Pour la fête de l’Annonciation, ceux qui ont eu à composer le lectionnaire liturgique n’ont pas eu beaucoup de questions à se poser concernant le choix de l’Evangile, évidemment, ils allaient prendre l’Evangile de l’Annonciation. De même pour la fête de la Visitation. Mais pour cette fête de l’Immaculée Conception, quel Evangile fallait-il choisir ? Parce que, bien évidemment, la fête que nous célébrons aujourd’hui n’est pas une fête qui s’appuie sur un événement relaté dans l’histoire dans des Evangiles. Ce n’est même pas une fête dont la définition pourrait se retrouver dans les Ecritures puisque, nous le savons, c’est seulement en 1854, que le pape Pie IX va proclamer ce dogme. Alors quel Evangile fallait-il choisir ? Quel texte permettrait au mieux d’exprimer la signification profonde de cette fête, la signification profonde du dogme qui nous dit que Marie a été préservée du péché et cela dès sa conception ?
Avant de répondre à cette question, il est peut-être bon de dire que si la définition du dogme est tardive, la réalité de la Foi en ce que proclame le dogme est très ancienne. Depuis toujours l’Eglise croit, j’allais dire de manière spontanée ou intuitive, que Marie est Immaculée depuis sa Conception. Et puis cette définition du dogme était si importante que le Seigneur a permis que deux apparitions de la Vierge Marie soient directement en rapport avec la définition de ce dogme. La 1° de ces apparitions, c’est la Rue du Bac à Paris où, en 1830, Catherine Labouré avait reçu cette mission de faire fabriquer une médaille qui porterait cette inscription : « Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. » Donc 14 ans avant sa proclamation, le ciel, par cette apparition de la Rue du Bac, prépare les cœurs à accueillir ce que dira le dogme de l’Immaculée Conception. Et ensuite, 4 ans après la proclamation du dogme, à Lourdes, le ciel va authentifier le contenu de ce dogme. A Bernadette qui lui demande avec insistance son nom, surtout pour répondre à une exigence de son curé, l’apparition finira par lui dire qui elle est, le jour de la fête de l’Annonciation. Et vous savez qu’elle le fait dans une infinie délicatesse puisqu’à cette petite qui ne parle pratiquement pas français, elle s’adresse en patois pour lui faire cette révélation étonnante : que soy era Immaculada Conceptiou » c’est-à-dire « Je suis l’Immaculée Conception. » La proclamation de ce dogme a donc été préparé par l’apparition de la Rue du Bac et authentifiée par l’apparition de Lourdes. C’est dire que ce dogme peut difficilement être contesté.
Ceci étant dit, revenons donc à la question que je formulais : quel texte d’Evangile fallait-il choisir pour exprimer au mieux le contenu de ce dogme ? Je ne sais pas si les rédacteurs du Lectionnaire ont hésité longtemps, toujours est-il qu’ils ont choisi le texte de l’Annonciation parce que, de fait, il y a dans ce texte, comme une définition voilée du dogme, une définition évangélique et elle est contenue dans ces mots : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. » Et ces mots de l’ange seront tellement importants, tellement chargés de signification qu’ils sont devenus les premiers mots de la prière que tant et tant de générations de chrétiens ont repris : « Je vous salue Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. » Je lisais ces jours le commentaire d’un moine sur la prière du « Je vous salue, Marie » et il disait que ces mots avaient une telle densité que, finalement, nous les disons sans vraiment comprendre ce que nous disons et même si nous les répétons sans arrêt, nous ne percevons qu’une infime partie de ce qu’ils peuvent signifier. Mais en fait nous ne les répétons pas en espérant comprendre, nous les répétons en espérant que les qualités de la Mère passent dans les enfants que nous sommes et que nous devenions, à notre tour, animés par la plus belle des grâces qui est de garder toujours la présence du Seigneur en nous.
Essayons quand même de comprendre un peu le contenu de ces mots et de comprendre en quoi ces mots « comblée de grâce, le Seigneur est avec toi » nous aident à entrer dans la définition du dogme. Le mot « grâce » est l’un des mots les plus riches du langage de la théologie. Pour essayer de le comprendre, on peut en tirer 3 mots dérivés plus concrets et donc plus facile à comprendre. En français, le mot grâce va donner les mots gracieux, graciés et gratuit, nous allons les appliquer à Marie pour mieux comprendre ce que veut dire l’ange quand il dit qu’elle est comblée de grâce et nous chercherons à voir comment chacun de ces mots nous aide à mieux entrer dans la compréhension du dogme et vous verrez immédiatement que cela comporte beaucoup d’implications extrêmement concrètes pour nous.
- Tout d’abord, dire que Marie est comblée de grâce, c’est donc dire qu’elle est gracieuse. En français, le mot gracieux est utilisé pour désigner quelqu’un qui a le sourire. On aime invoquer la Vierge du sourire, celle qui est pour nous le sourire de Dieu. On aime aussi qualifier Marie de toute belle, pulchra, en latin, belle en français, pulchra en latin, ce sont des mots qui reviennent dans bien des cantiques. Et puis gracieux se dit aussi, par exemple, d’une danse qui est exécutée avec légèreté, qui demande sûrement des efforts et de la technique, mais celle qui l’exécute possède tellement son affaire qu’on ne s’en rend plus compte, ça coule avec limpidité. Eh bien, appliquer ce qualificatif de gracieux à Marie parce qu’elle est pleine de grâce, c’est affirmer que le bien, l’amour coulent naturellement dans la vie de Marie. Marie est souriante, Marie est belle, sa vie est belle, tout coule de manière limpide en elle parce qu’elle est comblée de grâce.
En conséquence, nous comprenons que ce qui rend laid, lourd, disgracieux, triste, c’est le péché. Et si Marie était belle, ce n’était pas parce qu’elle utilisait tel ou tel produit de beauté ou parce qu’elle avait adopté telle ou telle manière de s’habiller. Ce qui donnait sa vraie beauté à Marie, une beauté qui ne passe pas, même pas avec les années, c’était la grâce de Dieu qui l’emplissait depuis sa conception. La vraie beauté ne se trouve pas dans les salons de beauté, quand on passe entre les mains des esthéticiennes, la vraie beauté est donnée à celles et ceux qui se remettent entre les mains de Dieu !
- Dire que Marie est comblée de grâce, c’est donc dire qu’elle est graciée. Ce mot il est utilisé pour parler d’un condamné à qui on fait cadeau de la peine qu’il aurait dû accomplir. Chez nous, par exemple, au temps où il y avait la peine de mort, le Président de la République avait ce qu’on appelait le droit de grâce. C’est à dire qu’il avait le pouvoir de sauver de la mort un condamné qui aurait dû être exécuté. On imagine bien que celui qui était ainsi gracié, sauvé de la mort, rendait grâce toute le reste de sa vie à celui qui l’avait gracié !
Marie, elle, puisqu’elle a été préservée du péché et de ses conséquences, on peut dire qu’elle a été graciée au moment de sa conception. Du coup, c’est toute sa vie, depuis le début jusqu’à la fin et même encore dans l’éternité qui sera une immense action de grâce envers Dieu puisque c’est lui qui l’a graciée, qui l’a comblé de grâce. Le Magnificat sera la plus belle interprétation de cette action de grâce permanente de Marie. C’est donc ainsi que l’on reconnait ceux qui accueillent le Seigneur qui fait grâce, on ne les entend pas en permanence critiquer, juger, gémir, se lamenter, non ! Ceux qui vivent de la grâce, vivent aussi dans l’action de grâce !
- Enfin, dire que Marie est comblée de grâce, c’est dire que tout ce qu’elle a reçu, elle l’a reçu gratuitement. Dieu n’a pas choisi Marie comme Mère de son Fils parce qu’il aurait repéré chez cette jeune fille des qualités hors du commun. Ce qui lui a été donné, l’a été dès sa conception, Marie n’y est pour rien, c’est pure grâce, c’est donné de manière complètement gratuite.
Il est important de nous redire cela en ce jour où nous célébrons le 50° anniversaire de l’inauguration de ce Foyer. Nous comprenons mieux que ceux qu’il veut appeler le Seigneur prépare leur cœur et quand ils répondent, ce n’est donc pas un exploit. Le père Pagnoux et celles qui l’ont accompagné pour répondre à l’appel du Seigneur, appel médiatisé par la demande du cardinal Thiandoum, n’ont donc pas dit oui parce qu’ils auraient été plus généreux que les autres. Ils ont dit oui tout simplement parce qu’ils avaient été préparés, gratuitement par le Seigneur. Ils n’étaient pas meilleurs que les autres, ils ont été préparés par pure grâce. Et pour nous qui continuons à faire vivre ce Foyer, il en va de même, nous ne sommes pas meilleurs que les autres, le Seigneur a préparé nos cœurs. Alors, après, bien sûr, il faut que celui qui a été appelé et préparé reste fidèle à l’œuvre du Seigneur dans son cœur, mais la part la plus importante, le mérite le plus important ne revient pas à ceux qui disent oui, mais au Seigneur qui a préparé les cœurs. C’est très important et ça nous oblige toujours à rester dans la foi et l’espérance parce que ça signifie que cette œuvre ne repose pas sur la générosité de quelques hommes et femmes, mais sur la générosité de Dieu.
Et alors, pour terminer, je précise que, parce qu’elle est comblée de grâce, Marie veut et peut garder le Seigneur toujours avec elle. Nous qui sommes pécheurs, nous faisons aussi l’expérience de la grâce, mais régulièrement le péché vient reprendre le dessus et du coup nous chassons le Seigneur de notre vie, nous le mettons dans un coin de notre vie. Marie, elle, parce qu’elle est comblée de grâce, tellement remplie de la grâce depuis toujours, il n’y a pas de place en elle pour le péché, toute la place est prise par la présence du Seigneur. Et sa vie est une merveilleuse illustration de ce que peut devenir une vie quand il y a de plus en plus de place pour le Seigneur et donc de moins en moins de place pour le péché. Prie pour nous, Sainte Vierge Marie, pour nous qui sommes de pauvres pécheurs. Prie pour nous maintenant et à l’heure de notre mort parce que, finalement dans notre vie, il y aura eu deux moments décisifs dans lesquels nous avons tellement besoin de toi, de ton intercession, ces deux moments, c’est maintenant et à l’heure de notre mort !
C’est 1854 ! (vous avez cent ans de retard 😉 )
je sais « mille ans sont comme un jour… »
Mais Bernadette, vous avez pensé à Bernadette ??? 🙂
Et 1830 pour la rue du Bac… 😉