Aujourd’hui, dans la 1° lecture apparait un personnage dont nous n’avons pas encore entendu parler et qui va tenir une belle place aux côtés de Paul, c’est Timothée. Alors, comme nous en avons pris l’habitude, je vous propose que nous montions sur ses épaules pour apprendre de lui l’une ou l’autre attitude fondamentale pour devenir disciples-missionnaires. Et nous allons voir qu’auprès de lui, nous apprendrons la vraie liberté.
Timothée était vraiment quelqu’un d’a-typique ! Vous avez entendu, il a une mère juive devenue chrétienne et un père grec, païen. Ce n’est vraiment pas banal pour l’époque car les mariages mixtes c’est-à-dire de personnes de différentes religions ne devaient pas être si fréquents que ça ! D’autant plus que la pureté donc l’interdiction de tout mélange est un principe essentiel du judaïsme, or Timothée avait une mère juive. Du coup, on peut penser que cette mère devait avoir du caractère. En effet, vous savez que, chez les juifs, c’est la mère qui transmet la religion ou plutôt l’identité juive. Ce qui se comprend assez bien puisqu’on est forcément sûr de qui est la mère, pour le père, il peut toujours y avoir un doute ! Sa mère étant juive, Timothée aurait donc dû être juif car, à sa naissance, bien évidemment, sa mère n’était encore pas devenue chrétienne, or nous apprenons dans ce passage qu’il n’est pas circoncis. Vous voyez c’est une famille pour le moins libérale en matière de religion, ils ne sont pas franchement attachés aux traditions et vivent dans une grande liberté par rapport à la Loi. Il est important d’avoir cela en mémoire pour bien comprendre la suite.
Quand Paul demande à Timothée de devenir son collaborateur, il lui dit qu’il faudra se faire circoncire, la raison est simple : c’est la condition pour que les juifs acceptent de l’écouter. Timothée aurait pu dire à Paul, j’ai été élevé dans la liberté, dans l’ouverture, la tolérance, ton truc rétro qui marque l’appartenance à une religion, je n’en veux pas, je suis au-dessus de ça. Mais, Timothée ne réagit pas de cette manière : puisque Paul lui explique que c’est nécessaire pour l’évangélisation, il l’accepte.
Du coup, moi je me dis, que c’est en acceptant la circoncision que Timothée a manifesté sa vraie liberté. C’est vrai que ça n’a pas dû être évident pour lui. Mais il a su discerner clairement ce qui avait une valeur d’absolu et ce qui n’avait qu’une valeur relative. L’absolu, c’est l’évangélisation, c’est le but à atteindre, c’est ce qui doit le mobiliser totalement. Le relatif, c’est la circoncision, eh bien puisque c’est relatif, il pouvait l’accepter même si ça le chagrinait un peu !
Un certain nombre de débats dans l’Église tournent au vinaigre quand nous confondons le relatif avec l’absolu. On en a un bel exemple dans le dialogue si difficile avec les intégristes. Je prends volontairement un exemple où ce sont les autres qui sont en cause, mais je pense qu’en nous examinant chacun, nous n’aurions pas de mal à trouver des exemples qui montrent que nous aussi, il nous est arrivé de déraper en confondant le relatif et l’absolu. Les intégristes donnent au rite une valeur d’absolu, or le rite est relatif, la preuve, il a varié au cours de l’histoire et aujourd’hui même, il y a plusieurs rites en vigueur selon que vous vous trouvez dans des Églises orientales ou latines.
Il n’est pas inutile de prendre le temps de nous interroger sur ce que nous définissons comme absolu dans nos vies et si ça l’est vraiment. Je pense qu’avoir des idées claires sur ce qui est absolu et ce qui est relatif nous permet d’accéder à la vraie liberté. Autrement, nous risquons vite de nous entêter en disant : ok, moi, on peut me demander ça, mais pas plus, je n’irai pas plus loin, je ne veux quand même pas perdre mon âme. Timothée accepte la circoncision pour l’évangélisation parce qu’il avait perçu que la circoncision était relative, alors que l’évangélisation était essentielle.
Est-ce vraiment Timothée qui l’avait perçu ? On n’en sait rien ! Peut-être bien qu’il a eu besoin que Paul l’aide à faire ce chemin de discernement. Nous aussi, nous pouvons avoir besoin d’être aidés car le discernement pour ne pas confondre l’essentiel et le relatif est souvent difficile et donc, il ne pourra pas se faire si nous restons seuls. Je dis que c’est difficile parce qu’il y a souvent du passionnel qui nous empêche d’être parfaitement lucides.
Il y a quelques années, j’avais prêché la retraite des prêtres de Viviers à La Louvesc. Je vous avoue que je ne connaissais pas grand-chose sur St François Régis. Et, là-bas j’avais trouvé un très bon article du père Louis Sintas que j’ai tout de suite mis de côté car il exprimait très bien cette problématique de l’absolu et du relatif sur laquelle il me semble si important d’avoir des idées claires.
St François Régis avait le grand désir de partir au Canada, il en fait part à son supérieur qui refuse en lui disant : « Votre Canada, ça sera le Vivarais ! » Un peu déconcertant comme réponse quand on est habité par un si grand projet ! Mais voilà ce que le père Sintas écrivait pour expliquer cette réponse, je vous le lis, même si c’est un peu long, mais c’est tellement écalairant : « Le 1° élément à remarquer dans cet événement, c’est combien les choses sont claires dans l’esprit de François. Il a fait sa proposition avec détermination. Il l’a faite avec d’autant plus d’énergie que, pour lui, cette proposition lui paraît être le meilleur moyen de remplir sa vocation. Mais elle n’est qu’un moyen. Sa préoccupation essentielle n’est pas dans le désir de partir au Canada. Sa préoccupation essentielle demeure bien celle qui l’a fait entrer au noviciat, à savoir : Servir Dieu, Notre Seigneur dans l’Église, sous la conduite de la compagnie. Voilà où François situe tout le poids de sa vie, tout l’objectif de son désir. Il a intégré à son existence la 1° phrase des Exercices Spirituels de St Ignace, le fondement de toute la vie spirituelle : n’avoir d’autre désir que de servir Dieu, Notre Seigneur. Peu à peu, c’est cela qui est devenu toute sa vie. Tout le reste a trouvé, sous l’éclairage de cette lumière, sa position juste de moyen au service de l’unique fin. Certes sans le moyen, la fin ne serait pas atteinte. Mais le choix des moyens n’a plus l’importance primordiale qu’il peut avoir dans des existences moins lucides sur la fin unique, seule nécessaire. La réponse négative du supérieur ne peut plus atteindre François de façon grave. Ayant clarifié son désir, l’ayant purifié et approfondi, il ne se laisse plus démolir par un refus qui ne vise pas son choix fondamental. Sa vocation demeure intacte, pleinement accueillie par le supérieur, en cette heure même où il refuse à François le moyen qu’il propose pour la mettre en œuvre. Même si sa sensibilité en souffre. Il ne fait pas du choix des moyens une question de vie ou de mort. »
Voilà donc comment on acquiert la vraie liberté. Car nous qui ne sommes plus des ados, nous savons que la vraie liberté ça ne sera jamais de faire ce qu’on veut, comme on veut, quand on veut ! Pour trouver la vraie liberté, il nous faut apprendre à ne pas confondre la fin et les moyens comme dit le père Sintas ou l’absolu et le relatif comme je le disais. Je termine ce point en disant qu’à ce niveau l’accompagnement spirituel est absolument décisif parce qu’il y en a un qui cherchera toujours à brouiller les pistes pour que nous donnions une valeur d’absolu à ce qui n’est que relatif et souvent même très relatif !
Vous aurez bien compris que dire qu’une conviction est relative, ça ne signifie pas qu’elle n’est pas importante, mais ça signifie que ce n’est pas elle qui doit être déterminante pour prendre une décision importante. Vous connaissez sans doute cette belle prière : « Seigneur, donne-nous la grâce d’accepter avec sérénité les choses qui ne peuvent être changées, le courage de changer celles qui devraient l’être, et la sagesse de les distinguer l’une de l’autre. » Je vous propose de la transformer légèrement pour dire : « Seigneur, donne-nous la grâce d’accepter avec sérénité les choses qui ne sont pas essentielles, le courage de ne jamais transiger sur l’essentiel, et la sagesse de les distinguer l’une de l’autre. »
Amen !