Je ne sais pas comment vous imaginez la scène d’Evangile que nous venons d’entendre … parce que l’Evangile nous oblige souvent à imaginer étant donné qu’assez peu de détails nous sont donnés. Et imaginer, à partir de l’Evangile, ce n’est pas un péché, à condition que ce qu’on imagine ne soit pas farfelu ! Imaginer à partir de l’Evangile, c’est d’ailleurs ce que propose St Ignace à ceux qui font les exercices spirituels. Et c’est bien vu de sa part, en effet, il savait que l’imagination a besoin d’être canalisée dans la prière autrement elle nous emmène n’importe où ! Autant donc la mettre au service de la méditation en lui demandant d’imaginer l’Evangile.
Quand j’essaie d’imaginer cette scène, il y a deux scénarios possibles qui se présentent.
- 1° scénario, Mme Zébédée, la mère de Jacques et Jean est une vraie mère juive et elle vient supplier Jésus que ses fils aient les meilleures places. Si j’avais des dons d’imitateur, je vous jouerais la scène de la mère juive qui plaide la cause de ses fils avec ses fils, derrière, qui sont mal à l’aise face à la demande de leur mère. Mais je ne suis pas imitateur, alors faites jouer votre imagination pour entendre cette mère juive !
- 2° scénario, c’est Jacques et Jean qui vont trouver leur mère en lui disant : on aimerait tellement les premières places, mais si, nous, on va lui demander, il va nous remballer ! Vas’y, toi, il n’osera pas te remballer !
Personnellement, je penche pour le 2° scénario, les fils qui poussent leur mère. Et il me semble qu’il y a un indice dans le texte qui valide ce scénario. Quand Jésus répond à la demande qui vient de lui être adressée, il ne parle pas à la mère mais aux fils : vous ne savez pas ce que vous demandez, leur dit-il. Autrement dit, Jésus n’est pas dupe, il a bien compris que les fils ont poussé leur mère en avant, mais la demande, elle vient bien d’eux !
Peut-être avez-vous du mal à accepter ce scénario en disant : ce n’est pas possible, Jean, c’est le disciple bien-aimé, celui qui sera penché sur le cœur de Jésus au moment de l’institution de l’Eucharistie. Non, ce n’est pas possible qu’il ait une telle ambition ! Oui, c’est vrai Jean aura bien cette belle attitude au cours du repas pascal, mais il n’a pas toujours été comme ça. Rappelez-vous l’épisode où Jésus et ses apôtres ne sont pas reçus dans un village de Samarie, c’est bien Jacques et Jean qui proposent à Jésus de faire tomber le feu du ciel pour anéantir ce village ! Ce n’est pas pour rien qu’ils avaient hérité du surnom de Boanerguès, les fils du tonnerre, c’est sans doute parce qu’ils étaient assez impulsifs. Jean n’est pas qu’une figure d’icône, il a été comme les autres !
Le texte nous dit que les autres, entendant cette demande adressée à Jésus se sont indignés. Pourquoi se sont-ils indignés ? Là encore, il y a 2 possibilités qui ne s’excluent pas !
- 1° possibilité : ils s’indignent parce que cette demande est formulée à un bien mauvais moment ? Jésus vient d’annoncer sa mort prochaine. Oh, ce n’était pas la 1° fois qu’il leur en parlait, mais là, ça semble se préciser ! C’est peut-être pour cela que Jacques et Jean en concluent que c’est le de réserver les meilleures places ! C’est vrai que leurs préoccupations semblent bien déplacées au moment où Jésus annonce son départ qui va se faire dans de grandes souffrances et de grandes humiliations.
- Mais est-ce vraiment ce décalage qui pousse les autres apôtres à s’indigner ? Parce que, dans l’Evangile de Luc, nous verrons que c’est en plein cœur de l’institution de l’Eucharistie qu’une discussion vive s’élève entre eux pour savoir qui est le plus grand. Et là, ce n’est plus Jacques et Jean, c’est le groupe qui se chamaille. Donc 2° possibilité, ils s’indignent parce qu’il n’y a pas de raison que les meilleures places soient pour Jacques et Jean, chacun aspire à se retrouver à l’une des deux places d’honneur. Et peut-être que Pierre s’est indigné plus fort que les autres en disant : et moi qui suis le chef, vous croyez que je vais me contenter d’un strapontin ?
J’espère que cette lecture un peu iconoclaste ne vous scandalise pas ! Je pense que nous avons tout intérêt à faire une lecture réaliste des Evangiles, les apôtres n’étaient pas des anges, loin s’en faut ! Cette lecture réaliste que j’aime habituellement faire, elle m’a été particulièrement inspirée en ce lieu où la présence de Marie-Madeleine nous accompagne.
J’aime cette expression que le pape François cite souvent : « il n’y a pas de saint sans passé (et même sans passif !), et il n’y a pas de pécheur sans avenir ». Jean a pu être à l’origine d’une demande tordue formulée à un très mauvais moment parce qu’il n’y a pas saint sans passif. Mais il a sans doute retenu la leçon de Jésus et j’imagine volontiers que dans l’ultime discussion pour savoir qui était le plus grand, Jean n’a pas participé parce qu’il avait retenu la leçon ! C’est donc également bien vrai, il n’y a pas de pécheur sans avenir !
Evidemment cette parole illustre à merveille l’itinéraire spirituel de Marie-Madeleine : « il n’y a pas de saint sans passé et il n’y a pas de pécheur sans avenir ». Qu’elle intercède pour nous pour que nous osions présenter au Seigneur tout ce qui est tordu en nous afin d’accueillir sa miséricorde. Ainsi donc, pour nous aussi, il sera vrai qu’il n’y a pas de saint sans passé et il n’y a pas de pécheur sans avenir.
Merci père Roger, cette façon de lecture ne me scandalise pas, elle m’ inspire plutôt. Soyez bénis.