Nous approchons des jours saints et nous voyons bien que les textes se font plus précis en nous faisant méditer la fin prochaine de Jésus. La 1° lecture expliquait très bien cette haine grandissante des responsables du peuple juif à l’égard de Jésus ; je ne retiens que ces quelques mots : « sa seule présence nous pèse ; car il mène une vie en dehors du commun. » Et dans l’Evangile ce qui m’a frappé, c’est cette concomitance entre la fête des Tentes et le désir des responsables de passer à l’acte pour supprimer Jésus.
La fête des tentes appelée aussi fête des cabanes, Soukkôt en hébreu, était une fête qui durait une semaine. Elle voulait aider le peuple juif à ne pas oublier ce qui s’était passé au désert. Quand ils n’avaient rien, quand ils étaient dans cette situation si précaire, ils ont fait l’expérience que Dieu était là avec eux, marchant avec eux, prenant soin d’eux. Ils n’avaient rien, mais ils ne manquaient pas de l’essentiel. Alors pour ne jamais oublier, dès leur installation en Terre promise, alors qu’ils s’étaient construit des maisons, ils étaient invités à vivre une semaine par an sous une tente. Le grand risque, c’était d’oublier la bonté de Dieu et pire encore d’oublier Dieu-lui-même à cause de la prospérité. Aujourd’hui encore, les juifs pieux vivent une semaine par an sous une tente qu’ils montent dans la salle à manger de leur maison, sur le balcon de leur appartement. J’étais une fois en Israël au moment de cette fête et c’était très touchant de voir toutes ces tentes, ces cabanes un peu partout.
Eh bien, c’est au moment où le peuple se préparait à vivre cette fête que les responsables décident que ça a assez duré et qu’il faut en finir avec Jésus. C’est quand ils se préparent à vivre sous la tente pour ne pas oublier les bienfaits de la présence de Dieu qu’ils décident de supprimer Jésus, Dieu-avec-nous ! Quelle incohérence ! C’est ça le ritualisme, c’est célébrer sans se laisser toucher, transformer par ce que nous célébrons. C’est célébrer des rites et souvent en étant même extrêmement scrupuleux sur la manière de les célébrer en ayant oublié d’où ils viennent et où ils nous conduisent. Puissions-nous, en Eglise, ne jamais tomber dans ce ritualisme ! Ne soyons pas oublieux !
Je méditais là-dessus ce matin quand j’ai reçu ce texte que Sophie m’a transmis. J’y ai vu comme un « clin Dieu » Ce que nous sommes en train de vivre, il faudrait que jamais nous ne l’oubliions. Il ne faudrait pas faire comme les juifs qui ont fait des 40 ans au désert une parenthèse vite refermée même s’ils continuaient à en célébrer le souvenir ! Que nos 40 jours de confinement, car ça risque bien d’être ça, ne soient pas une parenthèse à refermer le plus vite possible. Ne soyons pas oublieux ! Je vous lis ce texte, un peu long mais si beau qui me permet de faire une petite pause dans la préparation des homélies !
« Et tout s’est arrêté… Ce monde lancé comme un bolide dans sa course folle, ce monde dont nous savions tous qu’il courait à sa perte mais dont personne ne trouvait le bouton « arrêt d’urgence », cette gigantesque machine a soudainement été stoppée net. A cause d’une toute petite bête, un tout petit parasite invisible à l’œil nu, un petit virus de rien du tout… Quelle ironie ! Et nous voilà contraints à ne plus bouger et à ne plus rien faire. Mais que va t-il se passer après ? Lorsque le monde va reprendre sa marche ; après, lorsque la vilaine petite bête aura été vaincue ? A quoi ressemblera notre vie après ?
Après ? Nous souvenant de ce que nous aurons vécu dans ce long confinement, nous déciderons d’un jour dans la semaine où nous cesserons de travailler car nous aurons redécouvert comme il est bon de s’arrêter ; un long jour pour goûter le temps qui passe et les autres qui nous entourent. Et nous appellerons cela le dimanche.
Après ? Ceux qui habiteront sous le même toit, passeront au moins 3 soirées par semaine ensemble, à jouer, à parler, à prendre soin les uns des autres et aussi à téléphoner à papy qui vit seul de l’autre côté de la ville ou aux cousins qui sont loin. Et nous appellerons cela la famille.
Après ? Nous écrirons dans la Constitution qu’on ne peut pas tout acheter, qu’il faut faire la différence entre besoin et caprice, entre désir et convoitise ; qu’un arbre a besoin de temps pour pousser et que le temps qui prend son temps est une bonne chose. Que l’homme n’a jamais été et ne sera jamais tout-puissant et que cette limite, cette fragilité inscrite au fond de son être est une bénédiction puisqu’elle est la condition de possibilité de tout amour. Et nous appellerons cela la sagesse.
Après ? Nous applaudirons chaque jour, pas seulement le personnel médical à 20h mais aussi les éboueurs à 6h, les postiers à 7h, les boulangers à 8h, les chauffeurs de bus à 9h, les élus à 10h et ainsi de suite. Oui, j’ai bien écrit les élus, car dans cette longue traversée du désert, nous aurons redécouvert le sens du service de l’Etat, du dévouement et du Bien Commun. Nous applaudirons toutes celles et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont au service de leur prochain. Et nous appellerons cela la gratitude.
Après ? Nous déciderons de ne plus nous énerver dans la file d’attente devant les magasins et de profiter de ce temps pour parler aux personnes qui comme nous, attendent leur tour. Parce que nous aurons redécouvert que le temps ne nous appartient pas ; que Celui qui nous l’a donné ne nous a rien fait payer et que décidément, non, le temps ce n’est pas de l’argent ! Le temps c’est un don à recevoir et chaque minute un cadeau à goûter. Et nous appellerons cela la patience.
Après ? Nous pourrons décider de transformer tous les groupes WhatsApp créés entre voisins pendant cette longue épreuve, en groupes réels, de dîners partagés, de nouvelles échangées, d’entraide pour aller faire les courses où amener les enfants à l’école. Et nous appellerons cela la fraternité.
Après ? Nous rirons en pensant à avant, lorsque nous étions tombés dans l’esclavage d’une machine financière que nous avions nous-mêmes créée, cette poigne despotique broyant des vies humaines et saccageant la planète. Après, nous remettrons l’homme au centre de tout parce qu’aucune vie ne mérite d’être sacrifiée au nom d’un système, quel qu’il soit. Et nous appellerons cela la justice.
Après ? Nous nous souviendrons que ce virus s’est transmis entre nous sans faire de distinction de couleur de peau, de culture, de niveau de revenu ou de religion. Simplement parce que nous appartenons tous à l’espèce humaine. Simplement parce que nous sommes humains. Et de cela nous aurons appris que si nous pouvons nous transmettre le pire, nous pouvons aussi nous transmettre le meilleur. Simplement parce que nous sommes humains. Et nous appellerons cela l’humanité.
Après ? Dans nos maisons, dans nos familles, il y aura de nombreuses chaises vides et nous pleurerons celles et ceux qui ne verront jamais cet après. Mais ce que nous aurons vécu aura été si douloureux et si intense à la fois que nous aurons découvert ce lien entre nous, cette communion plus forte que la distance géographique. Et nous saurons que ce lien qui se joue de l’espace, se joue aussi du temps ; que ce lien passe la mort. Et ce lien entre nous qui unit ce côté-ci et l’autre de la rue, ce côté-ci et l’autre de la mort, ce côté-ci et l’autre de la vie, nous l’appellerons Dieu.
Après ? Après ce sera différent d’avant mais pour vivre cet après, il nous faut traverser le présent. Il nous faut consentir à cette autre mort qui se joue en nous, cette mort bien plus éprouvante que la mort physique. Car il n’y a pas de résurrection sans passion, pas de vie sans passer par la mort, pas de vraie paix sans avoir vaincu sa propre haine, ni de joie sans avoir traversé la tristesse. Et pour dire cela, pour dire cette lente transformation de nous qui s’accomplit au cœur de l’épreuve, cette longue gestation de nous-mêmes, pour dire cela, il n’existe pas de mot.