24 août Saint Barthélémy … sous quel figuier l’a-t-il vu ?

Vous connaissez sans doute l’arroseur arrosé, ce tout premier petit film tourné par Louis Lumière. Il met en scène un jardinier qui arrose son jardin, arrive un enfant qui marche sur le tuyau coupant ainsi l’arrivée d’eau. Le jardinier regarde le tuyau pour voir ce qui se passe, c’est à ce moment que l’enfant qui s’est caché enlève son pied du tuyau libérant à nouveau la pression et c’est ainsi que notre arroseur se retrouve arrosé !

On peut dire que c’est le scénario rend compte de pas mal de récits de rencontres avec Jésus dans les évangiles. Mais dans l’Evangile, il ne s’agit pas d’arroseur arrosé, mais de voyeur qui est vu ! Souvenez-vous, Zachée qui monte dans un arbre pour voir Jésus tout en restant caché, arrivant vers le sycomore, il est dit que Jésus leva les yeux et lui dit : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » Le voyeur est vu ! 

C’est encore le cas dans ce texte qui nous rapporte la vocation de Nathanaël-Barthélémy que nous fêtons aujourd’hui. Puisque Nathanaël doute de l’affirmation de Philippe qui lui dit : « Celui dont il est écrit dans la loi de Moïse et chez les Prophètes, nous l’avons trouvé : c’est Jésus fils de Joseph, de Nazareth. » Philippe, au lieu de se lancer dans un grand discours pour le convaincre lui dit : « Viens, et vois. » Nathanaël va donc chercher à voir Jésus, juste par curiosité. Mais voilà, l’arroseur est arrosé, c’est le voyeur qui est vu ! Et quand Nathanaël sent le regard de Jésus se poser sur lui, il y a déjà quelque chose qui est en train de changer en lui. En plus, les paroles que dira Jésus vont finir de le bouleverser. Puissance du regard de Jésus que l’on chantait il y a quelques dizaines d’années avec les paroles de ce très beau chant : Oh, ce regard, je ne l’oublierai jamais ! C’est ce que pouvaient dire tous ceux qui avaient senti le regard de Jésus se poser sur eux.

Saint Augustin s’étonne dans une homélie que le bon larron, pourtant brigand, ait mieux compris la Bible que les docteurs de la loi et ait reconnu si rapidement le Sauveur à travers la figure de Jésus. Le St Evêque fait comme s’il interviewait le bon larron pour lui demander comment ça a été possible et il met sur la bouche du bon larron cette réponse magnifique : « Non, je n’avais pas étudié les Écritures, mais Jésus m’a regardé sur la croix et, dans son regard, j’ai tout compris ! »

Mais qu’avait-il donc de si particulier ce regard ? Jésus savait voir ses contemporains tels qu’ils étaient et, tels qu’ils étaient, il savait les aimer d’un seul regard. Jamais il ne disait : commence par te convertir et je t’aimerai ! Nathanaël qui vient le voir n’avait pas super-bien parlé de Jésus juste avant : « De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? » Quand Jésus le voit, aucun reproche, mieux, c’est un compliment très rare qu’il prononce : « Voici vraiment un Israélite : il n’y a pas de ruse en lui. » Jésus sait regarder chacun, même ceux qui le critiquent, même ceux qui n’ont pas une vie exemplaire, il sait les regarder comme un pur chef d’œuvre de son Père qui a tout créé. Jésus ne commence jamais à voir ce qui serait à convertir, à raboter, à améliorer, il commence par voir ce que le Père Créateur a déposé dans le cœur de celui ou celle qui vient à lui. 

Forcément, un tel regard, ça vous chamboule ! C’est parce que son regard, ce regard-là s’est posé sur nous que nous sommes là ce matin. Et à chaque fois que nous commençons à patiner, c’est ce regard qu’il nous faut retrouver, ce regard capable de réveiller le meilleur de nous-mêmes et le meilleur de nous-mêmes, c’est ce que Dieu a déposé dans nos cœurs. Il est bon que nous entendions régulièrement dire que ce n’est pas le Saint Sacrement qui est exposé, mais que c’est moi qui m’expose à lui et à chaque fois que nous allons nous exposer devant le St Sacrement, c’est ce même regard qui se pose sur nous. A chaque temps d’adoration, puissions-nous dire ces paroles qu’Augustin met sur la bouche du bon larron : « Jésus m’a regardé et, dans son regard, j’ai tout compris ! »

Quelques mots, maintenant sur le figuier dont il est question. Si vous ne l’avez pas fait, je vous encourage fortement le petit livre si stimulant du frère dominicain Adrien Candard qui s’intitule justement : Quand tu étais sous le figuier. Il mène une enquête sur ce figuier qui nous amènera à visiter en sa compagnie pas mal de passages bibliques et il a vraiment une écriture qui décoiffe, comme on dit aujourd’hui ! Cette mention du figuier semble être décisive pour emporter l’adhésion de Nathanaël. En effet, c’est quand Jésus dit : « Avant que Philippe t’appelle, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu » c’est en entendant cette parole que Nathanaël répond : « Rabbi, c’est toi le Fils de Dieu ! C’est toi le roi d’Israël ! » Et Jésus soulignera lui-même l’impact de cette parole concernant le figuier : « Je te dis que je t’ai vu sous le figuier, et c’est pour cela que tu crois ! » Sous quel figuier Jésus a-t-il vu Nathanaël ?

Bien des commentateurs expliquent qu’il ne faut pas prendre cette parole à la lettre, c’est symbolique : être sous le figuier, ça signifie se livrer au travail des Ecritures Saintes. Le frère Candard s’est livré à une recherche et il en a conclu que Jésus ne pouvait pas utiliser cette expression symbolique. Car c’est dans le judaïsme tardif qu’on s’est mis à l’utiliser, elle n’existait pas du temps de Jésus. Jeune, frère, il explique qu’il a été fasciné par cette expression et qu’il a fait pas mal de recherches car, comme il le dit savoureusement : il y a pas mal de figuiers qui poussent dans la Bible ! Mais aucun des figuiers mentionnés ne peut éclairer la parole de Jésus. Au terme d’une très longue recherche qu’il résume si savoureusement dans ce petit livre, il en conclut et je le cite même si c’est un peu long, mais c’est tellement beau : « En désespoir de cause, j’ai décidé de ne pas percer le mystère de ce figuier mais de vivre avec ce mystère. J’ai donc décidé de faire la sieste au pied de ce figuier plutôt que de continuer à l’étudier. Et, comme d’habitude, Dieu comble son bien-aimé quand il dort ! Ce qui m’a été donné de comprendre, c’est qu’il n’y a rien à comprendre ! Plus exactement, nous ne saurons jamais ce qu’il y a derrière ce figuier, parce que cela ne nous regarde pas ! Le lieu de ce figuier, c’est l’intimité de Nathanaël. Ce figuier n’est pas planté sur une place publique, ce figuier n’est ni un symbole biblique, ni un symbole universel, ce figuier est planté au cœur du jardin secret de Nathanaël. C’est la seule parole de l’Evangile qui ne s’adresse pas à nous, elle était pour Nathanaël, elle s’adresse à lui parce qu’elle concerne sa vocation personnelle… La Parole ne s’adresse pas à nous mais elle nous dit que nous avons à entendre notre propre appel. Elle ne s’adresse pas à moi parce qu’il y a une parole qui est pour moi, pour moi seul, qui me parle de mes propres figuiers. A un autre cette parole pourra sembler banale. Mais pour moi, cette parole me rend le cœur brûlant, comme les disciples sur le chemin d’Emmaüs. »

J’ai fini la citation et je conclus : Seigneur, tu as fait entendre à chacun de nous cette parole et elle nous a mis en route. Ne permets pas que cette parole, nous puissions l’oublier. Viens encore la murmurer à notre cœur pour que les jours où nous nous sentons fatigués nous puissions, en la réentendant, nous remettre en route et retrouver l’enthousiasme du premier jour où tu l’as murmurée à l’oreille de notre cœur. C’est par l’intercession de St Barthélémy-Nathanaël que nous te le demandons pour nous et pour nos frères et sœurs.

Cette publication a un commentaire

  1. Adéline

    Amen !
    J’ai lu le livre de Candiard, et comme vous dites, ça décoiffe !!! J’ai beaucoup aimé ! Et puis c’est édifiant!

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