26 février : 4° dimanche de carême. Les stratégies du tentateur

Je ne sais pas ce qui vous a été dit pour le mercredi des Cendres, mais je sais ce que j’ai dit à la communauté du Foyer de Bujumbura au Burundi puisque c’est avec eux que je célébrais cette entrée en carême. Je leur ai proposé de ne pas vivre le carême comme un championnat de mortification dont le but, toujours impossible à atteindre, serait d’éradiquer le péché de nos cœurs. Je leur ai plutôt proposé de vivre le carême comme un cœur à cœur avec le Seigneur pour que l’amour de son cœur passe dans notre cœur. Pour nettoyer une bouteille, ce qui va le mieux, c’est de faire couler à profusion de l’eau très chaude et c’est cette eau chaude qui fera sortir les impuretés de la bouteille. Le cœur à cœur avec le Seigneur sera donc bien plus efficace que tous nos efforts pour purifier les impuretés de nos cœurs, d’autant plus que l’amour qui se déverse de son cœur à notre cœur est abondant et brûlant. Toutefois, il me faut quand même être honnête, je ne peux pas dire qu’il n’y aura pas du tout d’effort à faire, il y en aura un et un seul : il nous faudra rester branchés sur le cœur du Seigneur et cela exigera que nous fassions des choix clairs et donc des renoncements également très clairs. Cette manière d’envisager le carême était en lien avec ce que j’avais pu dire dans les différents enseignements que j’ai donnés au cours de cette semaine St Valentin qui a réuni chaque jour plusieurs milliers de personnes. Vivre le carême comme un cœur à cœur intensif, voilà donc la perspective. 

Mais, évidemment, il y en a un qui va essayer de nous mettre des bâtons dans les roues, celui que l’Evangile de ce jour nomme le diable. Diabolos, en grec, ça signifie le diviseur, le séparateur. Nous voulons vivre profondément unis au Seigneur dans un cœur à cœur intensif et lui, il va chercher à nous séparer du Seigneur, à rompre cette belle unité que nous promettons de vivre. Pour cela, il va user d’un certain nombre de tentations, de manœuvres pour parvenir à ses fins. Avec les uns, il se sert de telle tentation et d’une autre tentation avec d’autres personnes. Il ajuste sa stratégie en fonction de nos personnalités, de nos faiblesses, de nos blessures qui ont ouvert certaines fragilités en nous et cela il le connait bien. Dans cette perspective, les lectures d’aujourd’hui vont être un véritable traité de combat spirituel. Les stratégies les plus habituelles du Tentateur nous sont dévoilées. Et, si elles nous sont dévoilées, c’est pour que, les connaissant, étant avertis, nous ne nous laissions pas avoir. J’en ai repéré 5 et je vous les partage rapidement.

La 1° stratégie, elle est dévoilée dans la 1° lecture et j’aime l’appeler la stratégie de l’arbre qui cache la forêt ! En créant le monde, le Seigneur a tout donné à l’homme et la femme, TOUS les fruits de TOUS les arbres sont pour eux. TOUS sauf UN. Si vous avez fait des maths, l’infini moins un, ça reste l’infini ! Mais le serpent qui veut faire douter de la bonté de Dieu va se débrouiller pour ne parler que du fruit de l’arbre interdit. Et il insinue que Dieu n’est pas si bon que ça puisqu’il n’a pas tout donné et c’est d’autant plus vrai que ce qu’il a gardé, c’est le meilleur ! Enfin, c’est ce que dit le serpent. Vous avez compris pourquoi j’appelle cette stratégie, l’arbre qui cache la forêt, un seul arbre interdit cache la forêt du don. Il serait très intéressant de chercher à comprendre pourquoi Dieu a posé un interdit et pourquoi c’est cet arbre de la connaissance du bien et du mal qui est interdit. Je l’ai fait à Bujumbura, mais je n’ai pas le temps de le faire dans cette homélie. En tout cas, méfions-nous quand nous commençons à ne plus voir que ce qui nous manque et que ça nous empêche d’être dans la gratitude pour ce que nous avons. Vous comprendrez facilement que ces désirs obsessionnels que le Tentateur entretient en nous vont peu à peu nous faire quitter le cœur à cœur avec le Seigneur pour aller chercher ce qu’il semble ne pas pouvoir ou ne pas vouloir nous donner et qui nous parait si désirable ! Nous savons que c’est une escroquerie, mais comme Eve et Adam, nous nous faisons avoir régulièrement en cédant à la convoitise qui nous empoisonne la vie.

La 2° stratégie, comme les suivantes, elle est dévoilée dans l’Evangile et elle revient 2 fois, c’est dire s’il aime l’utiliser ! Par 2 fois, le Tentateur va dire à Jésus : si tu es le Fils de Dieu, fais ceci et encore cela. La 1° stratégie consistait à nous faire douter de la bonté de Dieu, cette 2° stratégie va avoir conne deux faces inséparables, la 1° consiste à nous faire douter de notre identité profonde et la 2° à introduire la confusion. Quand on ne sait plus bien qui on est, on ne sait plus bien ce qu’on doit faire ! Il aime brouiller les cartes, semer la confusion. 

Il serait intéressant de voir comment cette stratégie est à l’œuvre aujourd’hui, notamment dans tout ce qui touche à la théorie du genre. Le règne de la confusion s’installe quand on ne sait plus clairement qui nous sommes. Mais revenons à l’Evangile ! Le diable sait très bien que Jésus est le Fils de Dieu, il le dira à plusieurs reprises dans l’Evangile. Pourtant, là il commence par émettre un doute puis, le doute instillé, il sème la confusion : si tu es vraiment Fils de Dieu, alors tu peux faire tout ce que tu veux ! Mais c’est précisément parce que Jésus est le Fils de Dieu qu’il ne fera pas n’importe quoi. Et c’est aussi parce que nous sommes les enfants de Dieu que nous ne ferons pas n’importe quoi pour que notre cœur reste branché sur le cœur du Seigneur.

La 3° stratégie, c’est celle du « tout et de suite » : ce que tu veux, il te le faut tout de suite ! C’est ce que nous suggère le tentateur. Or, grandir, c’est apprendre à gérer nos frustrations, le tentateur, lui, il veut nous faire régresser. Jésus s’est retiré dans une longue retraite, couplée avec un jeûne de 40 jours, pour se préparer à son ministère. Au sortir de ce temps, il a faim et ça se comprend bien, seulement voilà, il est encore dans le désert, ce désert rocailleux où il n’y a rien ! Le diable en profite et lui dit : tu as faim, mais où est le problème ? Il y a des pierres, pourquoi attendre ? Utilise tes supers pouvoirs et donne-toi tout ce qui te fait envie et tout de suite ! Mais Jésus n’est pas venu pour se servir, il est venu pour servir. Alors, cette tentation, elle est terrible quand elle survient à la chapelle, justement dans le moment où nous avons décidé de vivre le cœur à cœur ! Il s’y connait pour faire tourner dans nos têtes des idées que nous craignons d’oublier, des textos que nous estimons devoir être passés de toute urgence ! Si nous ne le stoppons pas très vite, il ne nous lâchera pas tant que nous n’aurons pas sorti notre smartphone ou tant que nous ne serons pas sortis de la chapelle pour aller faire tout de suite ce qui aurait bien pu attendre ! Il ne supporte pas les temps de cœur à cœur que nous prenons.

La 4° stratégie, le Tentateur va la déployer pour nous inviter à chercher notre propre gloire. Cette stratégie, il la connait bien puisqu’il l’a développée pour son propre compte. Créé pour louer le Seigneur avec les tous les autres anges, la théologie nous dit qu’il s’est révolté pour travailler à sa propre gloire, entrainant avec lui une kirielle d’anges déchus. Alors, il nous suggère de faire comme lui, de nous émanciper de la tutelle étouffante de Dieu pour récolter nous-mêmes les fruits de notre travail et chercher notre propre glorification. Cette tentation est insidieuse parce qu’elle peut vite se glisser dans toutes nos missions et nous faire tomber dans le piège de rechercher en permanence des compliments, de la reconnaissance. En un mot c’est ce qui arrive quand nous sommes plus préoccupés de succès que de fécondité. Il est évident que, pour travailler à son propre compte, il faut se couper du cœur à cœur. Mais, attention, les conséquences seront terribles parce que la gloire que promet le Tentateur à ceux qui travaillent à leur propre compte est aussi éphémère que la rosée du matin et quand elle disparait, elle nous plonge dans une profonde amertume, un terrible sentiment de vide.

Enfin, la 5° stratégie, c’est celle de l’idolâtrie : se prosterner devant n’importe quoi, n’importe qui pour accroitre sa renommée et, là encore, ça peut être très insidieux parce que nous n’allons pas toujours chercher notre renommée à nous, mais celle de notre paroisse, de notre Foyer. Mettre le doigt dans cet engrenage nous conduira forcément à devoir accepter pas mal de compromissions. Le père Amand du Burundi m’a expliqué que l’ancien président-dictateur avait voulu faire un gros don pour soutenir l’organisation coûteuse de ces semaines St Valentin. Il voulait bien donner beaucoup d’argent à condition de pouvoir faire un petit discours devant les participants quand il apporterait ostensiblement son don. Le père Amand a eu le courage de refuser, c’était évidemment un gros sacrifice financier, mais c’était aussi une prise de risques, il pouvait subir des représailles. La fidélité à l’Evangile est souvent coûteuse et exige des renoncements douloureux, mais c’est le prix à payer !

Nous voilà donc prévenus sur les stratégies principales qu’utilise le Tentateur, nous pourrons donc nous tenir sur nos gardes. Si vous vouliez en découvrir d’autres, car il en a beaucoup d’autres, il y a un excellent livre plein d’humour d’un certain Lewis : la tactique du diable. C’est l’histoire d’un vieux diable qui veut prendre sa retraite et qui initie un jeune diablotin en lui apprenant ses meilleurs coups ! C’est plein d’humour, mais aussi de sagesse !

Je conclus en soulignant cette bonne nouvelle extraordinaire que Paul nous transmet dans la 2° lecture en nous disant que le péché suggéré par le Tentateur n’aura jamais autant de rayonnement que le Salut, apporté en Christ. Avec tout ça, je suis presque arrivé à revenir à un format d’homélie pour les blancs !

Laisser un commentaire