24 mars : mercredi 5° semaine de carême : « Ze suis en communion de prière ! »

Qu’est-ce qu’ils voulaient exactement dire Sidrac, Misac et Abdénago quand ils disaient à Nabuchodonosor : « Si notre Dieu, que nous servons, peut nous délivrer, il nous délivrera de la fournaise de feu ardent et de ta main, ô roi ! » Il est bien possible qu’ils imaginaient que Dieu ne permettrait pas qu’ils soient mis dans cette fournaise. Ils avaient tellement la foi qu’ils étaient persuadés que Dieu, parce qu’il est juste, ne permettrait pas que, eux, puisqu’ils se comportaient comme des justes, soient injustement traités. En disant : « il nous délivrera de la fournaise de feu ardent et de ta main, ô roi ! » on peut légitimement penser que ces 3 jeunes hommes étaient sûrs que Dieu interviendrait avant qu’ils ne soient jetés dans la fournaise, peut-être juste avant, in extremis, mais avant quand même. Cependant, vous aurez remarqué qu’ils sont absolument admirables tant leur confiance est grande puisqu’ils vont jusqu’à dire : « Et même s’il ne le fait pas, sois-en bien sûr, ô roi : nous ne servirons pas tes dieux, nous n’adorerons pas la statue d’or que tu as érigée. » C’est magnifique ! Si je résume la pensée des 3 jeunes, il y a deux scénarios possibles : scénario A : Dieu, le juste, interviendra pour épargner l’épreuve de la fournaise à ces jeunes qui sont des justes. Scénario B : si Dieu n’intervient pas, les jeunes s’engagent à mourir en héros sans renier les préceptes de leur foi.

Mais voilà, ça ne sera ni le scénario A, ni le scénario B, Dieu va écrire le scénario C et il ne faut pas en vouloir aux 3 jeunes hommes de ne pas l’avoir envisagé parce que personne ne pouvait l’imaginer… en dehors de Dieu, bien sûr !

Dieu n’a pas accepté le scénario A. C’est pourtant le scénario dont nous rêvons en permanence. C’est le scénario pour lequel nous prions en permanence : Seigneur, déploie ta puissance pour empêcher le mal ! Interviens avant que le mal ne se produise. Pourquoi Dieu ne retient pas ce scénario A ?  Je vous renvoie à ce que je disais dans l’homélie il y a une dizaine de jours en évoquant l’épisode des serpents au désert avec mon ancêtre qui aurait été bien inspiré de demander à Dieu pourquoi il n’a pas fait plus simple que ce mat dressé en supprimant les serpents. On a relu ce texte hier, le père Emmanuel l’a peu commenté, mais on ne lui en veut pas parce que, lui, il n’avait pas d’ancêtre présent à ce moment-là … et puis son commentaire sur l’invitation à ne pas mourir dans notre péché était suffisamment nourrissant ! 

Je vous résume en 2 mots pourquoi Dieu refuse ce scénario A qui aurait consisté à supprimer les serpents, à intervenir juste avant que les 3 jeunes ne soient mis dans la fournaise, à empêcher que des jeunes qui ont trop bu se tuent en voiture en sortant de boîte … Le mal, la plupart du temps, il est de la responsabilité des hommes et provient d’un mauvais usage de cadeau somptueux que Dieu nous a fait : la liberté. En bien des circonstances, et dans ce texte particulièrement, mettre en œuvre le scénario A aurait consisté à ce que Dieu décide de faire mourir le méchant et ça, Dieu ne le veut pas. Nous, parfois, on le souhaite, bien sûr, sans oser trop l’avouer ! Ça ne nous déplait pas toujours de chanter les versets de certains psaumes qui osent demander à Dieu de faire disparaître les impies, les méchants et on aime d’autant plus les chanter quand quelqu’un vient de nous faire une crasse qu’on n’arrive pas à digérer. Il faut une certaine dose d’inconscience pour oser demander cela parce que nous ne réalisons pas que nous sommes souvent des méchants ! Certes, nous n’arrivons pas à la cheville d’Hitler, le mal que nous faisons ou le bien que nous ne faisons pas n’a donc pas des répercussions nationales ou internationales, mais pour autant, il peut nous arriver à tous, à certains moments de rendre la vie infernale à certaines personnes ! Donc Dieu ne peut pas accepter le scénario A parce qu’il présuppose la mort du méchant ce qui aboutirait à l’anéantissement du genre humain ! Or Dieu ne veut pas détruire ceux qu’il a créés par amour.

Le scénario B serait indigne de Dieu : ne rien faire et se contenter de regarder le spectacle pour voir s’il peut compter sur la bravoure des justes en espérant qu’ils ne seront pas entrainés dans la spirale du mal. Non, ça, on peut en être sûr, ça ne ressemble vraiment pas à notre Dieu !

Alors quel est-il ce scénario C auquel les 3 jeunes hommes ne pouvaient pas penser un seul instant et que Dieu seul pouvait imaginer et mettre en oeuvre ? Eh bien ce scénario C, sa trame nous est suggérée par ce que dit le roi, très étonné d’entendre chanter dans la fournaise, il va voir et, là, stupeur, alors qu’il a fait mettre 3 jeunes hommes dans la fournaise, il se rend compte qu’ils sont 4 !  Vous avez entendu la question du roi : « Nous avons bien jeté trois hommes, ligotés, au milieu du feu ? » Les serviteurs lui répondent : « Assurément, ô roi. » Alors, le roi fait part de sa stupéfaction : « Eh bien moi, je vois quatre hommes qui se promènent librement au milieu du feu, ils sont parfaitement indemnes, et le quatrième ressemble à un être divin. » Voilà le scénario C, et c’est celui que Dieu ne cesse d’écrire : il va rejoindre ceux qui sont dans la souffrance.

Vous avez bien entendu, il va rejoindre ceux qui sont dans la souffrance, il ne leur dit pas : je vous soutiendrai de loin, union de prière ! Ce que nous disons souvent généreusement. Il y avait eu dans le journal la Croix, une très belle chronique d’un journaliste avec qui j’avais beaucoup travaillé pour la presse paroissiale. Cette chronique reste gravée dans ma mémoire. Il racontait qu’un soir, au moment, où ils allaient faire la prière familiale, le petit dernier qui n’avait pas du tout envie de rester avec eux parce qu’il préférait aller jouer avec ses playmobiles leur a dit en quittant le coin prière : ze suis en communion de prière ! Eh bien, ce n’est pas ce que Dieu a dit à Sidrac, Misac et Abdénago ! Il n’est pas dans une communion de prière plus ou moins lointaine, il est allé les rejoindre.

Et aujourd’hui, quand des demandes de prière nous sont faites, nous devons nous interroger sur la manière dont nous les portons. Est-ce que c’est à la manière du petit qui se débine en disant : ze suis en communion de prière ou est-ce que c’est à la manière de Dieu qui met en œuvre le scénario C ? Vous allez me dire : mais nous ne pouvons pas rejoindre tous ceux qui souffrent, qui sont victimes de violence et de tant d’autres fléaux, c’est vrai ! Mais quand nous prions pour la paix, si nous ne voulons pas que ce soit une manière facile de dire : ze suis en communion de prière, ça signifie que nous allons nous engager, ici, à ne pas laisser la médiocrité s’installer, à faire triompher la paix quand nous avons laissé le venin de la division, de la jalousie, de la comparaison, du commérage s’infiltrer dans nos relations ou nos pensées. 

Mettre en œuvre le scénario C, pour Jésus, ça a consisté à aller jusqu’au bout de l’amour en donnant sa vie. Mettre en œuvre le scénario C, pour nous, ça sera donc aussi, à la suite de Jésus et avec la grâce qu’il nous donne aller jusqu’au bout du don de nous-mêmes. Demandons-lui qu’il nous fasse la grâce de ne pas reprendre d’une main ce que nous lui donnons de l’autre. Et il y a bien des manières de reprendre peu à peu ce que nous avons donné ! J’aime tellement cette parole du père Christian de Chergé qui disait : « En général, nous pouvons dire que nous avons donné notre vie à Dieu, mais comme il nous en coûte quand il nous la demande dans le détail ! » Nous allons entrer bientôt dans la grande semaine où nous contemplerons Jésus qui va jusqu’au bout pour mettre en œuvre le scénario C, que cette contemplation nous encourage à lui demander sans cesse sa grâce pour que nous trouvions les attitudes justes pour le suivre sur ce chemin.

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