27 février : lundi 1° semaine de carême. Nous ne sommes pas tout à fait finis !

Vous avez entendu l’invitation que nous lançait le Seigneur dans la 1° lecture : Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. Et c’est parce que vous avez pris cet appel au sérieux que vous êtes venus en retraite cette semaine. Venir en retraite, ce n’est pas venir avec de petits objectifs qui consisteraient simplement à devenir meilleurs en montant d’un seul barreau l’échelle qui nous fait sortir de la médiocrité. Non, à l’appel du Seigneur, nous voulons devenir des saints, et c’est pour le devenir que nous monterons tout au long de cette semaine sur les épaules des géants de l’évangélisation. Nous savons, en effet, que seuls des chrétiens au cœur de feu pourront rallumer dans le monde l’amour qui s’éteint. Rallumer dans le monde l’amour qui s’éteint, c’était ce que Jésus avait demandé à Marthe Robin et c’est pour répondre à cet appel qu’avec l’aide du père Finet, elle a fondé les Foyers de Charité. Oui, seuls des chrétiens au cœur de feu pourront rallumer l’amour qui s’éteint dans le monde, pas les tièdes ! Vous êtes donc venus pour rallumer l’amour dans vos cœurs afin de vous rendre plus capables de ranimer l’amour dans le monde. Or, un chrétien au cœur de feu, ce n’est rien d’autre qu’un saint.

Mais voilà, parfois, quand nous entendons cet appel à la sainteté, nous nous sentons disqualifiés en disant : je suis tellement loin d’être parfait que ce n’est pas pour moi ! Mais, Dieu soit loué, la sainteté n’a rien à voir avec la perfection ; vouloir devenir saint, ce n’est pas vouloir devenir parfaits. Le pape François aime d’ailleurs citer cette parole pleine d’humour et de bon sens : les saints ont tous un passé et les pécheurs ont tous un avenir ! Je dirai même que les saints ont non seulement un passé mais aussi un passif et pas toujours très glorieux. En effet, les plus grands saints étaient des pécheurs et les plus grands pécheurs peuvent devenir de grands saints, l’exemple du bon larron est tellement stimulant de ce point de vue. Car, si je peux m’exprimer ainsi, il est le 1° locataire attesté du Royaume de Dieu ! Ne confondons jamais sainteté et perfection ! 

Même quand Jésus nous invitera, dans l’Evangile, à devenir parfaits comme le Père du ciel, il ne nous invitera pas à la perfection ! En effet, quand Jésus dit : devenez parfaits comme votre Père du ciel, c’est comme s’il disait : laissez-vous parfaire par le Seigneur. Le cardinal Barbarin, dans la retraite qu’il a prêchée ici, il y a quelques temps, a commenté cette parole en précisant que le mot grec qui était utilisé désignait plus la finalité que la perfection. Autrement dit, quand Jésus dit : laissez-vous parfaire, c’est comme s’il disait : vous n’êtes pas finis, alors laissez Dieu vous finir ! Quand on dit à quelqu’un qu’il n’est pas fini, habituellement, ce n’est pas un compliment ! Mais, là, dans la bouche de Jésus, ce n’est évidemment pas une parole méprisante, c’est une invitation : laissez le Père du ciel vous parfaire, laissez-le vous finir, ajuster votre pauvre amour à son grand amour. C’est bien ce que vous allez demander au Seigneur dans cette semaine de retraite et nous tous, dans la communauté, nous allons prier pour vous, afin que vous acceptiez de vous remettre entre les mains du Seigneur comme l’argile entre les mains du potier. Si le potier céleste vous reprend en mains, c’est pour vous parfaire, vous finir.

Ayant bien précisé cela, je dis quand même un mot de cette 1° lecture. Vous aurez remarqué que la sainteté à laquelle le Seigneur nous invite n’est pas une sainteté que je qualifierai de « religieuse ». Il ne nous demande pas d’abord de passer des heures en prière, il nous demande de vivre une sainteté bien concrète, bien incarnée qui se révèle finalement être un autre mot de la charité, mais d’une charité vécue jusqu’au bout. Alors bien sûr, comme nous en sommes incapables par nos propres forces, nous ne pouvons qu’aller vers le Seigneur, comme des pauvres mendier ces moments de cœur à cœur avec lui pour que l’amour de son cœur passe dans notre cœur, pour qu’il vienne parfaire notre amour. Cette semaine, ne mesurez pas les moments que vous passerez devant le Seigneur lui demandant de vous parfaire. Ces moments de cœur à cœur, j’aime les présenter comme une mise à jour. Vous savez dans vos smartphones, si vous en avez, vous avez des applications qui, de temps en temps, nécessitent une mise à jour pour obtenir la dernière version. Eh bien, dans le cœur à cœur avec le Seigneur, c’est ce qui se passe, même si je ne ressens rien, je me présente à Lui en lui disant : je me rends disponible, fais les mises à jour qui s’imposent pour que mon amour soit restauré par la dernière version de ton amour !

Quant à l’Evangile, il est très beau, particulièrement pour ceux qui sont en mission auprès des plus pauvres : tout ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. Quel encouragement de savoir que c’est Jésus, lui-même, que l’on soigne, que l’on réconforte quand on se met au service des plus petits, de tous ces blessés de la vie, que la société de performance dans laquelle nous vivons, laisse au bord du chemin. 

Très bel Evangile, mais un peu flippant, comme disent les jeunes ! Je me rappelle ces funérailles d’un ami que j’avais célébrées. Je m’excuse pour la communauté qui a déjà dû entendre cette histoire, mais, elle nous aidera à entrer dans une meilleure compréhension du message que Jésus veut nous adresser.

L’épouse de mon ami, avait choisi de prendre cet Evangile du jugement dernier pour les funérailles de son mari, Jean. Elle l’avait choisie parce que c’était le texte qu’ils avaient pris pour leur mariage, voulant justement signifier qu’ils souhaitaient que leur couple reste tourné vers les petits. D’ailleurs, parvenue à la retraite, depuis quelques mois, elle est devenue trésorière du Secours Catholique dans mon diocèse. Le choix de cet Evangile était donc un très beau rappel de ce qu’ils avaient voulu pour leur vie de couple : tout ce que vous aurez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’aurez fait. Mais en préparant, et en pensant à toutes les personnes loin de la foi qui viendront aux funérailles, m’est venue cette question : que vont penser ces personnes en entendant cette autre parole : tout ce que vous n’aurez pas fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous ne l’aurez pas fait, parole qui semble se conclure par cette décision irrévocable : Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges !

Quand Bénédicte m’avait annoncé le choix de cet Evangile et les raisons de ce choix, j’étais plutôt enthousiaste à l’idée de pouvoir souligner dans mon homélie comme il est beau de voir un couple qui, au jour de son mariage, promet de rester ouvert aux autres et plus particulièrement aux plus petits et qui dans ce moment tragique veut renouveler cet engagement. Mais voilà, maintenant, j’étais paralysé dans ma préparation à l’idée des questions que ces personnes loin de la foi pourraient se poser : notre ami Jean que nous accompagnons, de quel côté sera-t-il, la vie éternelle ou le châtiment éternel ? Parce que sa vie, même si elle a été belle, n’aura forcément pas été qu’exemplaire, comme la nôtre d’ailleurs ! Du coup le questionnement rebondit : et nous, de quel côté serons-nous ? De quel côté penchera la balance ? Parce que, même si nous avons fait beaucoup de bien, il y a tous ces péchés par omission que nous avons commis et qui sont, de loin, les plus nombreux et les plus lourds : tous ces regards que nous n’avons pas posés sur ceux qui mendiaient un peu de fraternité, tous ces partages que nous n’avons pas effectués alors que nous en avions les moyens. Certes, nous croyons que Dieu est miséricorde, mais il y a quand même ce texte qui parle d’un jugement et d’un partage entre les bons et les mauvais.

J’ai supplié le Seigneur de m’éclairer pour que je trouve les bons mots qui pourraient rendre compte de ce qu’est ma foi, cette foi qui alimente mon espérance fondamentale. Et, comme toujours le St Esprit m’a éclairé ! Il m’a rappelé ce dernier très beau moment de qualité que j’avais pu passer avec Jean avant que sa maladie ne s’aggrave. Il venait d’être opéré, je suis allé le voir, je me rappelle, c’était la veille de Pâques, étant aumônier de jeunes à plein temps, je n’étais pas surchargé par la préparation et la célébration des fêtes pascales. Je vais donc le voir à l’hôpital et, miraculeusement, nous avons été seuls toute l’après-midi, sa famille se préparait à venir le voir le lendemain, l’hôpital était assez loin de chez eux. Nous avons beaucoup parlé et avant que je ne parte, Jean me dit cette parole extraordinaire qui restera gravée dans mon cœur : « Le chirurgien a fait un merveilleux travail en m’enlevant cette tumeur, mais il n’a pas tout enlevé parce qu’il ne pouvait pas tout enlever. Il y a une partie que, toi seul, tu peux enlever par ton ministère de prêtre, je veux parler de la tumeur du péché. Alors, puisqu’on est à la veille de Pâques, je vais me confesser et tu vas me donner le pardon. » Quel moment intense, nous avons pu vivre en cette veille de Pâques, oui, un moment à tout jamais gravé dans mon cœur.

Le fait de repenser à tout cela a illuminé mon esprit et, le jour des Funérailles, j’ai osé raconter cela en disant : « désormais, Jean est entre les mains du grand chirurgien de l’amour car la frontière entre le bien et le mal ne passe pas entre les hommes, séparant les bons des méchants, car personne n’est que bon ou que méchant, cette frontière passe dans le cœur de chacun. » Du coup, ce jugement que Jésus annonce est une vraie bonne nouvelle puisqu’il nous annonce que nous passerons tous entre les mains du grand chirurgien de l’amour pour que nous ne trainions pas éternellement cette tumeur du mal qui nous ronge. Dieu, dans son amour infini, veut que nous puissions goûter sans retenue à l’amour éternel dans lequel il veut nous plonger, c’est pour cela, qu’au soir de notre vie, il prendra son grand tablier de chirurgien de l’amour et se mettra au travail pour que nous soyons enfin libres d’aimer. Profitez de cette retraite pour vous remettre, déjà, entre les mains du grand chirurgien de l’amour, ça lui facilitera le travail pour le jour où vous paraitrez devant Lui.

Cette publication a un commentaire

  1. Franchellin Jean Marc

    C’est mon plus grand désire, mourir en paix. Merci Roger de ce beau témoignage. J’ai aussi souvent cet évangile pour les funérailles que je célèbre, et redis ce que mère Térésa disait :prendre la main d’un enfant pour traverser la route c’est prendre la main de jésus.. Ou :donner un verre d’eau à l’un de ces petits qui sont les miens c’est à moi que vous l’avez fait. Il n’y a pas de petit geste d’amour.
    Ce passage d’évangile raisonne en moi car, il m’a ouvert le cœur pour donner du sens à ma vie et notamment accepter d’être aumônier de prison durant 12 années.
    (à peine de retour en France et déjà une retraite prêcher)!

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