2 mai : 5° dimanche de Pâques année B N’ayez pas peur, il ne mord pas !

Imaginez la scène, vous vous promenez tranquillement au bord de la Rance et sortant d’un virage, vous voyez arriver un énorme chien qui court vers vous, vous regardez à droite et à gauche, pas d’échappatoire possible et là, au m-loin, vous entendez son maitre qui vous crie : « N’ayez pas peur, il n’est pas méchant ! » Tous les maîtres des gros chiens vous disent la même chose ! N’ayez pas peur, il en a de bonnes ! Quand on voit le molosse, il y a de quoi avoir peur ! Si encore il était muselé, mais rien, ni muselière, ni laisse, et il fonce sur vous ! Je pense que lorsque Paul se promenait en territoire chrétien, comme ça nous était raconté dans la 1° lecture, et qu’il essayait de nouer un contact avec les gens, ceux-ci devaient tous se sentir dans la même situation que je viens d’évoquer. C’est bien ce qui nous était dit dans les premiers versets de cette 1° lecture : « Saul cherchait à se joindre aux disciples, mais tous avaient peur de lui. » On les comprend assez facilement ces braves gens, avec la réputation de pitbull que Paul avait acquise, ils ne pouvaient que se méfier et chercher à garder leurs distances.

Pour que ça s’arrange, il faudra l’intervention de Barnabé, ce chrétien extraordinaire dont je vous ai déjà parlé il y a quelques temps, cet homme dont on a oublié le nom pour ne garder que le merveilleux surnom qui lui avait été donné : le fils d’encouragement. Le texte nous dit : « Alors Barnabé prit Paul avec lui et le présenta aux Apôtres. » Ne nous arrêtons pas à ces paroles car la suite est encore très belle, en effet, Barnabé ne se contentera pas de se promener avec le pitbull en répétant : « N’ayez pas peur, il n’est pas méchant ! » C’est lui qui va parler en son nom, il a perçu qu’au vu de son passé, Paul aurait du mal à être crédible, alors il va prendre en main la défense de Paul, il va raconter comment le Seigneur l’a retourné comme une crêpe, Barnabé fera tout ce qu’il faut pour que Paul puisse être, dans un 1° temps, intégré dans la communauté chrétienne et dans un second temps pour qu’il puisse déployer tous les charismes reçus lors de sa conversion.

Pour dépasser un simple récit anecdotique, il me semble que cet épisode nous interroge et nous interroge particulièrement dans le moment que nous vivons dans la communauté de Tressaint-Dinard. Une bonne partie des membres vient de terminer une retraite, vous vous en êtes sûrement rendu compte en voyant qu’il y avait plus de lumière que d’habitude dans cette chapelle, c’est le rayonnement des auréoles dépoussiérées ! Ceux qui ne sont pas de la communauté pourront faire les transpositions nécessaires pour se laisser rejoindre, eux aussi, car « mutatis mutandis » ce que je vais dire peut s’appliquer à la vie de famille. Comme les apôtres qui avaient enfermé Paul dans sa réputation d’avant, nous avons souvent du mal à regarder ceux qui nous entourent avec un regard renouvelé qui accepte de croire en leur transformation. Or, chaque retraite est un peu comme un nouveau chemin de Damas, le Seigneur rejoint tous ceux qui en ont le désir profond pour les réajuster à la mission qui est la leur. Et si on s’est suffisamment laissé faire, il y a forcément des transformations assez profondes qui vont avoir lieu et c’est là qu’il va y avoir un moment redoutable parce qu’il ne faudrait pas que, dans les jours qui suivent, les autres nous enferment dans ce que nous étions avant la retraite. Alors, prions pour que nous devenions tous des Barnabé qui ne figent jamais les autres dans leur passé, des Barnabé capables de voir les changements et de croire qu’ils seront durables, des Barnabé patients et persévérants dans l’accompagnement fraternel quotidien. Parce qu’on voit bien que Barnabé a dû développer des trésors de patience, de persévérance et de bienveillance pour accompagner Paul au quotidien, St Barnabé intercède pour nous !

Mais il n’y a pas que les autres qui peuvent nous figer dans notre passé, nous pouvons vite, nous aussi, reprendre nos vieux vêtements de misère, nos vieilles habitudes. Je sais que certains avaient changé de chambre pour se rendre plus disponibles dans la retraite, alors si je reviens à l’image du début avec le chien, il ne faudrait pas que le retour à la niche nous replonge trop vite dans la vie d’avant et qu’on se mette à nouveau à montrer les crocs et à grogner dès que quelqu’un s’approche trop près de notre os ! Si le cas devait se présenter, que le Seigneur nous envoie un Barnabé pour nous encourager et poser un regard d’espérance sur nous qui nous aide à nous reprendre ou plutôt à nous laisser reprendre par la miséricorde du Seigneur.

Si nous nous encourageons en devenant de véritables Barnabé les uns pour les autres, pour le dire en d’autres mots si nous faisons plus et mieux que nous supporter, c’est-à-dire, si nous devenons des supporters les uns des autres, alors on pourra dire de la communauté de Tressaint-Dinard ce qu’on disait de la 1° communauté : « La communauté était en paix ; elle se construisait et elle marchait dans la crainte du Seigneur ; réconfortée par l’Esprit Saint, elle se multipliait. »

Venons-en à l’Evangile. J’aimerais retenir deux points de cet Evangile si riche sur lequel on pourrait méditer des heures et des heures. Le premier point concernera cette identification de Jésus avec la vigne et le 2° attirera notre attention sur un détail de la formulation qui peut avoir de grandes répercussions pour nous. 

1° Point, Jésus a donc pris la vigne comme référence. On voit bien qu’il n’était pas breton, il n’a pas dit : je suis le pommier ! Et heureusement qu’il n’a pas dit non plus : je suis le poirier et vous êtes des bonnes poires ! Redevenons sérieux ! Jésus n’a pas choisi la vigne au hasard. On pourrait dire que ce n’est pas étonnant qu’il ait choisi que la vigne car c’est une image tellement présente dans toute la Bible, mais justement, c’est bon de s’interroger en se demandant pourquoi la vigne est choisie si souvent comme élément de comparaison. Je crois que la réponse est simple : la vigne produit le raisin et c’est avec du raisin qu’on fait du vin et, nous le savons, comme le dit la Bible : « le vin réjouit le cœur de l’homme. » Le vin, consommé avec modération, bien sûr, est le signe de la fête, de la joie. Ce n’est pas un hasard si le 1° signe accompli par Jésus à Cana est le changement d’eau en vin, comment cette fête de mariage aurait-elle pu se continuer sans vin ? Jésus est venu pour que nous faire sortir de cette religion de la transpiration qui n’attire personne et qui finit par décourager tous ceux qui n’ont pas une âme de légionnaire, cette religion dans laquelle on ne sait que faire rimer Foi avec Loi en résumant la foi en un catalogue d’obligations et d’interdictions. Jésus, lui, il est venu pour faire rimer foi et joie, c’est ce qu’induit cette image de la vigne. La joie que Jésus nous offre n’est pas une joie béate. Nous savons que le grand mystique oriental Séraphim de Sarov saluait ceux qui venaient le visiter par ces paroles : « Ma joie, Christ est ressuscité. » Sa joie ne dépendait pas de ses états d’âme, mais elle était alimentée par la certitude de foi qui l’habitait en permanence que Jésus est vainqueur de toute mort et qu’il était toujours avec lui.

« Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit » dit Jésus et le fruit que nous devons porter, il s’apparente au raisin duquel sera tiré le vin qui réjouit le cœur de l’homme. C’est-à-dire qu’à l’image de Seraphim de Sarov, nous devrons porter des fruits de joie. Un jour des séminaristes demandaient au Pape de leur donner un bon conseil pour les aider à évangéliser, le pape leur a répondu du tac au tac : « quand vous marchez dans Rome, souriez ! » Les séminaristes à Rome sont souvent habillés en clergyman, on les reconnait donc facilement quand ils se déplacent et ils se déplacent beaucoup pour aller de leur séminaire aux différentes universités. Le pape a eu vent que certains, pour montrer qu’ils étaient appelés à un grand ministère, se croyaient obligés de marcher avec une mine très sérieuse pour ne pas dire tendue et triste. C’est pourquoi le pape leur dit : souriez ! Comment les gens croiront-ils que Jésus est le trésor de votre vie et que c’est pour cela que vous vous apprêtez à lui donner votre vie s’ils vous voient tristes et tendus ? Là encore, comme pour la 1° lecture, nous aurons besoin de nous encourager. Je connais un homme qui, lorsqu’on lui faisait une réflexion, répondait systématiquement : dis-le avec le sourire ! « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit » … et un fruit qui vous réjouisse et qui propage la joie.

Dans le 2° point, je voudrais attirer notre attention sur une formulation qu’utilise Jésus : « Demeurez en moi, comme moi en vous. » Le tournure grecque est plus abrupte : « demeurez en moi et moi en vous. » C’est-à-dire demeurez en moi pour que moi je puisse demeurer en vous. Pour que nous comprenions bien l’enjeu de cette formulation, je vous raconte cette petite histoire qui est arrivée au père Cantalamessa, je l’ai entendue de sa bouche quand il était venu chez nous.

Il a connu un passage à vide dans sa vie spirituelle, ça nous rassure de savoir que, même de très grands hommes comme lui, peuvent connaître des passages à vide ! Alors il a dit au Seigneur : donne-moi plus de ferveur et je te donnerai plus de temps dans la prière ! Et il raconte qu’il a entendu distinctement le Seigneur lui répondre : Ranieiro (c’est son prénom) donne-moi plus de temps et je te donnerai plus de ferveur ! Le Seigneur lui a fait comprendre qu’il ne fallait pas inverser l’ordre. Le premier pas nous revient, la décision est entre nos mains, quand nous ouvrons la porte de notre coeur, il entre et accomplit des merveilles, mais la décision d’ouvrir nous appartient et cette décision doit être suivie de gestes concrets qui montrent que ce ne sont pas que de belles paroles, de vagues désirs, non, c’est une vraie décision et je te le montre, Seigneur ! Eh bien, c’est exactement ce que veut dire Jésus dans les paroles entendues : « demeurez en moi et moi je demeurerai en vous. » Il y a un grand enjeu à prendre cette décison puisque Jésus nous dit : « En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. » Jésus ne dit pas que sans lui on ne sera qu’à 50% de nos capacités, non, il dit que sans lui, nous ne pouvons rien faire, que même le meilleur de ce que nous faisons peut vite se gâter et disparaitre.

Enfin, quand nous aurons pris la décision de demeurer en lui, il viendra demeurer en nous, c’est sûr, mais très vite, il va nous demander une permission importante : est-ce que tu acceptes de laisser travailler mon Père en toi ? Nous en avons tous fait l’expérience : notre « moi » est si encombrant et si vivace qu’il ne cessera jamais de produire de nouvelles pousses. Alors le Père qui est le vigneron va être vigilant pour tailler ces pousses afin qu’elles ne viennent pas pomper inutilement ou clandestinement la sève que nous recevrons de notre union avec Jésus. Et, vous voyez, c’est vraiment formidable, quand on ouvre notre cœur, c’est toute la Trinité qui vient travailler en nous : la sève de l’amour de Jésus nous irrigue, le Père taille et le Saint-Esprit nous donne, personnellement et communautairement, de produire de beaux fruits. Qu’il en soit ainsi !

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