23 juin:vendredi 11° semaine temps ordinaire Le cheminement chaotique de Paul … et le nôtre !

23 juin 2023 1 Par Père Roger Hébert

C’est le dernier extrait de la 2° lettre aux Corinthiens que nous entendons, cette lettre qui a accompagné notre méditation tout au long de cette semaine. En effet, demain, nous fêterons la nativité du Baptiste, il y aura donc des lectures propres et c’est presque dommage car nous ne pourrons pas entendre ce passage si essentiel de la 2° lettre aux Corinthiens qui nous raconte cet épisode au cours duquel Paul a demandé d’être libéré de cette écharde dans la chair qui le perturbait. Vous connaissez la réponse que le Seigneur fait à cette demande : ma grâce te suffit, c’est quand tu acceptes de reconnaitre ta faiblesse que je peux donner toute ma mesure en toi ! Aujourd’hui, c’est un autre très beau passage de cette lettre qui a été offert à notre méditation et qui prépare celui que nous ne lirons pas demain. D’ailleurs la lecture à l’office de Laudes, ce matin était dans la même harmonique.

Dans ce passage, Paul fait la liste de tout ce dont il pourrait se vanter, être fier, et cette liste est impressionnante. Elle regroupe à la fois ce qu’est Paul et ce qu’il a fait. Et, bien évidemment, tout ce que Paul dit est vrai, il n’a absolument rien inventé de ce qui aurait pu lui permettre de se faire mousser.

  • Commençons par ce qu’il est. Oui, ce qu’il est, aurait pu devenir un vrai sujet de fierté pour lui, ce qu’il est, aurait pu le rendre orgueilleux. Il développera le même thème dans un passage bien connu  l’épître aux Philippiens : Si quelqu’un d’autre croit avoir des raisons de se confier dans la chair, j’en ai bien davantage : circoncis dès le huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d’Hébreux ; quant à la Loi, un pharisien ; quant au zèle, un persécuteur de l’Eglise ; quant à la justice que peut donner la Loi, un homme irréprochable. Phil 3,4-6 Pour la religion juive, il était vraiment exemplaire à tous ces égards. Le P. Cantalamessa, commentant ce passage, dira : « ces titres n’étaient pas négatifs, il s’agissait au contraire des plus hauts titres de sainteté d’alors. Avec eux, on aurait pu ouvrir sur-le-champ le procès de canonisation de Paul » Mais Paul refusera de tirer orgueil de ce qu’il est. D’ailleurs, dans l’épitre aux Philippiens, il va conclure l’énumération de ce qu’on pourrait appeler ses titres de gloire par cette mention : Mais tous ces avantages que j’avais, je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte. Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des balayures, afin de gagner un seul avantage, le Christ. Phil 3, 7-8. Dans le passage de la 2° lettre aux Corinthiens entendu aujourd’hui, Paul tient à peu près le même raisonnement puisqu’il conclut le passage en utilisant une formule assez paradoxale : S’il faut se vanter, je me vanterai plutôt de ce qui fait ma faiblesse.
  • Mais il n’y a pas seulement ce que Paul était qui aurait pu le rendre orgueilleux. Ce qu’il a fait et même ce qu’il a subi par fidélité au ministère reçu est très impressionnant ! Et c’est cela qui lui permet de dire qu’il est au moins autant ministre du Christ que ceux qui le critiquent et sans doute davantage puisqu’aucun des autres ministres, des autres apôtres n’aura subi ce qu’il a subi ! C’est vrai que la liste était particulièrement impressionnante, vous pourrez la relire, elle peut nous aider à relativiser nos épreuves et nos bobos ! Mais, de même qu’il ne voulait tirer aucun orgueil de ce qu’il était, Paul ne tirera aucun orgueil de ce qu’il a fait, de ce qu’il a subi : S’il faut se vanter, je me vanterai plutôt de ce qui fait ma faiblesse.

Avec cette déclaration, comme je le disais en introduction, la voie est ouverte pour la suite, cette suite que nous ne lirons pas, dans laquelle le Seigneur va parachever la formation de Paul. Car, Paul a beau dire qu’il préfère se vanter plutôt de ce qui fait ma faiblesse, il va quand même demander d’être délivré de cette faiblesse, cette pauvreté qu’il appelle de manière très imagée : son écharde dans la chair. Paul veut se glorifier de sa faiblesse qui l’oblige à compter sur le Seigneur, oui, mais il demande quand même d’être délivré de cette faiblesse !

C’est consolant de voir que le grand St Paul est passé par là où nous passons, nous aussi ! Nous voulons, nous aussi, accueillir nos faiblesses comme une chance qui nous oblige à compter sur le Seigneur. Nous voulons croire que nos faiblesses sont l’ouverture salutaire qui permet à la grâce du Seigneur de pénétrer en nous et d’accomplir son travail. Oui, nous voulons le croire, mais nous ne cessons de demander d’être guéris, personnellement ou communautairement, de ces faiblesses ! Le cheminement chaotique de Paul qui ressemble tellement au nôtre montre bien qu’il n’est pas si simple de sortir de ce rêve de perfection, d’impeccabilité qui nous habite, encore une fois, personnellement ou communautairement. Il n’est pas si simple de croire que le Seigneur pourra donner toute sa mesure dans notre faiblesse pour peu que nous la reconnaissions et que nous la tournions vers le Seigneur. Il n’est pas si simple, selon l’expression de Paul, de se glorifier de nos faiblesses, cela exige un long cheminement.

J’aime bien donner aux retraitants ce texte sur la sainteté du père jésuite Yves Raguin que je ne pourrai pas citer, en entier, dans cette homélie, mais que j’ai mis en entier à la fin de l’homélie sur mon blog ! En voici quelques extraits. Si l’on pouvait encore décrire en une phrase la trajectoire de la croissance spirituelle selon l’Evangile, il faudrait dire qu’elle va toujours de la sainteté désirée (on pourrait rajouter de la perfection espérée, mais c’est moi qui le rajoute !) à la pauvreté offerte. Tout commence en effet avec le désir de la sainteté, c’est ce dynamisme qui nous met en route. Au moment de sa conversion, St Ignace voulait faire ce qu’ont fait St Dominique et St François. La vie se charge ensuite de nous révéler la part de rêve et d’illusions que peut comporter un tel désir. C’est alors que nous courons un risque très grave : parce que nous ne sommes pas celui que nous avons désiré être, nous sommes tentés de nous replier sur nous-mêmes, de nous résigner à n’être que ce que nous sommes. Comme si dans l’aventure de la sainteté nous avions été, à un moment ou à un autre, largués, laissés sur le rivage. Il nous faudrait alors essayer d’être d’honnêtes serviteurs de Dieu, humblement résignés à laisser à d’autres la folie de la croix …  Oui, nous ne serons pas le disciple modèle que nous aurions aimé être, mais nous pouvons être la faiblesse, la fragilité qui rayonne l’amour de Dieu, la pauvreté transfigurée par la puissance de la grâce. Il faut, et il suffit pour cela, que nous n’ayons plus rien d’autre à offrir à Dieu que cette pauvreté même. 

Quant à l’Evangile, j’aimerais juste m’arrêter sur cette formule que Jésus utilise : « La lampe du corps, c’est l’œil. » Il y a d’autres paroles qui pourraient nourrir notre méditation personnelle au cours de cette journée, je pense particulièrement à celle-ci : « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » Mais cette parole n’est pas compliquée à comprendre, c’est pourquoi je préfère m’arrêter sur « La lampe du corps, c’est l’œil. » Pour comprendre ce que Jésus veut dire, le plus simple, c’est sans doute de regarder comment fonctionnaient ses yeux à lui. Très souvent dans les Evangiles, une rencontre, un miracle va être déclenché par un regard : Jésus voit et souvent il nous est dit qu’il est « ému de compassion ». C’est-à-dire que ses yeux sont directement branchés sur son cœur et, comme le cœur dans la Bible, c’est le lieu où se prennent les décisions, Jésus est poussé à agir en raison même de ce qu’il voit.

Et nous, nos yeux sont branchés sur quoi ? Sur notre machine à juger ? Si, dès que nous voyons quelqu’un, c’est un jugement qui monte en nous, ça signifie que nos yeux sont branchés sur notre machine à juger. Et Dieu sait si cette machine à juger peut occuper de la place en nous vis-à-vis de certaines personnes ! Si, dès que nous voyons quelqu’un, ce sont plus souvent des paroles de reproches que des paroles d’encouragement qui sortent de nos lèvres, alors c’est le signe que nos yeux ont un double branchement : un fil sur la machine à juger et un fil sur la langue. Non, c’est sur le cœur et rien que sur le coeur que doivent être branchés les yeux ! Prenons la décision, aujourd’hui de vérifier nos branchements et, avec la grâce de Dieu, de reconnecter ce qui doit l’être. Rappelons-nous que l’enjeu est grand puisque Jésus nous dit : « La lampe du corps, c’est l’œil. Donc, si ton œil est limpide, ton corps tout entier sera dans la lumière ; mais si ton œil est mauvais, ton corps tout entier sera dans les ténèbres. »

LA SAINTETÉ P : Yves Raguin

Si l’on pouvait encore décrire en une phrase la trajectoire de la croissance spirituelle selon l’Evangile, il faudrait dire qu’elle va toujours de la sainteté désirée à la pauvreté offerte.

Tout commence en effet avec le désir de la sainteté : la conversion, le premier appel à la vie religieuse. C’est ce dynamisme qui nous met en route. « Faire ce qu’ont fait St Dominique et St François » : tel fut le premier rêve d’Ignace de Loyola au temps de sa conversion ! La vie se charge ensuite de nous révéler la part de rêve et d’illusions que peut comporter un tel désir. C’est alors que nous courons un risque très grave : parce que nous ne sommes pas celui que nous avons désiré être, nous sommes tentés de nous replier sur nous-mêmes, de nous résigner à n’être que ce que nous sommes. Comme si dans l’aventure de la sainteté nous avions été, à un moment ou à un autre, largués, laissés sur le rivage. Il nous faudrait alors essayer d’être d’honnêtes serviteurs de Dieu, humblement résignés à laisser à d’autres la folie de la croix.

Raisonner ainsi, c’est confondre la perte de nos illusions avec la mort de l’appel. C’est oublier que cette purification douloureuse de nos suffisances et de nos illusions est nécessaire pour que nous puissions entendre de que le P. Voillaume a appelé le second appel, l’appel à la sainteté, non plus désirée dans la recherche de notre perfection, mais vécue dans l’offrande de notre pauvreté. Oui, nous ne sommes pas celui que nous aurions voulu être, la vie nous a révélé nos faiblesses, nos limites ; les circonstances ne nous ont pas permis de développer tel ou tel aspect de notre personnalité ; l’Esprit nous a conduit sur des chemins qui n’étaient pas ceux que nous avions prévus ; le péché nous a fait négliger les sources de la vie et conduits aux fontaines crevassées où nous nous sommes attardés. Que de temps et de grâce avons-nous gaspillés, Dieu seul le sait ! Mais Dieu nous reste fidèle, et pour nous sanctifier il n’a besoin que de notre humble disponibilité à l’accueillir.

Nous ne serons pas le disciple modèle que nous aurions aimé être, mais nous pouvons être la faiblesse, la fragilité qui rayonne l’amour de Dieu, la pauvreté transfigurée par la puissance de la grâce. Il faut, et il suffit pour cela, que nous n’ayons plus rien d’autre à offrir à Dieu que cette pauvreté même. Et c’est bien là, les mystiques en témoignent après Jésus, le terme de toute croissance spirituelle : « En tes mains je remets mon esprit. »  (Luc 23, 46.).