La 1° lecture est la suite de celle d’hier, j’espère que vous l’avez encore un peu mémoire … peut-être cette lecture n’a-t-elle pas été commentée car cette histoire de belle-mère et de belles-filles, ce n’est pas forcément l’actualité des jeunes qui participaient à la retraite lycéens. Je résume brièvement les faits. Noémi a perdu son mari, Élimélek. A cette époque, devenir veuve c’était, encore plus que maintenant, entrer dans une grande précarité. Bon, mais elle avait quand même de la chance puisqu’elle avait deux fils, Mahlone et Kilyone qui pouvaient s’occuper d’elle. Seulement voilà qu’ils meurent eux aussi, il ne lui reste donc plus que ses belles filles, Orpa et Ruth. Oui, mais ce sont des belles-filles et on sait que les relations belle-mère/belle-fille, c’est parfois un peu tendu !
Mais Noémi est une belle-mère extraordinaire. Quand elle voit Orpa, la 1° de ses belles-filles qui décide de la quitter pour rentrer dans sa famille, elle appelle Ruth et lui rend aussi sa liberté. Elle n’a pas cherché à inventer de fausses dernières volontés de son fils qui aurait demandé que Ruth puisse s’occuper d’elle jusqu’à sa mort. Non, courageusement, elle rend sa liberté à sa belle-fille. Et ce qui est extraordinaire, c’est que Ruth refuse cette liberté et choisit de rester avec Noémi, sa belle-mère. Eh bien, Dieu va bénir cette décision de Ruth.
En effet, parce qu’elle est restée avec sa belle-mère, elle va faire une très belle rencontre, celle de Booz et c’est la lecture que nous avons entendue. Le texte nous dit que Ruth était partie glaner dans les champs, au passage, ça dit leur extrême précarité : pour vivre, elles ne pouvaient compter que sur ce qu’allaient laisser les propriétaires pour les pauvres. C’était en effet une règle édictée par Dieu, il y avait une interdiction de tout moissonner pour les propriétaires qui devaient laisser un coin à glaner pour les pauvres. Je lis ce précepte du Lévitique : Quand vous ferez la moisson dans votre pays, tu laisseras un coin de ton champ sans le moissonner, et tu ne ramasseras pas ce qui reste à glaner. Tu abandonneras cela au pauvre et à l’étranger. Je suis l’Éternel, votre Dieu. Lévitique 23, 22. C’est ainsi que Ruth se retrouve à glaner sur le champ de Booz qui va dans un premier temps la protéger et ensuite l’épouser.
Tout cela pourrait paraitre anecdotique sauf que la fin du texte nous donnait un indice qui nous oblige à prendre au sérieux cette histoire. Il est né un fils à Noémi. Et elles le nommèrent Obed. Ce fut le père de Jessé, qui fut le père de David. Ce Obed ou Jobed, père de Jessé, lui-même père de David se retrouvera dans la généalogie de Jésus tel que Matthieu la rapporte : Salmone, de son union avec Rahab, engendra Booz, Booz, de son union avec Ruth, engendra Jobed, Jobed engendra Jessé. Jessé engendra le roi David. David… et au bout de la généalogie, il y a Jésus ! Et c’est ainsi que parmi tous les hommes qui composent cette généalogie, il y a 4 femmes qui vont être mentionnées Tamar, Rahab, Ruth et Bethsabée.
Ce n’est pas rien d’avoir son nom dans la généalogie de Jésus ! Permettez-moi de dire un mot sur ces 4 femmes. Tamar, c’est la femme forte qui refusera de se laisser imposer la loi des mâles. Rahab, c’était une prostituée mais qui aura le courage de cacher les envoyés de Josué pour qu’ils ne se fassent pas trucider. Bethsabée, c’est la femme « prise » ou même « violée » par David. Quant à Ruth, c’est cette étrangère extrêmement pauvre. La mention de ces femmes dans la généalogie de Jésus montre que le fils de Dieu, dans son incarnation, est venu tout assumer de l’histoire des hommes, les grandeurs et les bassesses, les situations glorieuses et tordues. Mais il faut aussi oser le dire, cette généalogie montre que Jésus avait du sang mêlé, il n’est pas 100% juif puisque Ruth était étrangère. La mention de Ruth nous montre que si Jésus est de descendance royale, de la lignée de David, il a aussi des pauvres, extrêmement pauvres dans sa lignée. Et quand Marie et Joseph viendront présenter Jésus au Temple, ils assumeront cette pauvreté de leurs ascendants puisque l’Evangile nous dit qu’ils offriront un couple de tourterelle, ce qui était l’offrande prévue par les pauvres. Les Pères de l’Eglise, notamment St Grégoire de Naziance, avaient posé ce principe : tout ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé. Nous le voyons, dans sa généalogie, Jésus a voulu tout assumer et Ruth, dans cette généalogie, permet à tous les pauvres, tous les étrangers de trouver leur place dans la famille de Jésus. Tous ceux qui les excluent, qui ne les respectent pas se mettent donc clairement en contradiction avec la volonté de Dieu qui a voulu les intégrer de manière si forte.
Quant à l’Evangile, il comporte deux parties.
La 1° nous met en garde contre l’hypocrisie, le contre-témoignage dont certains pharisiens étaient devenus les maitres. Ils disent et ne font pas. Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. Terribles accusations qui résonnent encore avec une actualité dramatique dans bon nombre d’affaires d’abus où les prédateurs étaient aussi les tenants d’une morale extrêmement stricte, chargeant les épaules des autres de fardeaux extrêmement pesants qu’eux ne portaient pas du petit doigt ! Nous en faisons la douloureuse expérience, le témoignage d’une vie lumineuse ne conduit pas toujours à la foi, par contre, ça se vérifie presque à chaque fois, le contre-témoignage éloignera, à coup sûr, de manière durable de la foi.
Dans la 2° partie, Jésus va donner un certain nombre de consignes que nous connaissons bien dont nous retenons surtout la parole concernant l’attribution du titre de Père à un homme. Et, à partir de là, on se demande s’il reste pertinent d’appeler les prêtres, Père. On peut toujours en discuter et remplacer ce titre de Père par celui de frère, pas de problème ! Mais les paroles de Jésus doivent aussi interroger les pères de famille qui se font appeler père, papa ! Elles doivent aussi interroger ceux qui appellent leur médecin docteur et les médecins qui acceptent ce titre ou encore les avocats qui acceptent le titre de maître. Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. Alors faut-il changer tous ces titres ? Je ne suis pas sûr que ça soit la meilleure réponse à cette demande de Jésus.
Au milieu de ces recommandations de Jésus, il y avait cette affirmation : vous êtes tous frères ! C’est une injonction de Jésus, un peu du même ordre que celle qu’il proononce lors de l’onction à Béthanie quand il dit : les pauvres, vous les aurez toujours avec vous ! Mc 14,7 C’est donc cela qu’il faut honorer, c’est l’exigence de fraternité que Jésus met en premier et ce ne sont pas forcément les titres qui empêchent de l’honorer, même si parfois, ils peuvent y contribuer. C’est d’abord le comportement qui tue fraternité, c’est le surplomb qui la rend impossible. Un grand ponte de la médecine, à l’hôpital, peut continuer à se faire appeler docteur ou professeur s’il sait, quand il le faut, s’assoir auprès de son patient, et prendre le temps d’expliquer à son patient sa maladie et les traitements qu’il met en route. Un avocat peut continuer à se faire appeler maître s’il sait écouter celui qui a recours à ses services et lui parler en termes non-techniques. Un prêtre peut encore être appelé père s’il se situe clairement comme frère au service de ses frères. Bref, le changement de titres pourrait être intellectuellement satisfaisant mais sans mettre en œuvre ce que Jésus demande à savoir que nous nous comportions tous comme des frères. D’autant plus que cette querelle sur les titres pourrait laisser entendre qu’il n’y a que ceux qui ont des titres qui ne jouent pas la partition de la fraternité alors que c’est loin d’être le cas, on peut n’avoir aucun titre et ne pas être champion de la fraternité en jugeant, en excluant, en dominant.
C’est sûrement la grâce que nous avons à demander après avoir écouté cet Evangile : pouvoir vivre en frères, donner le témoignage d’une communauté qui vit la fraternité.