L’Evangile de ce jour nous interpelle de manière très forte et nous oblige à nous interroger. Ne pourrait-il pas nous arriver, comme aux pharisiens, à cause de nos contre-témoignages, de fermer à clé, pour ceux qui cherchent à y entrer, la porte du Royaume des Cieux. Ça peut être à cause de nos actions, parfois si peu ajustées, ou encore par nos paroles ou nos regards sans miséricorde, mais c’est encore plus fréquemment à cause de nos omissions. Demandons la grâce, à la suite de Jésus et de Pierre, recevant le ministère des clés, comme nous l’avons vu hier, d’être du côté de ceux qui ouvrent et jamais du côté de ceux qui ferment, qui enferment.
Puisque nous fêtons St Augustin et que mes activités deménagementeuses ne me permettent pas vraiment de préparer une homélie, j’aimerais vous relire cette si belle page des Confessions dans laquelle St Augustin raconte combien il a été lent à entrer dans un mouvement de conversion véritable. Je lis cette page telle que la commente le père Cantalamessa, il y a donc du St Augustin et du père Cantalamessa et les deux sont bons !
Il s’agit de céder sa liberté à Dieu, en lui disant : » Pour toute chose, quelle qu’elle soit, je te dis oui ! » Le vieil homme réagira. Il dira de toutes ses forces : « Tout, mais pas ma liberté ! » Saint Augustin a connu cette lutte entre les deux volontés, et il a dû comme s’arracher à lui- même pour se jeter dans les bras de Dieu : » Jette-toi en Lui, n’aie pas peur, il ne se retirera pas, il ne te laissera pas tomber » (Confessions VIII, 11). Ce qu’il dit peut aider ceux qui se trouvent dans la même situation : d’une part le désir d’une vie nouvelle et le désir d’avoir part à la joie qu’ils voient chez les frères les attirent, et d’autre part les vieilles habitudes et la peur d’être obligés à renoncer à telle ou telle chose s’ils se convertissent, les retiennent. Pour aider ces frères je vais citer la page ou Augustin décrit le combat entre la chair (le vieil homme) et l’esprit (l’homme renouvelé) : » Je m’accusais moi-même plus âprement que jamais, je me retournais et me débattais dans ma chaîne jusqu’à ce que je la brisasse tout entière. Elle ne me retenait qu’à peine, elle me retenait pourtant. Et vous me pressiez, Seigneur, dans le secret de mon âme, et votre sévère miséricorde, redoublant ses coups, me frappait des fouets de la peur et de la honte, afin que je n’abandonnasse pas de nouveau, que fût brisée ma mince et légère chaîne, et qu’elle ne reprit pas force pour m’enserrer plus énergiquement. » Dans mon for intérieur, je me disais : “A l’œuvre, plus de retard, plus de retard.” Ces paroles m’entraînaient à la décision. J’étais sur le point d’agir et je n’agissais pas. Après un nouvel effort, j’y étais, il ne s’en fallait plus que de peu, oui de peu, je touchais au but, je le tenais, et voilà que je n’y étais pas, que je ne touchais pas au but, que je ne le tenais pas hésitant à mourir à la mort, à vivre de la vie. Le mal invétéré avait plus de prises sur moi que le bien dont je n’avais pas l’habitude ; et, plus approchait le moment où j’allais devenir un autre homme, plus il me frappait d’effroi, sans pourtant me faire revenir sur mes pas ni me détourner de mon chemin : il me tenait seulement en suspens.
“ Ce qui me retenait, c’étaient des bagatelles de bagatelles, des vanités de vanité, mes anciennes amies : elles me tiraient par mon vêtement de chair en murmurant : “Tu nous renvoies ? Dès ce moment, nous ne serons plus jamais avec toi, et dès ce moment tu ne pourras plus faire ceci ou cela, plus jamais ?” Et ce qu’elles me suggéraient dans ce que je viens d’appeler ceci et cela, ce qu’elles me suggéraient, mon Dieu ! Que votre miséricorde en écarte la pensée de l’âme de votre serviteur ! Quelles saletés ! quelles hontes, ces suggestions ! Et encore je n’entendais pas même à moitié leurs propos : car elles ne se présentaient pas en face, comme de loyales adversaires, mais c’était par-derrière et à voix basse qu’elles me parlaient et, si je tentais de m’éloigner elles me pinçaient furtivement pour me forcer à me retourner. Elles me retardaient toutefois, car j’hésitais à m’arracher d’elles, à m’en défaire pour répondre à l’appel qui m’attirait, et la tyrannique habitude me disait : “Crois-tu que tu vas pouvoir vivre sans elles ? ” (Confessions, VIII, 11 G.F., Flammarion, p. 172-173).
Commentaire du père Cantalamessa dans « la sobre ivresse de l’Esprit » Tome 1 p. 50-51-52.
Pendant ce combat intérieur, saint Augustin a beaucoup été aidé par la pensée du troupeau de ceux qui avaient suivi le Christ : des jeunes gens, des jeunes filles, des soldats, des personnes âgées, et il se disait : » Si eux, ils ont pu, pourquoi pas moi ? » Cette pensée peut aider tous ceux qui hésitent et tergiversent : » Pendant combien de temps encore dirai-je : demain, demain ? Pourquoi pas maintenant ? Pourquoi cet instant même ne marquerait-il pas la fin de ma vie triste et inutile, loin de Dieu ? Peut-être, auras-tu pris bien des fois ton élan pour sauter au- delà du fossé, pour traverser ta petite mer Rouge, et ensuite te retrouver dans la liberté de la Terre Promise, hors d’Égypte, mais peu à peu ton élan a faibli et tu t’es arrêté sur la ligne de départ, du côté de l’Égypte. Maintenant le Seigneur t’invite à recommencer en mettant ta confiance non pas en toi, mais en son Esprit Saint. Avec lui tu vas y arriver. Prends ton élan et ne t’arrête pas tant que tu ne seras pas dans les bras du Père qui t’attend…