Hier, nous avons eu le début très lointain de l’histoire de Samuel. Nous avions vu la détresse de cette femme, Anne qui ne pouvait avoir d’enfants. Elle était bien la préférée de son mari qui avait deux épouses, mais elle n’avait pas d’enfants et c’était un drame pour elle, d’autant plus que sa rivale ne ratait jamais une occasion de l’humilier … un bon texte pour justifier la monogamie s’il en était besoin ! A partir du texte d’aujourd’hui, il y a un point que je voudrais souligner
J’aime beaucoup ce détail qui nous est donné sur la prière d’Anne, le texte disait : « Anne parlait dans son cœur, seules ses lèvres remuaient, et l’on n’entendait pas sa voix. » C’est-à-dire qu’elle prie avec tellement d’ardeur qu’elle ne peut contenir sa prière, elle fait un effort pour que les mots ne s’entendent pas, mais les lèvres remuent tellement la prière est ardente. Il est bien possible que le prêtre Eli qui demeurait dans le sanctuaire priait avec beaucoup moins de ferveur, il est même possible qu’il piquait régulièrement du nez durant sa prière ! Eh bien, sans admirer cette femme qui restait des heures éveillées en prière, sans s’inquiéter de ce qu’elle était en train de vivre qui devait sûrement être terrible puisqu’elle était comme scotchée dans ce sanctuaire, le prêtre Eli porte un jugement sur elle : cette femme est ivre et il veut la renvoyer sans ménagement. Que de jugements téméraires, il peut nous arriver de poser nous aussi sur des personnes ! Nous le faisons régulièrement sans rien chercher à connaître de leur histoire.
Pour vous faire sourire, je me rappelle très bien au Congrès Eucharistique de Lourdes en 1981, je n’étais que séminariste mais j’avais été nommé in extremis responsable de la délégation de notre diocèse car le prêtre prévu avait fait défection. J’étais jeune, je ne connaissais pas le Renouveau de l’intérieur et je suis allé avec un groupe de jeunes à un enseignement annoncé sur l’icône de la Trinité, enseignement donné par Daniel Ange dont je n’avais jamais entendu parler, je savais juste qu’il serait ordonné prêtre à la messe de clôture du Congrès. Je me suis dit que ce gars qui allait être ordonné et qui donnait un enseignement, il était bon de le soutenir, donc j’y suis allé avec un groupe. Il y avait un temps de louange avant, avec un type au milieu qui s’agitait en levant les mains, en dansant. Les jeunes me demandent qui est cet excité, je leur explique que dans ces communautés, on accueille volontiers des personnes handicapées mentales et qu’on leur donne toujours une bonne place. Quand l’enseignement commence, à ma stupeur, c’est celui que j’avais qualifié de personne handicapée mentale qui prend le micro … c’était Daniel Ange ! Que de jugements apriori qui nous empêchent d’entrer dans une relation vraie avec tant de personnes ! Poison du jugement a-priori !
Quant à l’Évangile, vous avez entendu par deux fois le mot autorité pour qualifier l’enseignement de Jésus. Je cite : « On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité. » « Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà, un enseignement nouveau, donné avec autorité ! » Mais qu’est-ce qui donne cette autorité à l’enseignement de Jésus ? Et qu’est-ce que l’autorité ?
L’autorité, c’est la capacité de faire grandir les autres. C’est ce que suggère l’étymologie de ce mot qui vient du latin « augere » qui a donné augmenter, faire grandir. Tous ceux qui reçoivent une autorité, dans une famille, dans une école, dans la société, dans l’Eglise reçoivent, en fait, cette mission pour faire grandir ceux qui leur sont confiés. On entend encore bien cette définition dans l’utilisation de l’expression « élever ses enfants. » Il faut visualiser ce qu’il y a derrière ce verbe « élever » il s’agit bien de faire grandir.
Dans cette messe nous pourrions donc prier pour tous ceux qui ont reçu une autorité que ce soit dans la société ou dans l’Eglise à quelque niveau que ce soit afin qu’ils restent conscients de l’enjeu de cette mission. Les révélations d’abus et d’emprise spirituelle qui se sont multipliés ces derniers temps sont là pour nous montrer les ravages causés par une autorité qui n’est pas au service de la croissance des personnes. Et nous pouvons tous nous interroger car chacun de nous possède un peu d’autorité dans le domaine des responsabilités qui lui ont été confiées. Et quand on n’a plus de responsabilité, on peut encore avoir une forme d’autorité naturelle qui en impose. On peut aussi avoir plus de santé que d’autres et du coup s’imposer à eux. Il y a encore ces conseils que certains membres de nos familles ou de nos amis viennent prendre auprès de nous parce que nous sommes consacrés, cela nous donne également de l’autorité. Mettons sous le regard du Seigneur cette part d’autorité qui nous est confiée et demandons au Saint-Esprit de nous faire voir ce qui n’est pas ajusté dans notre manière de l’exercer.
Il est clair que Jésus, lui, il a su exercer cette autorité que le Père lui avait confiée sans jamais écraser, il a toujours cherché à faire grandir ses apôtres et tous ceux qu’il rencontrait. Et c’est intéressant de voir que, à propos de cette autorité, l’évangile que nous avons entendu, explique que Jésus n’enseignait pas comme les scribbes. Et l’Evangile de conclure que c’était précisément ce qui lui donnait une véritable autorité. On le sait, dans le judaïsme de l’époque, ce qui donnait autorité à un enseignement, c’est le fait qu’il était appuyé sur la Tradition. C’est-à-dire qu’il fallait prouver que le grand maître rabbi Untel le disait déjà et qu’il le tenait lui-même de rabbi Untel. Il fallait donc pouvoir mettre sous le patronage des rabbis les plus prestigieux ce que l’on disait et c’est ainsi que sa propre parole pouvait avoir de l’autorité. C’est ce que faisaient les scribbes.
Jésus, lui, il n’a jamais cité tel ou tel rabbi et pourtant, ses auditeurs sont admiratifs devant l’autorité de sa Parole. Cela signifie clairement qu’ils avaient compris que la force de cette Parole ne puisait pas sa source dans la répétition de la tradition, elle venait directement de Dieu. De fait, on sent bien quand une parole est vraie, quand elle vient du cœur, ce lieu intime dans lequel Dieu se sent si bien. A l’inverse, on sent aussi très bien quand quelqu’un ne fait que répéter ce qu’il a entendu et qu’il le répète avec plus ou moins de convictions, plus ou moins de bonheur.
Il y a encore un autre élément qui donne de l’autorité à la Parole de Jésus, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui le côté performatif de sa Parole, c’est-à-dire qu’elle fait ce qu’elle dit. Jésus est venu pour apporter la libération annoncée par Dieu, il ne se contente pas de le dire, il agit en conséquence comme nous le montre cet évangile. L’autorité, elle vient donc aussi de la cohérence entre nos paroles et les actes que nous posons. Au procès de canonisation du curé d’Ars un de ses paroissiens dira : « notre curé, il faisait ce qu’il disait ! » Voilà ce qui donne autorité à une parole. Eh bien, demandons, pour nous et pour tous ceux qui exercent une autorité, cette capacité à dire des paroles qui sortent vraiment du cœur et qu’elles soient marquées de ce label de vérité : nous faisons ce que nous disons. C’est ainsi que nous pourrons faire grandir tous ceux que sont confiés à notre autorité dans l’exercice de nos responsabilités qu’elles soient petites ou grandes.
Amen….