Ça y est nous sommes sortis de la piscine ! Pendant 3 jours nous avons médité sur la guérison de l’aveugle à la piscine bien nommée de Betzata ou Bethesda, maison de la tendresse, maison de la miséricorde. Et nous avons accueilli la catéchèse très dense qui accompagnait cette guérison, catéchèse donnée à l’occasion d’une controverse avec ceux qui s’offusquaient devant le fait que Jésus ait pu opérer ce miracle le jour du sabbat. A la suite de ce chapitre 5, il y a, comme il se doit, le chapitre 6 que nous ne lirons pas, du moins pas à ce moment de l’année liturgique, c’est la multiplication des pains avec le discours sur le pain de vie. Et nous entrons dans le chapitre 7 dont est extrait l’Evangile que nous venons d’entendre, d’ailleurs celui de demain le sera aussi. On sent bien que le drame est en train de se nouer.
La 1° lecture nous introduisait déjà dans les prémices de ce drame en nous expliquant que, de tout temps, les justes ont eu des problèmes. Alors que tout le monde devrait prendre exemple sur eux, sur ce qu’ils disent, sur ce qu’ils font, c’est l’inverse qui se produit. Le juste dérange, il mène une vie en dehors du commun, sa conduite est étrange, c’est ce que disait la lecture. Peut-être Georges Brassens s’était-il inspiré de ce passage pour écrire sa chanson : les braves gens n’aiment pas qu’on suive une autre route qu’eux ! Car s’il n’était pas croyant, Brassens connaissait très bien les Ecritures, il y a d’ailleurs assez peu de ses chansons dans lesquelles, il n’y ait pas un clin d’œil plus ou moins ajusté aux Ecritures. Toujours est-il que le juste dérange et que finalement, ce n’est pas si grave de le supprimer puisque, si ce qu’il dit est vrai, Dieu l’assistera d’une manière ou d’une autre. On ne prend donc pas trop de risques en le faisant disparaître !
Tout cela, Jésus l’a bien perçu puisque l’Evangile nous fait part de ses hésitations à monter à Jérusalem pour la fête des Tentes. C’est ce détail qui a particulièrement retenu mon attention. On sent bien que Jésus est en difficulté, d’une part, il y a la fête des Tentes qui est l’une des fêtes d’obligation : tout juif valide est tenu de monter à Jérusalem pour cette fête. Mais, d’autre part, il y a ces menaces qui deviennent de plus en plus explicites depuis son miracle à la piscine de Bethesda. Dans cet épisode de la piscine, il ne faut pas oublier qu’il était dit explicitement que les juifs cherchaient à le tuer. (5,18) Alors Jésus aurait-il peur ? Comme Fils de Dieu, a-t-il le droit d’avoir peur ? Je ne sais pas comment vous répondriez à cette question et je ne sais même pas si vous oseriez vous poser cette question !
Pour comprendre l’état d’esprit dans lequel pouvait se trouver Jésus, il est bon de se rappeler que quelques versets auparavant, il venait de vivre une épreuve terrible. J’ai évoqué le fait que le chapitre 6 racontait la multiplication des pains, l’un des 7 signes de l’Evangile de Jean et qu’il était suivi du discours sur le Pain de Vie, cette grande catéchèse pré-eucharistique. Mais vous savez comment se termine cette catéchèse : Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » … Et à partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner. (6,60,66) C’est un moment de crise terrible et Jésus est tellement touché par ces défections qu’il se sent obligé de poser la question de confiance à ses disciples, c’est son 49.3 à lui : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Nous savons comment Pierre répondra à cette question : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. »
Je pense qu’il faut prendre au sérieux tous ces événements et la répercussion qu’ils ont pu avoir sur Jésus qui était un homme, un homme véritable. Il ne pouvait donc pas ne pas être profondément remué en voyant partir ses compagnons de mission. Dès lors il ne faut pas s’étonner que Jésus entre dans un processus de crise. A ce sujet, je vous rappelle que le mot crise, étymologiquement, évoque l’obligation de choisir de se décider après discernement. Dans ce sens, il n’est donc pas iconoclaste de dire que Jésus est en crise, c’est-à-dire qu’il se retrouve confronté à un choix compliqué : monter à Jérusalem pour observer cette fête de pèlerinage qui est une fête d’obligation ou rester en Galilée ? En effet, en Galilée, il était beaucoup moins contesté, c’est à Jérusalem que se cristallisent les oppositions les plus violentes comme le montre ce qui s’est passé à Bethesda.
Il faut prendre la mesure de cette crise que traverse Jésus. Je pense vraiment que nous ne gagnons jamais rien à édulcorer l’humanité de Jésus. Et on voit bien, en lisant le texte de près que Jésus va mettre un moment à sortir de cette crise, c’est-à-dire à pouvoir décider, il le fera d’ailleurs en deux temps.
- 1° temps, il décide d’aller malgré tout à Jérusalem, mais plutôt en cachette.
- Et 2° temps, il se décide à aller au Temple, ce qui était une nécessité pour cette fête, donc de se montrer.
Je trouve assez touchant de constater qu’il lui faudra quelques jours pour prendre cette décision de ne pas rester comme caché à Jérusalem. Le texte nous disait : On était déjà au milieu de la semaine de la fête quand Jésus monta au Temple. Quand nous n’édulcorons pas l’humanité de Jésus, alors ce que nous lisons dans l’Evangile peut nous soutenir quand, nous-mêmes, nous traversons des moments de crise, quand nous sommes dans l’indécision. Dans ces moments, nous pouvons vraiment nous tourner vers Jésus en nous rappelant cette magnifique parole de la lettre aux Hébreux : « En Jésus, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. » Vous avez bien entendu : parce qu’il a été éprouvé en toutes choses, il peut compatir à nos faiblesses. Plus nous nous rapprocherons des jours saints et plus nous aurons l’occasion de méditer sur cet aspect si étonnant de notre foi et en même temps si merveilleux : Jésus peut compatir car, hormis le péché, il a tout connu des crises que nous pouvons connaître, comme nous, il a été déstabilisé, secoué, affecté par ces crises. Mais évidemment, lui, il saura rester fidèle et c’est donc sur sa victoire qu’il nous faut nous appuyer quand nous nous sentons perdus.
Alors, Jésus a-t-il eu peur ? Je ne sais pas, à chacun d’apporter sa réponse ! A Gethsémani, il nous sera dit explicitement qu’il va ressentir de l’effroi, une angoisse profonde. Peut-être l’effroi a-t-il commencé dès ce moment ? De toutes façons, la question rebondit forcément, s’il a eu peur, de quoi a-t-il eu peur ? Peur de la mort ? Peur de la violence qu’il pressentait ? Peur de se laisser séduire par ceux qui le poussaient à se manifester comme un Messie puissant ? Toutes ces questions peuvent légitimement rester ouvertes.
Toujours est-il que cette crise devait être encore renforcée par l’attitude de tous ceux qui ergotaient autour de lui avec des arguments qu’il devait juger tellement déplacés en ce moment de crise. Il y avait une tradition qui disait en effet que le Messie, quand il viendrait nul ne pourrait savoir d’où il viendrait, or lui, Jésus, on savait d’où il venait. D’ailleurs assez régulièrement, on le lui faisait remarquer de manière mesquine en mentionnant qu’il venait de Nazareth. Or tout le monde aimait dire et redire ce que Nathanaël avait osé proférer : de Nazareth, que peut-il sortir de bon ? On peut imaginer assez facilement ce que ce genre de discussion peut produire sur quelqu’un qui est en crise. Une décision vitale doit être prise et autour de lui on discute sur des queues de cerises ! Je pense que nous avons tous vécu ce genre de situation insupportable où nous sommes confrontés à des problèmes sans nom et, dans le même temps, nous constatons que notre entourage passe son temps dans des querelles mesquines, des débats sans enjeux. On aurait envie de claquer la porte et de faire suffisamment fort pour que ça serve de leçon !
Oui, mais c’est aussi pour ses adversaires que Jésus est venu, c’est aussi pour les sauver, eux qui le fatiguent en ce moment, qu’il doit décider s’il se révèle ouvertement en acceptant par avance les conséquences de ce choix. Quelle épreuve pour Jésus ! Vraiment l’épitre aux Hébreux a bien raison de l’affirmer et nous pouvons garder et graver cette parole dans notre cœur : « En Jésus, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. »