24/25 décembre : nuit de Noël. Le choc de la confrontation entre l’épigraphe de Priène et l’Evangile de la nativité !

Avez-vous déjà entendu parler de l’épigraphe de Priène ? Si vous n’en avez jamais entendu parler, rassurez-vous, c’était aussi mon cas jusqu’à ce que je relise, hier, la partie du livre de Benoit XVI-Ratzinger concernant la nativité ! Une précision de vocabulaire d’abord ! Une épigraphe, c’est une inscription qu’on retrouve gravée sur des bâtiments et la découverte d’une telle inscription sur des vestiges fait toujours la joie des archéologues. A Priène qui est en Turquie aujourd’hui, mais qui était en Grèce dans l’antiquité, on a découvert une épigraphe dont le contenu est assez étonnant, je vous lis le texte : « Sa naissance a conféré au monde entier un aspect différent. Le monde aurait été mené à la ruine si, en celui qui venait de naître, ne s’était pas manifesté un bonheur commun […] La providence qui dispose divinement de notre vie a comblé cet homme de tant de dons pour le salut des hommes qu’elle l’a envoyée comme sauveur pour nous et les générations futures […] A compter de sa naissance doit commencer un nouveau calcul du temps. »

Alors, évidemment, nous les chrétiens, nous commençons à frétiller de joie quand nous lisons le contenu de cette épigraphe et nous cherchons à en savoir un peu plus parce que cette inscription devient comme une preuve de la vérité historique du christianisme. On aurait vite envie de s’en servir pour dire à nos détracteurs : vous voyez, Jésus est bien venu parmi les hommes, on en retrouve l’attestation dès l’Antiquité. Oui, mais le seul problème, c’est que cette épigraphe ne concerne pas Jésus ! Celui dont il est question, c’est Auguste, l’empereur Auguste, celui qui était justement mentionné au début de la lecture de l’Evangile : En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre. Cet empereur Auguste, il aura laissé une vraie trace dans l’histoire imposant notamment la fameuse « Pax Romana », cette longue période de paix que connaîtra l’empire romain. Mais on sait quand même que cette paix n’a été possible que grâce aux lois très répressives imposées dans les territoires conquis. Le maintien de cette paix nécessitait donc la présence de beaucoup de soldats qui coûtaient cher, d’où la nécessiter de lever sans cesse de nouveaux impôts pour les payer. Le recensement, pour l’empereur, était le moyen le plus sûr d’établir un nouveau budget prévisionnel en voyant précisément ce que pourrait rapporter un nouvel impôt en fonction du nombre précis de ceux qui allaient pouvoir le payer. Vous l’aurez compris, c’était donc pour maintenir cette « Pax Romana » qu’Auguste devait faire ce recensement. 

Alors, cet empereur Auguste, va se présenter comme un concurrent extrêmement sérieux face à Jésus, revendiquant pour lui les prérogatives que les chrétiens prendront l’habitude d’attribuer à Jésus. Ce concurrent était d’autant plus sérieux que c’est le Sénat romain qui avait décidé de faire ajouter à son nom, qui était Caïus Octavius, celui d’Auguste. C’est d’ailleurs le seul nom qu’on retiendra parce que ce nom signifie « l’Adorable » c’est-à-dire, celui qui mérite d’être adoré parce qu’il est quasi-dieu, un dieu fait homme finalement ! Et c’est pour cela que l’épigraphe proposait qu’à compter de sa naissance devrait commencer un nouveau calcul du temps. 

Il n’est pas impossible, il est même très vraisemblable que Luc, écrivant son Evangile, connaissait tous ces éléments et, pourquoi pas, même le contenu de l’épigraphe de Priène. En effet, nous le savons, Luc était un homme cultivé qui dit, lui-même, au début de son Evangile qu’il veut faire œuvre d’historien. Du coup, on pourrait lire cet Evangile de la nativité, un peu comme la réponse à cette épigraphe de Priène. Pour être plus concret, la confrontation de l’Evangile de la nativité à l’épigraphe ressemblerait un peu à la présentation qui est faite de chacun des deux concurrents avant un combat de boxe. Chaque concurrent monte sur le ring et le speaker annonce ses extraordinaires performances comme pour déstabiliser, pour faire douter son adversaire. Avec l’épigraphe de Priène, nous avons eu la présentation élogieuse de l’empereur Auguste, avec l’Evangile de la nativité, nous avons la présentation de Jésus.

A l’écoute de ces deux présentations, manifestement, on le sent bien, le combat est terriblement déséquilibré, c’est le remake de David contre Goliath ! En effet, l’Evangile prend comme un malin plaisir à souligner les éléments qui prouvent ce déséquilibre. J’en cite quelques-uns. C’est d’abord la naissance à Bethléem, ce village perdu, Jérusalem ne pouvait déjà pas concurrencer Rome, mais Bethléem, c’est encore pire ! 

En plus cette naissance a lieu là-bas, à Bethléem, à cause de la décision de l’empereur d’organiser ce recensement, précision qui montre bien que c’est l’empereur qui semble maître de l’histoire. Ensuite, il y a les conditions invraisemblables de cette naissance. Il n’y a personne pour manifester l’importance de cette naissance, Marie, Joseph et l’enfant sont seuls. Et, s’ils sont seuls, ce n’est pas parce qu’ils auraient été refusés de partout comme le laisse entendre la légende. Non, ça c’est impossible ! Dans un pays qui pratique l’hospitalité, comme l’une des plus grandes vertus, c’est impensable. D’ailleurs le texte grec qui a été traduit par « car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune » pourrait être traduit plus littéralement par « car ce n’était pas leur place dans la salle commune » J’avais expliqué cela en détail dans la dernière journée pour Dieu. C’est vrai qu’avec le recensement, il y avait du monde partout, mais c’est absolument sûr qu’on leur avait fait une place dans la salle commune… oui, mais ce n’était pas la bonne place pour accoucher ! Vous imaginez une femme accoucher en plein hall de gare ? Quand même, un accouchement requiert un minimum d’intimité ! Alors, on leur a trouvé le seul lieu accessible qui permettait l’intimité nécessaire, la pièce attenante à la maison où se trouvaient les bêtes. En tout cas le résultat est là, ils sont seuls et dans un lieu pas très adapté à une naissance, qui plus est, la naissance de celui qui est présenté comme le roi du monde.

Et, comme si tout cela ne suffisait pas, il y a la mention des bergers. La fanfare céleste des anges a fait ce qu’elle a pu pour annoncer la nouvelle, mais il n’y a eu que des bergers qui ont été capables de décrypter le message et comprendre qu’il était en train de se passer quelque chose d’inouï. Les bergers, c’était le plus petit échelon sur l’échelle social. Comment penser que, si c’était vraiment le roi du monde qui venait de naître, tout se passe aussi mal ? Manifestement, il y a un déséquilibre impressionnant entre les deux concurrents : celui que présente l’épigraphe de Priène et celui que présente l’Evangile de Luc. Il n’est donc pas exagéré de dire que ça semble être un remake du combat entre le petit David et le géant Goliath. Oui, la comparaison est exacte et ça finira de la même manière : le petit va encore l’emporter sur le géant !

Car l’un des vœux formulés sur l’épigraphe de Priène va bien se réaliser mais pas pour celui qui l’espérait ! A compter de sa naissance, un nouveau calcul du temps va bien commencer, mais c’est à compter de la naissance de Jésus, l’enfant faible et fragile de la crèche de Bethléem, qu’on va se mettre à compter les années. Ce qui obligera les historiens, et même les pires anticléricaux parmi eux, à dire « avant Jésus-Christ » ou « après Jésus-Christ » quand ils énoncent une date ! La « Pax Romana » malgré tous les nouveaux impôts prélevés, suite à de nouveaux recensements, n’a pu être maintenue et l’empire romain a fini par s’effondrer. Pendant ce temps l’Evangile a continué sa course et il ne s’est jamais aussi bien porté que lorsqu’il a renoncé à concurrencer les puissants, à utiliser les moyens que les puissants aiment utiliser pour s’imposer. Ce matin, je recevais une carte de Noël sur mon smartphone avec cette belle mention : l’amour est né petit ! Comme c’est beau et comme c’est vrai, l’amour est né petit et c’est sans doute le secret de sa fécondité. L’amour est né petit et il continue de toucher les cœurs dans la mesure où il accepte de rester petit.

Comment ne pas lire une nouvelle fois dans cette fête de Noël une invitation à ne pas rêver trop grand pour l’Eglise et donc pour nos communautés ? Les événements douloureux que nous vivons, en Eglise, depuis un certain temps, nous obligent à quitter ces rêves de grandeur. Evidemment, ce n’est pas Dieu qui a voulu ces scandales qui ont anéanti tant de petits, mais à travers ces événements, il ne peut que nous dire : j’espère que vous retiendrez la leçon ! C’est vrai, à chaque fois que l’Eglise s’est réjoui de sa puissance, s’est appuyé sur sa puissance pour imposer la vérité, ça n’a pas donné que de bons résultats ! L’histoire en témoigne et nous ne pouvons oublier certaines heures bien sombres comme l’Inquisition, les croisades. Dans les épreuves que nous vivons, nous sommes reconduits à la crèche de Bethléem, ce moment où l’amour est né petit. Dieu ne nous a pas donné mission de le faire grandir mais d’en prendre soin puisqu’il devait rester tout petit. La suite de la vie de Jésus attestera de son choix de rester petit, de vivre avec les petits, de finir sa vie terrestre comme un petit. L’amour est né petit pour que nous en prenions soin, c’est la grande mission que Dieu confie aux hommes de bonne volonté en cette nuit de Noël. Et la meilleure manière d’en prendre soin, c’est de le partager !

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