22 mars : mardi 3° semaine de carême. Quand on aime, on ne compte pas !

« Combien de fois dois-je pardonner ? » Cette question de Pierre, on peut l’entendre comme une demande qu’il adresse à Jésus pour ajuster la foi qu’il a héritée de sa famille, de sa tradition, à la nouveauté de la foi enseignée par Jésus. En effet, nous le savons, le judaïsme était une religion extrêmement codifiée dans laquelle tout se comptait. Nous connaissons au moins, parce que l’Evangile des pèlerins d’Emmaüs en parle, la distance qu’il était permis de parcourir lors du sabbat. Mais il y avait beaucoup d’autres codifications, le livre du Lévitique en regorge et c’est encore bien plus manifeste dans les livres de commentaires des rabbis qui ont dû préciser ce qui était permis ou obligatoire dans toutes les situations imaginables. C’est ainsi que, peu à peu, la loi est devenue un carcan auquel Jésus s’est bien souvent affronté. Un carcan, oui, mais qui a quand même un côté extrêmement pratique : on sait clairement ce qui est permis et ce qui est défendu, on sait ce qu’il faut faire pour que notre vie de croyant soit dans les clous. C’est évidemment très contraignant, mais en même temps ça rassure et puis ça permet de ne pas se torturer l’esprit en pensant qu’on n’en a jamais fait assez : si tu appliques ce qu’il faut faire, tu en as assez fait et tu n’as plus besoin de te casser la tête.

Pour illustrer cela, je me rappelle toujours ce groupe de jeunes que j’avais accompagné pendant des années et qui m’avait demandé de leur parler des cinq piliers de la foi chrétienne. J’ai été très étonné de leur demande en leur disant : où vous avez été pêché ça ? Où vous avez entendu parler de 5 piliers dans la foi chrétienne ? Et j’ai compris en discutant avec eux qu’ils étaient en grande interrogation par rapport à la foi. Ce qu’ils avaient vécu dans les rencontres de jeunes les avait beaucoup nourris et maintenant qu’ils entraient dans la vie active, qu’ils fondaient une famille, ils commençaient à trouver la foi un peu trop exigeante. Alors ils me demandaient de leur donner, comme dans l’Islam, 5 repères qui leur permettraient de dire : tant que je respecte ça, je suis encore chrétien ! Bon d’accord, il faudra respecter les 5 piliers, mais je n’aurais pas à me tracasser, quand je l’aurai fait, je ne serai pas obligé d’en faire plus !

C’est un peu le sens de la question de Pierre à Jésus : dis-moi combien de fois, il faut pardonner pour que je suis sûr d’être dans les clous ! Venant de Pierre, ça m’étonne moins que venant de ces jeunes dont j’ai parlé. En effet, Pierre, il avait été élevé dans cette religion codifiée dans laquelle tout se compte, mais les jeunes qui m’avaient posé la question, eux, n’avaient pas été élevés dans cette religion. En tout cas la réponse de Jésus nous interdit de rêver à une religion qui nous tranquilliserait en nous nous donnant le mode d’emploi pour ne pas en faire trop ! Pierre avait senti qu’avec Jésus, la barre serait sûrement bien plus haute que dans le judaïsme dont les maîtres proposaient de pardonner 3 fois, alors, généreusement, il propose 7. Et quand il propose 7, il s’attend sûrement à recevoir les félicitations de Jésus devant cette expression de la grandeur de son cœur. Peut-être aussi qu’il espère secrètement que Jésus lui dise : non, 7, c’est trop, 5, c’est déjà pas mal ! On comprend qu’il ait pu être douché par la réponse de Jésus : 70 fois sept fois ! La multiplication de ce chiffre 7 qui indique la totalité montre clairement qu’il n’est pas question de compter. Et nous connaissons tous l’adage : quand on aime, on ne compte pas !

Et c’est bien vrai, quand on n’aime, on ne compte pas ! On n’imagine pas des amoureux se concerter au début de leur histoire d’amour pour se fixer le nombre de baisers minimum et maximum qu’ils échangeront chaque jour ! On n’imagine pas des parents laisser pleurer leur bébé des heures et des heures et lui disant : on ‘est déjà levé 7 fois, cette nuit, tu as épuisé ton quota, tant pis pour toi ! Quand on aime, on ne compte pas ! C’est ce que Jésus répond à Pierre en l’invitant donc à passer de sa religion quand même un peu trop codifiée à la religion de l’amour qu’il est venu non seulement enseigner, mais inaugurer. Alors tout cela pourrait légitimement nous inquiéter et même tourmenter les plus scrupuleux : j’en aurai donc jamais assez fait ! En fait, je ne pense pas qu’il faille dire les choses comme ça.

En effet, dans le registre des abus, des emprises, certains responsables tordus ont joué sur cette peur pour pousser à l’épuisement et mieux les dominer certaines belles âmes qui voulaient se donner totalement. Répéter sans arrêt qu’on n’en aura jamais assez fait, ça peut donc devenir suspect. Par contre, on peut sans doute dire qu’on n’en aura jamais trop fait ! Et puis, dans sa réponse, Jésus prend bien soin de ne pas répondre de manière culpabilisante et c’est pour cela qu’il a rajouté cette parabole étonnante, étonnante parce qu’elle présente une situation invraisemblable. Un homme devait dix mille talents, c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent. Personne ne peut devoir une telle somme, c’est plus que le budget d’un état à cette époque ! Et si jamais c’était possible qu’un homme doive une telle somme d’argent, ce qui resterait impossible, c’est qu’un autre homme soit assez riche pour passer l’éponge sur une telle dette ? Toutes ces invraisemblances tournent forcément nos regards vers le ciel. Il n’y en a qu’un qui soit suffisamment riche pour remettre de telles dettes, c’est Dieu car, comme le dit l’Ecriture : Dieu est riche en miséricorde. La lettre aux Ephésiens parlera même d’un excès de miséricorde dont le Seigneur nous aime. 

Voilà donc ce qui nous tient dans la confiance, c’est de savoir que Dieu, lui, parce qu’il nous aime, il ne compte pas, ni nos dettes, c’est-à-dire nos péchés, ni son pardon. Nous n’arrivons pas à l’existence avec un permis à point. Le Seigneur ne nous dit pas : tu sais, moi, je suis généreux, tu n’auras donc pas un permis à 12 points mais à 10 000 points ou même 100 000 points ! Non, précisément parce qu’il est amour, le Seigneur ne compte rien. Je vous ai peut-être déjà raconté cette histoire que le cardinal Shönborn nous avait raconté dans une retraite internationale de prêtres à Ars. Je crois me rappeler que c’était l’accompagnateur de sœur Faustine qui avait du mal à croire que ce qu’elle lui disait de ses rencontres avec Jésus était vrai. Il veut avoir une preuve, il dit alors à Sr Faustine : la prochaine fois que tu parleras avec Jésus, tu lui demanderas qu’il te fasse connaître la liste de mes péchés, comme ça je saurai si tu ne mens pas puisque la liste de tous mes péchés n’est pas connue par grand monde ! Jésus vient parler à Sr Faustine et avant la fin de l’entretien, elle prend bien soin de transmettre la demande de ce prêtre. Et Jésus lui répond : tu lui diras que ses péchés, je les ai oubliés ! Quand Sr Faustine a rapporté cette arole, le prêtre a eu la certitude que c’était bien Jésus qui lui parlait, il n’y avait que lui pour dire : ça … tes péchés, je les ai oubliés ! Oui, quand on aime, on ne compte pas, cette vérité, elle n’est pas là pour nous mettre une pression insoutenable, elle est dite pour que nous puissions nous émerveiller de la puissance infinie de la miséricorde du Seigneur. Quand on aime, on ne compte pas, le Seigneur ne comptera donc jamais, ni tes péchés, ni le nombre de pardons qu’il t’a accordés !

Il n’y a qu’une chose qui le chagrine profondément, c’est l’ingratitude. C’est à dire quand, ayant bénéficié de sa miséricorde infinie, nous devenons mesquins en comptant et en retenant les broutilles que les autres peuvent nous avoir fait. Mais là encore faisons bien attention ! Parce qu’en disant cela, je ne voudrais surtout pas culpabiliser ceux qui n’arrivent pas à pardonner, notamment les victimes d’abus. Le pape François n’arrête pas de le redire : pas de miséricorde sans justice. Le pardon ne pourra commencer à s’envisager que lorsque la justice sera passée et quand elle ne peut pas passer ce qui est toujours un drame, il faut au minimum que les victimes puissent entendre une parole qui reconnait le mal qui leur a été infligé. Soignons bien la rédaction de nos intentions de prière quand nous évoquons ces questions pour ne par rajouter par nos mots un mal à ces maux. Pas de miséricorde sans justice. Mais quand on n’est pas dans cette situation extrême, le fait de retenir contre nos frères les broutilles du quotidien alors que nous recourrons quotidiennement à sa miséricorde, ça, ça met le Bon Dieu en pétard ! Merci Seigneur de nous aimer sans compter, ni nos péchés ni tes pardons, rends nos cœurs semblables au tien !

Cet article a 2 commentaires

  1. Adéline

    Merci pour cette très belle homélie !
    Merci pour cette précision de taille concernant le pardon des abus commis. Ce sujet est extrêmement sensible et effectivement, les indélicatesses ou oublis lors de la proclamation de l’homélie consécutive à cet évangile peuvent nous plonger dans une détresse toujours plus grande, avec un sentiment d’incompréhension déplorable.
    Merci : pas de miséricorde sans justice!

  2. Adéline

    Merci pour cette très belle homélie !
    Merci pour cette précision de taille concernant le pardon des abus commis. Ce sujet est extrêmement sensible et effectivement, les indélicatesses ou oublis lors de la proclamation de l’homélie consécutive à cet évangile peuvent nous plonger dans une détresse toujours plus grande, avec un sentiment d’incompréhension déplorable.
    Merci : pas de miséricorde sans justice!

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