18 mars : Jésus serait-il menteur quand il prétend ne pas abolir la loi ?

S’il y avait eu des Scribes et des pharisiens dans la foule de ceux qui écoutaient ce discours sur la montagne, je pense qu’ils auraient réagi en entendant Jésus dire : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » Ils lui auraient peut-être répliqué : « Eh bien, on est heureux de te l’entendre dire parce que ça ne se voit pas dans ton attitude et ça ne s’entend pas dans tes propos que tu ne veux pas abolir la loi ! Tu es toujours en train de ferrailler contre nous qui sommes les défenseurs de la Loi et tu ne cesses de l’enfreindre cette loi que subitement tu encenses ! Si tu ne veux pas l’abolir mais l’accomplir, pourquoi guéris-tu le jour de sabbat ? Pourquoi ne respectes-tu pas les règles élémentaires de la pureté ? Pourquoi fréquentes-tu ceux que la loi déclare infréquentables ? » Et s’ils avaient vraiment voulu être méchants, ils auraient pu terminer en reprenant les propres paroles de Jésus pour lui dire : « Tu es le plus petit dans le Royaume des cieux puisque par ton exemple et par tant de tes paroles tu enseignes à désobéir à la Loi ! »

Alors, comment la comprendre cette parole de Jésus ? Eh bien, je crois qu’il y a deux manières complémentaires de la comprendre.

1° manière de comprendre, c’est d’être attentif au verbe que Jésus utilise pour dire qu’il accomplit la Loi. Le verbe grec a donné un mot français dérivé, peu utilisé, je vous l’accorde, c’est le mot « plérôme » qui évoque une idée de plénitude. Ainsi donc, quand Jésus dit qu’il est venu accomplir la loi, il dit qu’il est venu la porter à son accomplissement, à son achèvement. Et St Paul le dira magnifiquement dans la lettre aux Romains : l’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour. 

On le voit bien dans la suite du sermon sur la montagne avec tous ces passages où Jésus affirme : « il vous a été dit, eh bien, moi, je vous dis … » Dans cette série de paroles, Jésus est bien loin d’abolir la loi, il pousse même le bouchon très loin ! Je ne donne qu’un exemple : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu’un commet un meurtre, il devra passer en jugement. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. Si quelqu’un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal. Si quelqu’un le traite de fou, il sera passible de la géhenne de feu. » Mais vous sentez bien que dans ces paroles, la règle, la mesure, c’est l’amour. Parce que je peux ne pas tuer sans pour autant aimer et il y a tellement de paroles et parfois de silence qui tuent ! 

Jésus a bien raison de dire qu’il n’abolit pas la loi mais la pousse à son achèvement la déploie en lui donnant toute sa plénitude. En parlant ainsi, Jésus nous oblige à sortir du légalisme, cette attitude détestable qui fait qu’on peut être content de soi uniquement en respectant la loi mais sans y mettre une once d’amour. Et c’est bien ce que Jésus reproche habituellement aux scribes et aux pharisiens. Nous pouvons nous rappeler de cette sortie qu’il leur fera un jour : « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous payez la dîme sur la menthe, le fenouil et le cumin, mais vous avez négligé ce qui est le plus important dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. Voilà ce qu’il fallait pratiquer sans négliger le reste. Guides aveugles ! Vous filtrez le moucheron, et vous avalez le chameau ! » Voilà ce que signifie accomplir la Loi, c’est la porter à son achèvement qui est l’amour.

Pour Jésus une loi qui se contenterait de ne pas faire de tort ni à Dieu, ni à son prochain est loin d’être satisfaisante. Ce que Jésus veut, c’est que la loi nous conduise à aimer avec des horizons de plus en plus vastes.

Mais, je pense qu’il y a une 2° manière de comprendre cette parole de Jésus : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » On pourrait entendre que celui qui accomplit la Loi et on pourrait même dire : le seul qui est capable d’accomplir la loi, c’est Jésus. En effet si l’accomplissement parfait de la loi, c’est l’amour, l’amour parfait, alors, il n’y a que Jésus qui peut y parvenir ! Et, puisqu’il nous le demande aussi, il n’y a qu’en lui que nous puissions y parvenir.

C’est pour cela, voyez-vous que je suis souvent en difficulté avec certains qui brandissent sans arrêt la morale de l’Eglise sans proposer en même temps de pouvoir vivre une expérience spirituelle. Comment voulez-vous parler de la morale sexuelle de l’Eglise à des jeunes qui n’ont pas fait d’expérience spirituelle, c’est comme si vous obligiez un cul-de-jatte à gravir le Mont-Blanc ! Si je peux m’appuyer sur la grâce, tout devient possible, je ne dis pas facile, mais possible. Si tu veux accomplir la Loi sans légalisme, en allant jusqu’au bout du chemin d’amour qu’elle te propose, tu n’as pas d’autres solution que de t’appuyer sur Jésus qui est le seul à pouvoir l’accomplir.

Comme j’aime bien le dire, parler de loi, de morale, sans parler en même temps de grâce, c’est transformer le christianisme en religion de la transpiration. Parce que, si nous ne donnons pas les moyens de vivre une expérience spirituelle qui permette d’accueillir la puissance de la grâce et de nous appuyer sur cette puissance, alors nous ne faisons que prêcher une religion des efforts. Et vous, je ne sais pas, mais moi, avec mon profil, je sais que les efforts me font transpirer ! Et vous avouerez que le parfum de la transpiration n’est pas ce qu’il y a de plus attirant. 

Il ne faut donc pas s’étonner que, dans ces conditions, nos églises se vident et que les Eglises évangéliques deviennent plus attirantes parce que, elles, elles parlent de la grâce et elles aident à vivre cette expérience spirituelle fondamentale qui permettra de se livrer à la puissance de la grâce. Pourtant, nous catholiques, au plan théologique, nous ne sommes pas infirmes à côté d’eux. En effet, avec les sacrements, nous pouvons justement communiquer la grâce à ceux qui croient que le Seigneur accepte de se livrer totalement dans ces signes pour déployer en ceux qui es reçoivent toute sa puissance. Oui, mais encore faudrait-il parler des sacrements autrement qu’en termes d’obligations ou de consacrer l’essentiel de ses forces à parler des conditions pour les recevoir !

Il est urgent que nous puissions accompagner, encourager tous ceux qui nous sont confiés à faire cette expérience spirituelle qui comble de la grâce parce que c’est le préalable indispensable pour, ensuite, parler de vie morale. Je crois que c’est exactement ce que voulait dire la 1° lecture qui, elle aussi, parle beaucoup de la loi à travers ces mots « décrets et ordonnances » qui reviennent si souvent. Mais j’ai été frappé par le conseil que donne le Seigneur pour parvenir à les accomplir : « prends garde à toi : garde-toi de jamais oublier ce que tes yeux ont vu ; ne le laisse pas sortir de ton cœur un seul jour. » Le Seigneur ne demande pas de savoir la Loi par cœur pour l’accomplir, il demande de ne jamais oublier ce que les yeux ont vu, ce dont le cœur a été rempli. Et c’est quoi ce que les yeux ont vu et ce dont le cœur a été rempli ? Eh bien, il faut lire les chapitres qui précèdent et qui montrent tout ce que Dieu a fait en faveur de son peuple. Voilà l’expérience spirituelle fondatrice : ne jamais oublier ce que le Seigneur a fait pour nous, ce qu’il nous cesse de faire pour nous. Et c’est en nous appuyant sur la grâce communiquée par cette expérience que nous parviendrons, à notre tour, à accomplir la loi.

Cette publication a un commentaire

  1. Wilhelm Richard

    Vous nous dites qu’il faut s’appuyer sur le Seigneur. En ce temps de confinement, j’oserai ajouter : Tu es mon abri, sans Toi(t), je ne suis rien.
    En étant plus intérieur, nous pourrons alors mieux nous rappeler de tous les bienfaits que le Seigneur a déjà faits pour nous.

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