se répondent. La 1° lecture a toujours été choisie pour faire écho au passage d’Evangile que nous lisons et l’Evangile, lui, il est choisi de manière très simple : chaque année, nous lisons de manière quasi-continue l’Evangile de Matthieu, de Marc ou de Luc, cette année, c’est Matthieu et nous en sommes au chapitre 18. Tout ce chapitre parle de la vie communautaire, mais attention, la vie communautaire, elle n’est pas réservée aux sœurs, dès qu’on vit à plusieurs, on mène une vie communautaire, les conseils de Jésus dans ce chapitre de l’Evangile de Matthieu sont donc pour tous, pour les couples, les familles, les prêtres qui vivent à plusieurs, comme nous les chapelains. Mais on peut aussi dire qu’au travail, on forme une communauté de travail et une équipe de foot, de rugby ou d’un autre sport, c’est encore à sa manière, une communauté. 

Or, dès qu’on vit en communauté, dès qu’on vit à plusieurs, immédiatement la question du pardon va se poser. C’est pour cela que je disais qu’on n’avait pas de mal à se sentir concernés par les lectures d’aujourd’hui qui traitent de ce thème du pardon. Eh oui, c’est terrible, en fait, chacun de nous pense que ce sont les autres qui sont terribles ! Oui, les autres, ils ne m’aiment pas comme j’aurais envie d’être aimé, les autres, ils ne font pas toujours ce que je voudrais qu’ils fassent et quand ils le font, ils ne le font pas tout à fait ou pas du tout comme je voudrais qu’ils le fassent. Evidemment, les autres pensent la même chose de moi ! Tout ça va vite générer des conflits. Ceux qui sont bien élevés ne laissent rien paraitre, ils serrent les dents mais n’en pensent pas moins et, un jour, la cocotte-minute finit par exploser dans une grande colère où je lance à la face de l’autre toute la rancune accumulée et là, ça fait de gros dégâts ! 

Oui, il ne peut pas y avoir de vie commune, quelle que soit la forme de cette vie commune sans que la question du pardon ne se pose. Alors écoutons ce que nous dit la Parole de Dieu en ce jour. Pierre qui est vraiment un apôtre très généreux vient vers Jésus et lui demande : si on veut être un bon chrétien, combien de fois faut-il pardonner et comme il est généreux, il propose un chiffre : 7. Je dis qu’il est généreux parce que les rabbis de l’époque qui enseignaient le catéchisme de l’époque disaient qu’on pouvait aller jusqu’à 3 … Pierre propose quasiment le double, c’est généreux ! Petit détail, c’est par jour, pas dans toute sa vie ! Avec cette réponse, Pierre pensait être félicité par Jésus pour sa générosité mais Jésus lui dit, tu es bien en-dessous de la vérité mon pauvre Pierre, ce n’est pas 7 fois qu’il faut pardonner, mais 70 fois 7 fois ! Autrement dit, Jésus lui explique que tant qu’il tiendra une comptabilité des pardons donnés, il ne sera jamais un bon chrétien.

Et, pour le lui faire comprendre, il lui raconte une de ces histoires qu’il aimait tant raconter et qu’on appelle les paraboles. Il lui parle d’un homme qui devait une immense somme d’argent qu’il ne pouvait pas rembourser. Il supplie celui à qui il devait cet argent de prendre patience en promettant qu’il rembourserait tout, mais il lui fallait un délai. C’était un immense mensonge, la somme était tellement colossale qu’il ne pourrait jamais la rembourser. C’est alors que celui qui aurait pu le faire emprisonner lui fait un cadeau somptueux : il efface l’ardoise ! On imagine la joie de l’homme dont la dette est effacée. Il sort tout joyeux et, en chemin, il rencontre, un ami à qui il avait prêté une toute petite somme d’argent. On s’attend à ce qu’il lui dise : n’en parlons plus, on vient de me remettre une dette tellement importante que ta petite dette, je ne veux plus en parler, j’efface, à mon tour, l’ardoise ! Eh bien, pas du tout, c’est même tout le contraire !

On a vraiment du mal à comprendre l’attitude de cet homme. Eh bien, dit Jésus à Pierre, cet homme, c’est toi, à chaque fois que tu refuses de pardonner à quelqu’un qui vient te demander pardon. Toi, Dieu te pardonne tout, tu vas te confesser et à chaque fois, Dieu efface l’ardoise ! Et pour les plus âgés d’entre nous, depuis le temps que nous nous confessons, des ardoises effacées, nous en avons eu un certain nombre … et si Dieu en tenait la comptabilité, nous serions vite effrayés !

Alors, comment pourrions-nous refuser le pardon à quelqu’un qui nous le demande, surtout quand il s’agit de choses qui peuvent être finalement assez futiles ? La leçon est claire, facile à comprendre et elle nous interroge tous à propos des pardons que nous retenons.

Oui, mais tout n’est pas toujours aussi clair que la situation exposée par Jésus. Il y a d’abord ceux qui ne demandent jamais pardon et c’est bien compliqué de pouvoir pardonner à quelqu’un qui ne demande pas pardon ! Et puis, dans sa parabole, avec la somme dérisoire que ne veut pas remettre celui à qui on a remis une énorme dette, Jésus évoque la nécessité de se pardonner au quotidien pour nos médiocrités habituelles qui ne sont jamais d’une gravité exceptionnelle. Mais parfois, nous nous retrouvons face à des offenses terribles, à des actes abominables que nous avons pu subir. Je suis très engagé dans le grand mouvement que l’Eglise, en général, et l’Eglise de France, en particulier a initié pour mettre fin aux scandales des abus sexuels ou des emprises spirituelles commis en son sein. J’ai écouté directement quelques victimes et j’ai lu beaucoup de témoignages. Comment pardonner à celui ou à celle qui a brisé votre vie ? En plus, dans ces situations, les agresseurs pour ne pas dire les prédateurs sont souvent morts, comment pardonner dans ces conditions ? Mais ça ne se limite pas aux abus dans l’Eglise, bien des personnes ont un lourd contentieux avec leur père, leur mère qui les a broyés. Comment faire, quand ils n’ont jamais demandé pardon et que, en plus, ils sont morts ? 

Comme vous pouvez le constater, ces situations ne sont pas simples du tout. Et, si en plus, ceux qui les ont subies, ont l’impression que Jésus les condamne parce qu’ils n’arrivent pas à pardonner ou tout simplement parce que le pardon est impossible en raison de la mort des agresseurs, c’est le drame absolu ! Parvenu à ce point, il me semble important de faire une double mise au point. D’abord, soyons clairs, ce n’est pas la même chose de dire : je veux pas pardonner et dire : je ne peux pas pardonner. Ceux qui disent : je ne veux pas pardonner, en fait, souvent ce qu’ils devraient dire, c’est : je ne peux pas. Oui, ce n’est pas toujours évident, particulièrement dans les situations que j’ai évoquées. Et Dieu comprend nos difficultés et il nous donne le temps nécessaire pour cheminer. Ensuite, souvent, quand les gens disent : je ne peux pas pardonner, ce qu’ils veulent dire, c’est : je ne peux pas oublier. Mais évidemment, quand quelqu’un a brisé notre vie, on ne pourra jamais l’oublier ! Pardonner, c’est dire à l’autre : ce que tu m’as fait, m’a profondément blessé, je ne pourrai jamais oublier, j’en souffrirai toute ma vie mais je veux croire que tu vaux mieux que ce que tu m’as fait, je ne veux pas te réduire au mal que tu m’as fait. C’est déjà énorme de pouvoir dire ça. Mais, là encore, ça demande souvent beaucoup de temps, un long cheminement dans lequel on se fera aider au niveau spirituel et psychologique. 

Reste la question du pardon impossible à donner à ceux qui ne le demandent pas et qui peuvent continuer à nous tourmenter ou à ceux qui sont morts. C’est là que la 1° lecture va apporter un élément essentiel de réflexion. Il faudrait beaucoup de temps pour la commenter et mon homélie a déjà été longue ! Je dis juste qu’en abordant la question de la rancune, ce texte de sagesse entendu en 1° lecture nous met sur une piste très intéressante. Si, pour x raisons, je ne peux pas pardonner, ce qui va être salutaire pour moi, c’est d’essayer de me débarrasser de la rancune. Relisez cette magnifique lecture pleine de si bons conseils ! La rancune nous pourrit la vie. J’ai lu un article dans lequel un psychologue disait : entretenir de la rancune, c’est comme accepter d’être menotté à son agresseur. Celui m’a fait du mal, m’a profondément fait souffrir au moment où il m’a fait ce mal, mais si j’entretiens de la rancune, ça veut dire qu’il reste présent dans mes pensées sans arrêt. Je suis bien menotté à mon agresseur et ça, c’est proprement insupportable !

Il faut vraiment demander la grâce de ne pas entretenir de rancune, de nous débarrasser de toute rancune. Notre cœur, notre psychologie a besoin d’être guérie pour que nous puissions être restaurés, retrouvés la liberté d’aimer, de faire des projets, de conduire nos vies. Ici, en ce sanctuaire où l’histoire nous a appris que Dieu sauve, libère et guérit, demandons, par l’intercession de Notre Dame de Laghet, que le Seigneur vienne nous sauver, nous guérir, nous libérer de toutes nos rancunes et qu’il nous donne de vouloir un jour arriver au pardon. Oui, pardonne-nous, Seigneur, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés !

Laisser un commentaire