« Quel est le premier de tous les commandements ? » Pour une fois, ce n’est pas une question piège que pose ce scribe. Cette question se posait vraiment parce que vous savez qu’en plus des 10 paroles de vie, il y avait 613 prescriptions qui venaient les compléter et c’est tout cet ensemble qui formait les commandements. Il fallait donc parvenir à les hiérarchiser et c’était la grande activité à laquelle on se livrait avec délectation dans les écoles rabbiniques en engageant des discussions sans fin. Et ça se faisait quasiment sous forme de jeu, il fallait être capable de faire un résumé de toute la loi en se tenant sur un pied … et comme les êtres humains ne sont pas des flamands roses, ils ne peuvent pas rester des heures sur un pied, il fallait donc être synthétique mais sans oublier l’essentiel.
Le scribe qui s’avance vers Jésus ne lui demande pas de se tenir sur un pied, mais il lui demande cette grande synthèse. Jésus va répondre de manière étonnante puisqu’il ne cite aucun des commandements officiels. En effet, je vous offre votre poids en cacahuète si vous arrivez à trouver ces deux commandements dans la liste des 10 commandements. Ce détail a son importance il annonce déjà ce que dira Paul dans l’épitre aux Romains (13,10) : l’accomplissement parfait de la loi, c’est l’amour. Le légalisme, c’est une maladie ! L’accomplissement parfait de la loi, c’est l’amour et ça devrait être la règle en tout. Si un article rajouté dans la loi ne permettait pas un accroissement de l’amour, il devrait légitimement être discuté. Nous ne devons jamais céder au légalisme.
Ceci dit, il est bon de s’arrêter quelques instants sur les prescriptions, parce que très souvent on brocarde le judaïsme en l’accusant de légalise, ce qui n’est pas toujours faux, mais il y a quelque chose de très beau à découvrir. Pourquoi 613 prescriptions et pas 618 ou 589 ? La raison est toute simple, vous savez que le judaïsme aime jouer sur les nombres et vous savez aussi que 613, c’est 365 + 248 ! Or, il y a 365 prescriptions négatives et 365 c’est le nombre de jour de l’année, c’est un peu comme si la loi disait : chaque jour, tu dois rester vigilant pour ne pas franchir la ligne rouge. Et il y a 248 obligations, alors 248, c’est un peu plus tiré par les cheveux, mais, selon les connaissances médicales de l’époque, 248, c’était le nombre de parties qui composaient le corps humain. Si vous additionnez les deux oreilles, le nez, les dents et tout le reste, ça fait 248 ! C’est un peu comme si la loi disait : tout ton corps doit être engagé dans le respect de la loi, il n’y a pas un seul organe qui soit dispensé de bien se comporter !
Et c’est bien ce que dit Jésus dans le passage de l’Ecriture, il annonce clairement que tout nous-même doit être engagé : tout ton cœur, toute ton âme, tout ton esprit et toute ta force. Avec cette énumération, l’Ecriture veut nous dire que c’est toi et toi tout entier qui doit être engagé dans cet immense défi qui consiste à aimer Dieu. Vous vous rappelez peut-être ce passage de Don Camillo où il se prépare pour la énième fois à aller flanquer une volée à Pépone, il passe dans son église pour sortir et il cache soigneusement un bâton dans son dos, le bâton qu’il a préparé pour flanquer la volée à Pépone. Evidemment Jésus l’arrête et pour le dissuader d’utiliser ce bâton contre Pépone, il lui dit : « Don Camillo, rappelle-toi que tes mains servent à bénir ! »
Don Camillo lâche son bâton, mais il ne semble pas très contrarié car il vient de trouver une autre solution pour flanquer la volée à Pépone ! Il dit au Seigneur : les mains, d’accord, Seigneur, mais pas les pieds et il fonce à toute vitesse pour administrer à Pépone un magistral coup de pied aux fesses ! Eh bien, il n’y a pas que les mains qui servent à bénir, à aimer, les pieds aussi et tout le reste du corps également, il me semble que c’est le sens de cette énumération : de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force.
Maintenant, j’aimerais dire quelques mots du « comme toi-même » dans l’injonction : aimer son prochain comme soi-même. On pourrait opposer deux objections à cette formulation.
- Ne serait-ce pas égoïste d’aimer les autres comme nous, c’est un peu comme si nous nous aimions à travers eux. Je me rappelle cette chanson terrible qu’on entendait à la radio et qui disait : Je me fous de vous, vous m’aimez, mais pas moi, confidence pour confidence, c’est moi que j’aime à travers vous !
- Autre objection : et ceux qui n’arrivent pas à s’aimer, comment ils font pour aimer les autres puisqu’il faut les aimer comme soi-même ?
En réfléchissant à tout cela, pendant le confinement, j’étais tombé sur un article très documenté d’un exégète qui expliquait qu’il y a eu mauvais choix de traduction du texte hébreu quand il a été traduit en grec. La tournure hébraïque pourrait aussi être traduite par « qui est comme toi » « Tu aimeras ton prochain qui est comme toi » « Tu aimeras ton prochain qui est un autre toi-même. » Lire cette injonction avec cette traduction, ça devient alors très intéressant.
Ça veut aussi dire : chaque être humain est comme toi, il a besoin d’être aimé, donc aime tous ceux que tu rencontres, sans trier ceux que tu veux aimer. Tous les autres sont comme toi, ils rêvent d’être aimés, ils ont besoin d’être aimés. Disons-le encore avec d’autres mots : cet autre qui est comme toi, justement parce qu’il est comme toi, c’est un pauvre… comme toi ! Alors aime-le, parce que les pauvres, ce dont ils ont le plus besoin, c’est d’être aimés. Cette manière de lire l’injonction de Jésus va aussi mettre une insistance sur la dignité de tout être humain. Chaque être humain est un être humain … comme toi ! Tu n’as donc pas à faire de différences en décidant d’aimer telle catégorie d’êtres humains et en délaissant telle autre. Ça veut aussi dire : chaque être humain est comme toi, il a besoin d’être aimé, donc aime tous ceux que tu rencontres.
Mais comme je le dis souvent, aimer, aimer en vérité, ce n’est pas l’envie qui nous manque, c’est la force ! Alors rappelons-nous que dans la Trinité, l’amour c’est le Saint-Esprit. St Augustin disait : le Père, c’est celui qui aime, le Fils, c’est celui qui est aimé et qui rend tout amour au Père et aux frères et le Saint-Esprit, c’est l’amour. Paul le disait déjà : l’amour a été répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous a été donné. Alors pour progresser dans l’amour, ne nous crispons pas sur des efforts impossibles, accueillons toujours plus le Saint Esprit.
Je suis désolé, mais vous avez gagné avec la machine à tubs : Jean Schultheis pour vous et rien pour moi. Je vous félicite.
En revanche, votre flamand rose m’inspire. Avez-vous déjà vu cet animal donner un coup de pied à un de ses confrères ? Et bien non, parce que lui n’est pas bête. En effet, s’il le faisait, il tomberait sur ses fesses car ne tient sur terre, en temps normal, que sur un pied.
L’homme devrait donc s’inspirer sur le flamand rose : chaque qu’il fait du mal à son prochain, en réalité, c’est l’offenseur lui-même qui tombe encore plus bas.
Pour terminer en prose,
À défaut de flamand rose,
Je vous propose
Allez j’ose
De regarder la panthère rose
Pour découvrir tous ces pots aux roses
En ces temps parfois bien moroses.