26 juin : 13° dimanche temps ordinaire. Jésus était-il mal tourné ?

Est-ce que cet Evangile ne vous laisse pas une impression désagréable ? On se demande quelle mouche a pu piquer Jésus pour qu’il soit d’aussi mauvaise humeur ! D’abord, il y a Jacques et Jean qui se sont ramassés un bon ratichon, c’est une expression de chez moi pour dire que Jésus les a réprimandés. Parce que leur idée de faire tomber le feu du ciel sur ces villages qui ne les accueillaient pas, figurez-vous que c’était une idée biblique. Par deux fois le prophète Elie fera tomber le feu du ciel qui va foudroyer les envoyés du roi Ochozias et puis il y a ce fameux épisode que nous avons lu il n’y a pas si longtemps où Elie fait tomber le feu du ciel sur son sacrifice, humiliant ainsi les 450 prêtres de Baal qu’il égorgera pour conclure son coup d’éclat. Bon, d’accord, c’est une méthode pas très évangélique et on comprend facilement qu’elle ne plaise pas à Jésus. Mais il aurait d’abord pu féliciter Jacques et Jean pour leur connaissance des Ecritures puis leur expliquer tranquillement qu’on n’était plus au temps du prophète Elie. Mais là, manifestement Jésus est sous pression, et c’est ainsi que les apôtres ramassent leur ratichon !

Mais ce n’est pas fini, il y a 3 gars qui vont encore faire les frais de la mauvaise humeur de Jésus. Et sur ces 3 gars, le deuxième, lui, il n’y est vraiment pour rien ! Il n’a rien demandé, c’est Jésus qui l’appelle, et lui, généreusement, il accepte de répondre, il demande juste de pouvoir enterrer son père qui vient de mourir et, lui aussi, il ramasse son ratichon pour cette demande pourtant si légitime. Il en ira de même pour les deux autres, ils se proposent pour suivre Jésus, signe manifeste d’une grande générosité de leur part et ils prennent quand même un ratichon ! Il y a de quoi décourager même les plus généreux ! Vous connaissez la répartie de Ste Thérèse d’Avila : « Seigneur si c’est ainsi que vous traitez vos amis, ne vous étonnez pas de ne pas en avoir plus ! »

Cette manière très réaliste de lire l’Evangile nous oblige à ne pas en rester là. Il est possible que, dans son humanité, Jésus ait pu connaître des moments d’agacements, mais étant aussi pleinement Dieu, il n’est pas possible que, sous l’agacement, il ait pu blesser volontairement des personnes. Il convient donc de reprendre notre lecture pour l’approfondir en nous demandant sérieusement : quelle est la Bonne Nouvelle que contient ce texte ? La Bonne Nouvelle, ça ne peut pas être que Jésus était comme nous et qu’il y a des jours où il valait mieux ne pas l’approcher ! Non, ça ne peut pas marcher, la Bonne Nouvelle ne vient pas justifier nos médiocrités, elle nous tire vers le haut, elle nous appelle à des dépassements. Alors comment entendre ce texte d’Evangile ?

Il me semble que c’est la 1° phrase entendue dans la 2° lecture qui peut nous donner la clé pour comprendre l’attitude et les paroles de Jésus.  C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. Alors tenez bon, ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage. Oui, il me semble que c’est à la liberté que Jésus nous appelle dans ce texte. Jésus va donner sa vie pour que nous soyons libérés de l’esclavage du péché ; c’est pour cela que le texte nous précise que Jésus était sur la route de Jérusalem. Jésus paiera le prix fort pour que nous soyons libérés, mais nous, nous semblons prendre un malin plaisir à récupérer sans arrêt les chaines de nos esclavages. Je m’explique en reprenant une à une les situations évoquées dans ce texte d’Evangile.

C’est à la liberté que Jésus appelle Jacques et Jean. Ils n’ont pas été accueillis en Samarie, eh bien, qu’à cela ne tienne, il suffit de contourner le territoire et ils parviendront à Jérusalem, le but fixé. Nous gagnerons en liberté quand nous ne nous laisserons plus arrêter par les obstacles, apprenant, quand il le faut, à les contourner. On le voit bien dans les Actes des Apôtres, quand la leçon sera intégrée, tous les contre-temps deviendront des occasions favorables pour évangéliser des lieux où l’évangélisation n’avait pourtant pas été programmée ! C’est ce que Jésus veut enseigner à ses apôtres, profitant de ce refus qu’ils viennent d’essuyer. Ok me direz-vous, mais il aurait pu le faire plus tranquillement qu’en passant un ratichon à Jacques et Jean. Oui, mais il y a des moments où nous sommes si peu disposés à écouter, des moments où nous entêtons à développer nos idées sans nous laisser interroger par ce que les autres essaient de nous dire gentiment, pour notre bien, qu’il est nécessaire, toujours pour notre bien, qu’ils montent la voix. C’est sans doute ce que Jésus a été obligé de faire avec Jacques et Jean qui devaient avoir leur côté obstiné et un tantinet violent pour avoir hérité de ce surnom de Boanerguès, c’est-à-dire, les fils du tonnerre ! 

La Bonne Nouvelle, c’est que la leçon portera ses fruits, que Jésus a donc choisi la bonne méthode, avec Jacques, nous ne le savons pas bien, mais avec Jean, c’est manifeste ! Son attitude au cours de la passion est exemplaire, il n’y a plus une once de violence dans ses réactions.

Quant à l’attitude de Jésus avec les 3 autres, il me semble que c’est encore l’appel à la liberté qui peut expliquer les paroles qu’il leur a adressées.

  • Le premier, lui, il ne demande rien, sinon de pouvoir suivre Jésus. Nul doute que cette demande a dû réjouir le cœur de Jésus qui a lu dans cette demande une générosité qu’il aime. Mais il veut que les choses soient claires, il veut que l’homme puisse prendre une décision libre alors il ne lui cache rien des conditions de ceux qui vivent avec lui. Jésus n’est pas comme les mauvais agents immobiliers qui sont fiers de présenter un appartement témoin nickel et qui vendent ensuite une réalisation moins enthousiasmante ! Jésus veut préserver l’entière liberté de cet homme : voilà ce que tu auras à vivre si tu veux me suivre ! Quelle attitude magnifique de la part du Seigneur, quel respect étonnant de notre liberté ! C’est sûr qu’hier, comme aujourd’hui, il y a besoin d’ouvriers pour la moisson, mais le Seigneur ne les recrutera jamais en cultivant le flou pour mieux séduire ! Le respect absolu de la liberté des personnes appelées est ce qu’il y a de plus essentiel pour le Seigneur.
  • Le deuxième, comme je l’ai dit, lui, il ne demande rien, c’est Jésus qu’il appelle. Généreusement, il ne refuse pas l’appel et demande juste de pouvoir enterrer son père. Cette demande est tellement légitime, elle est en plus une manière de respecter jusqu’au bout le 5° commandement qui demande d’honorer ses parents. Alors pourquoi Jésus réagit ainsi en lui disant cette parole qui nous semble si dépourvue d’humanité : Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu. D’abord Jésus ne peut pas être dépourvu d’humanité, comment pourrait-il en être ainsi puisque Pilate formulera, à propos de Jésus, cette vérité inégalable : Voici l’homme ! Jn 19,5. Non, je crois que Jésus invite encore cet homme à la liberté. C’est comme s’il le prévenait qu’il aurait tout au long de sa vie de disciple à poser des choix crucifiants, ce premier choix sera peut-être le plus crucifiant, autant qu’il puisse voir d’emblée s’il est prêt. Par respect pour sa liberté, Jésus ne veut pas l’engager dans une histoire qui se terminerait tôt ou tard en eau de boudin !
  • Pour le 3° inutile de développer, vous avez compris le principe et je veux garder du temps pour évoquer la 1° lecture qui est comme en filigrane derrière cette demande du 3° homme.

Oui, il y en a un qui a compris ou à qui l’Esprit-Saint à fait comprendre l’attitude juste quand on veut répondre à l’appel du Seigneur, c’est Elisée. Quand Elie l’appelle par ce geste étonnant du manteau jeté vers lui, il demande, encore une fois très légitimement, à saluer ses parents. Apparemment Elie a accepté cette demande puisqu’on le voit donner un repas pour les siens. Par les mots employés, on comprend qu’Elie a accepté sans enthousiasme parce qu’il perçoit qu’une histoire qui commence avec une demande de dérogation, ça ne laisse rien augurer de génial … un peu comme un ouvrier qui demanderait déjà un acompte le jour de son embauche. Mais il accepte et c’est Elisée, lui-même qui comprend qu’il doit s’engager de manière plus radicale. C’est pourquoi il coupe tout possible retour en arrière. Le repas d’adieu sera fait avec son outil de travail : les bœufs qui labouraient seront mangés et cuits avec le bois de l’attelage. Elisée a compris sa fragilité et il préfère mettre tous les atouts de son côté en supprimant toute tentation de vivre en n’étant pas totalement donné. Quel courage et quelle lucidité ! Les jeunes qui se marient seraient bien inspirés d’en faire autant ! Un gars qui garde tous ses copains et qui cherche à les revoir le plus souvent possible, ça annonce déjà des problèmes ! De même pour un jeune qui répond à l’appel radical à suivre Jésus, il y a nécessairement des ruptures à opérer précisément pour rester libre de pouvoir continuer à donner un vrai oui.

Vous aurez remarqué que le texte d’Evangile ne donne aucune d’indication sur la réponse des 3 personnes comme pour nous dire : et toi, qu’aurais-tu demandé avant de dire oui ? Es-tu prêt à un oui sans condition qui manifestera que si je t’appelle ce n’est pas, avec le secret espoir, de t’en faire baver en te coupant de toute relation humaine gratifiante, si je t’appelle, c’est pour ton bonheur et pour que tu contribues au bonheur de tes frères. A chacun de nous de voir quel fil à la patte le retient encore l’empêchant de dire un vrai oui d’amour au Seigneur pour le service des frères.

Cette publication a un commentaire

  1. Jean Marc

    Quel belle homélie au lendemain de mon ordination diaconale !
    Appelé à la liberté ! Dire oui, c’est aussi choisir,et donc renoncer à certaines « choses ».
    Tout pour la gloire de Dieu et le salut du monde!

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