18 novembre : jeudi 33° semaine ordinaire. Comment sortir de la violence ?

Au premier jour de notre retraite, nous avons admiré l’ardeur de ces juifs zélés qui ont organisé la révolte de juifs pieux et fidèles qui refusaient d’entrer dans le mouvement d’apostasie dans lequel le tyran Antiochos Epiphane voulait les pousser. Le mardi, nous avons admiré le vieux scribe Eléazar qui préférait mourir que d’accepter des compromis indignes. Hier, nous avons admiré cette mère courage qui a accompagné au don suprême de leur vie chacun de ses 7 enfants de manière tellement belle qu’elle est devenue comme une figure annonçant la Vierge Marie au pied de la croix. Pouvons-nous avoir la même admiration pour Mattathias qui nous était présenté dans la 1° lecture. Certes, il a été courageux, mais sa manière de réagir nous laisse quand même pour le moins songeurs ! Est-ce que Dieu lui demandait vraiment d’égorger sur l’autel des sacrifices ce frère juif qui le provoquait en offrant ostensiblement un sacrifice impie ? Est-ce que Dieu lui demandait vraiment de tuer à la suite l’envoyé du roi qui voulait le remettre dans le rang ? C’est là qu’on mesure l’écart qu’il peut y avoir entre le Premier Testament et l’action de Jésus, lui-même. Soumis à la même violence, Jésus ne réagira pas comme Mattathias, il préférera donner sa vie plutôt que de supprimer la vie de ceux qui voulaient le faire taire. 

Alors vous pourriez me dire : oui, mais c’était Jésus et Jésus, il était Fils de Dieu, il y a donc un écart abyssal entre lui et nous ! Comment, dans notre faiblesse, dans notre fragilité, pourrions-nous imaginer réagir comme Lui ? Pourtant c’est bien ce qu’ont fait les martyrs ! Et les martyrs n’étaient pas tous nés avec des gênes de héros immunisés contre la souffrance et la peur ! J’aime beaucoup la relation qui nous est faite du martyr de Ste Félicité. Cette jeune femme était enceinte de huit mois lorsqu’elle avait été arrêtée. Peu avant d’être livrée aux bêtes pour les jeux du cirque, Félicité est prise par les douleurs, l’accouchement sera tellement difficile que la souffrance lui arrache des cris terribles. Un garde lui dit pour se moquer d’elle : « Si tu te plains déjà, que feras-tu quand tu seras exposée aux bêtes ? » Elle lui fit cette réponse magnifique : « Maintenant, c’est moi qui souffre ; mais demain il y en aura un autre qui souffrira pour moi, parce que je devrai souffrir pour lui. » C’est tellement juste ! Ce qui fait la grandeur de tous les martyrs ce n’est pas d’avoir eu la force de mourir en héros, c’est d’avoir cru que Dieu pouvait transformer un pauvre en témoin car je vous rappelle qu’en grec, martyr signifie témoin. La leçon que nous donnent les martyrs, c’est que la grâce peut saisir tous ceux qui, conscients de leur pauvreté, s’en remettent totalement à la puissance du Saint-Esprit pour vivre l’Evangile jusqu’au bout.

Je n’accable donc pas ce pauvre Mattathias qui ne pouvait pas le savoir, mais nous qui venons après Jésus, nous qui avons reçu le Saint-Esprit, nous le savons, est-ce que nous le croyons vraiment ? Ceux qui croient vraiment deviennent des témoins lumineux. A la fin de l’été, nous recevions, à Tressaint, des lycéens qui venaient faire une retraite. Je leur ai parlé d’un de ces témoins lumineux qui m’a tellement impressionné parce que j’ai eu la chance de le rencontrer quand j’étais au séminaire. Il s’agit de Jean Goss, qui est mort mainte maintenant et qui est très peu connu alors que son témoignage est bouleversant et qu’il aura eu une grande fécondité puisqu’il sera à l’origine de la propagation, en France, d’un grand mouvement : la non-violence active. Ce mouvement de non-violence n’est pas né avec Jean Goss, le Mahatma Ghandi et le pasteur Martin Luther King en sont les grandes figures au plan mondial. Mais en France, c’est Jean Goss qui a essayé de populariser leurs idées et d’inviter les croyants à suivre Jésus sur ce chemin qui consiste à préférer donner sa vie plutôt que de prendre la vie des autres, principe qui est à la base de cette non-violence active et qui est un principe, vous en conviendrez qui ressemble plus à l’Evangile que l’attitude de Mattathias !

Permettez-moi donc de vous présenter brièvement Jean Goss car il mérite d’être connu. On trouve encore quelques vidéos de lui sur internet et on ne perd pas son temps quand on écoute ce qu’il dit ! C’était un homme issu d’une famille très pauvre qui a dû travailler très jeune en faisant des métiers difficiles pour aider sa famille à survivre. Témoin de tant d’injustices dans le monde du travail, il est devenu un syndicaliste acharné et donc assez violent à l’égard de ceux qu’il avait classé dans la catégorie des exploiteurs. 

Et voilà qu’un jour il fait une expérience spirituelle assez étonnante, il rencontre Jésus, pas d’apparition, pas d’extase, mais une certitude dans le cœur que Jésus l’aime et qu’il est venu pour le sauver, lui, Jean Goss et sauver tous les hommes et qu’il a payé très cher le prix de ce salut. Jésus n’a pas fait payer aux hommes les conséquences de leurs péchés, il est venu prendre sur lui le mal pour que les hommes en soient libérés … et il a accepté d’aller jusqu’au bout en donnant sa vie. Là-dessus la guerre éclate, Jean Goss est dans un régiment très opérationnel et se retrouve en 1° ligne, obligé de tuer pour défendre son pays et sauver sa peau ! Il va être fait prisonnier, ce qui lui donnera le temps de réfléchir. Il ne supportera pas de repenser à tous ceux qu’il a pu tuer et décidera désormais de ne plus jamais agir sans se poser au préalable cette question : qu’est-ce que Jésus aurait fait à ma place ? 

Jean Goss a deux certitudes essentielles : premièrement Jésus n’a jamais été violent, mais, deuxièmement, Jésus n’a jamais toléré l’injustice. A l’avenir, il décide de fonder toutes ses actions sur ces deux principes complémentaires. Dans ce camp de prisonnier, l’occasion va lui être donnée assez vite de mettre tout ça en pratique. Le soir après que les soldats allemands aient compté les prisonniers pour vérifier qu’aucun ne s’était échappé dans la journée, l’officier nazi responsable du camp avait pris l’habitude de faire sortir des rangs 2 ou 3 prisonniers pour les tabasser à coup de cravaches devant tout le monde, sans raison et parmi eux, il y avait souvent le même gars, un pauvre type pas très futé. Jean Goss, chrétien fraichement converti, ne pouvait pas supporter cela. Il nous avait raconté qu’il avait envie d’aller tabasser l’officier pour qu’il arrête cette injustice. Mais il se rappelait du 1° principe : Jésus n’a jamais été violent. Mais le 2° proncipe l’empêchait de dormir : Jésus n’a jamais accepté l’injustice. Il se disait donc que si Jésus était là, il n’irait pas tabasser cet officier, mais il ne resterait pas non plus à regarder cette injustice sans broncher. Il n’arrêtait pas de prier en demandant que la lumière lui soit donnée pour qu’il comprenne ce que Jésus ferait s’il était à sa place et qu’il ait le courage de le faire quand il aurait compris.

Un matin, il se lève tout heureux, enfin, il a compris ce que Jésus ferait et il est bien décidé le soir à le mettre en œuvre. Comme d’habitude, l’officier demande à 3 gars de sortir des rangs dont ce pauvre homme, toujours le même. Et à ce moment-là, Jean Goss sort des rangs et il dit : « Monsieur l’officier, si ce soir, en conscience, vous pensez devoir tabasser quelqu’un, je veux que ce soit moi que vous frappiez ! » L’officier lui dit : « ah tu veux être frappé, eh bien, tu vas être servi, approche ! » Jean Goss lui répond : « Non, vous m’avez mal compris, je ne veux pas être frappé, mais je vous dis que, ce soir, si en conscience, vous pensez devoir frapper quelqu’un, je vous demande de laisser ce pauvre homme et les deux autres et de vous déchainer sur moi ! » L’officier lui répond : « la conscience, ça n’existe pas, c’est de la m… ! » Et Jean Goss ose lui tenir tête en lui disant : « Je ne pense pas, Monsieur l’officier et je vais vous en donner la preuve, si vous me frappez après ce dialogue que nous venons d’avoir, je suis sûr que vous dormirez très mal cette nuit parce que votre conscience vous le reprochera toute la nuit. » L’officier est parti en rage, mais il n’a plus jamais frappé un prisonnier du camp. Victoire de la non-violence, mais victoire risquée, Jean Goss aurait pu se faire frapper à mort. C’est vrai, mais comme chrétien, il ne pouvait pas rester sans réagir et pour réagir puisqu’il était devenu chrétien, il ne pouvait réagir qu’en prenant Jésus comme modèle. La non-violence évangélique, pour être active doit accepter d’être rédemptrice, c’est à dire que ceux qui la pratiquent, à la suite de Jésus et avec la force de Jésus, acceptent de prendre sur eux le mal et la violence qu’ils veulent éradiquer.

Je ne sais pas exactement ce que Mattathias aurait dû faire, mais je sais que, comme chrétiens, nous ne pouvons pas nous inspirer de son action. Nous pouvons, par contre, nous inspirer du témoignage laissé par Pierre et Paul dont nous honorons la mémoire aujourd’hui en célébrant l’anniversaire de la dédicace des basiliques qui leur sont consacrées à Rome. Laissons-nous inspirer par le Saint-Esprit quand nous nous retrouvons devant des situations impossibles, laissons-nous fortifier par le Saint-Esprit qui ne cesse de vouloir nous visiter. Si nous nous laissons visiter, selon la parole de Jésus dans l’Evangile que nous avons entendu, nous ne nous écroulerons jamais, même dans les pires situations.

Cette publication a un commentaire

  1. Franchellin

    Merci cher Roger pour ce rappel de la mémoire de Jean Goss que j’ai eu aussi l’occasion de côtoyer durant tout un we sur la non violence.
    Je pense que Jean Goss fait parti de ces saints dont nous pouvons nous référer, comme si bien dit dans votre homélie..
    Je me rappelle que Jean Goss nous a parler :d’agresser les consciences… Comme il l’a fait en face de ce nazi, qui, malgré tout reste un homme aimé de Dieu. Pas pour ce qu’il a fait, mais parce que c’est d’abord une creature de Dieu qui est libre de choisir son chemin.
    Suis-je toujours à la hauteur de ma conscience, de ma foi, face aux divers injustices que je suis amener à rencontrer ?
    Seigneur viens agresser ma conscience.
    Merci Monsieur Goss pour le témoignage de votre vie.. J’imagine votre rencontre dans le ciel avec cet « homme »!

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