Concernant l’Evangile, le premier point qu’il me semble important de souligner, c’est que Jésus adresse ces paroles à ses disciples. Souvent les paroles d’avertissement un peu dures, ce qui est bien le cas des paroles entendues, c’est aux scribbles et pharisiens que Jésus les adresse. Là, ce n’est pas le cas, c’est à ses disciples qu’il les adresse, raison de plus pour nous, disciples pour aujourd’hui, d’être particulièrement attentifs à ces paroles d’autant plus qu’elles vont se révéler être d’une actualité étonnante.
Le deuxième point que je veux souligner, c’est l’unité de cette péricope. Il y a 3 paraboles et comme vous, sans doute, je n’ai pas eu de mal à voir le lien entre la première parabole concernant les aveugles qui ne peuvent se guider mutuellement et la deuxième qui développe l’image si bien connue de la paille et de la poutre. Il m’a fallu un peu plus de temps pour voir le lien avec la 3° qui parle de l’arbre et des fruits. En fait, il me semble que Jésus met ses disciples en garde contre un triple aveuglement possible, chaque parabole développant un aveuglement particulier.
Commençons par la 1° parabole et cette mise en garde contre la prétention que nous pourrions avoir à guider les autres sans être conscients de la part de cécité qui peut être la nôtre. Pour avoir été de nombreuses années dans un centre de vacances pour personnes non-voyantes, je me rappelle bien qu’il fallait rester vigilants car un gars qui avait à peine un dixième de vue à un œil ne se considérait pas forcément comme aveugle. Et je me souviens bien de Michel qui cumulait plusieurs handicaps et qui se proposait pour guider les aveugles quand on sortait ! Alors, oui, il pouvait le faire sur terrain plat, mais dès que ça devenait plus compliqué, il fallait veiller au grain ! Puisque cette parole s’adresse à ses disciples qui auront la mission de devenir des guides pour leurs frères en Eglise, nous voyons tout de suite la portée de cette mise en garde de Jésus. Seras-tu toujours suffisamment conscient de la part de cécité qui te handicape ? Accepteras-tu, toi aussi de te faire aider quand ça se compliquera ? Et l’une des raisons qui peut provoquer ce type d’aveuglement, c’est le succès qui finit toujours par éblouir et nous faire perdre le contact avec la réalité. Il ne s’agit évidemment pas de cultiver une culture de l’échec, mais de nous méfier de la recherche du succès, de la réussite à tout prix dans nos initiatives d’évangélisation. J’aime rappeler ce proverbe allemand que Benoit XVI citait souvent : le succès n’est pas un nom de Dieu. Méfions-nous donc quand nous devenons plus intéressés par le succès, la réussite que par la fécondité qui aura toujours un prix à payer puisqu’elle jaillit du passage par la croix.
Voilà donc de bonnes questions que nous pouvons nous poser au cœur de cette retraite. Et, comme pour enfoncer le clou, Jésus rajoute : Le disciple n’est pas au-dessus de son maître, c’est comme s’il voulait attirer notre attention sur le fait que, lui-même, a voulu s’entourer de disciples. Certes, ce n’était pas parce qu’il avait une part de cécité, mais parce qu’il a choisi d’avoir besoin des autres, pour partager sa mission et par là-même former ses disciples. Avons-nous la même humilité et la même détermination à nous entourer de frères, de collaborateurs ? Nous voyons régulièrement les conséquences dramatiques résultant du comportement inconscient de ces guides devenus aveugles qui veulent guider les autres.
La 2° parabole nous parle d’un autre aveuglement qui, lui, va résulter la plupart du temps de la médiocrité que nous avons laissé s’installer dans notre vie. C’est la fameuse histoire de la paille et de la poutre. Jésus n’exagère pas forcément, car une paille dans son propre œil prend la dimension d’une poutre. Je me rappelle bien cette intervention que j’avais eu par un ophtalmo qui devait m’enlever avec une fine aiguille de minuscules cailloux secrétés par les glandes lacrymales. Quand il a approché son aiguille, j’ai eu l’impression qu’il allait intervenir avec un véritable pieux !
Jésus ne fustige donc pas le fait que ses disciples aient eux aussi, comme tout le monde, une paille dans les yeux, il dit simplement que lorsqu’on en prend conscience, ce n’est pas le moment d’aller retirer celle qui se trouve logée dans l’œil de son frère ! Il est préférable de commencer à avoir recours à un frère qui ôtera notre paille afin que nous puissions rendre ce service à nos frères par la suite. Là encore, laissons-nous interroger sur la régularité de notre pratique du sacrement de réconciliation pour nous-mêmes sans laquelle l’exercice de ce sacrement pour les autres peut vite devenir périlleux.
Enfin le 3° aveuglement consiste à se laisser hypnotiser par la beauté apparente des fruits qui ne permet plus de rester lucides sur le piteux état de l’arbre. Et là, nous voyons tout de suite l’actualité de cette mise en garde. Nous avons été comme hypnotisés, en Eglise, sur la réussite de certaines communautés et cela nous a empêché de voir les graves problèmes sous-jacents. Le rapport Sauvé parle justement de signaux faibles qui n’ont pas été détectés. Mais, pour les détecter, il aurait fallu une parfaite acuité visuelle, il aurait fallu que notre regard ne soit pas faussé par cette fâcheuse habitude que nous avons de tout évaluer en fonction du nombre. C’est vrai que, trop souvent, quand nous nous retrouvons, c’est la 1° question que nous nous posons : combien y avait-il de personnes ? N’oublions jamais que dans la Bible, le recensement est un péché très grave ! Aveuglés par le nombre de vocations qui entraient dans certaines de ces communautés, les responsables d’Eglise et nous avec, nous n’avons pas su voir les signaux faibles, nous n’avons pas su entendre ce qui ne se disait qu’à demi-mots pour nous alerter sur le fait que le tronc était complètement pourri et qu’il était en train de gangrener le reste de l’œuvre.
Et pour que tout soit bien clair, Jésus rajoute : ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. En entendant certaines fadaises pour ne pas dire inepties, nous aurions dû être alertés sur les maladies graves qui avaient atteintes le cœur des responsables de certaines communautés et qui était en train de se propager et de gâter l’ensemble. Bien sûr que les paroles ne disent pas tout car elles peuvent être utilisées de manière trompeuse, mais une oreille aguerrie parvient toujours à détecter des indices qui doivent, comme on dit, mettre la puce à l’oreille !
Que tout cela nous serve de leçon pour que nous ne nous laissions plus hypnotiser par ces éléments quantitatifs qui risquent de complètement voiler notre jugement.
Aveuglement nous dit l’importance du regard.