Nous retrouvons donc notre ami Job ou plutôt notre frère Job tant son questionnement peut ressembler au nôtre à certains moments de notre vie. Vous aurez remarqué le changement de tonalité par rapport à la lecture d’hier. Hier Job voulait mourir et maudissait le jour de sa naissance en pointant accusateur vers Dieu qui aurait dû lui épargner toutes ces souffrances en ne le faisant pas naître : pourquoi Dieu donne-t-il la vie à un homme dont la route est sans issue, et qu’il enferme de toutes parts ? Aujourd’hui, il semble que la déprime soit finie et que Job soit revenu à de meilleurs sentiments à l’égard de Dieu : Comment l’homme pourrait-il avoir raison contre Dieu ? Il est plein de sagesse et d’une force invincible, on ne lui tient pas tête impunément …
En fait, la déprime est loin d’être finie, d’ailleurs la fin de la lecture le laissait entendre, Job prononçait des paroles bien moins positives à l’égard de Dieu. Même si j’ai raison, à quoi bon me défendre ? Je ne puis que demander grâce à mon juge. Même s’il répond quand je fais appel, je ne suis pas sûr qu’il écoute ma voix ! Terribles ces paroles ! Job semble avoir renoncé à se battre, non pas parce qu’il reconnait que Dieu est juste et que, même s’il ne comprend pas, Dieu agit bien. Non, ce n’est pas ça, Job renonce à se battre parce qu’il réalise que ça ne sert à rien : Même si j’ai raison, à quoi bon me défendre ? Je ne suis pas sûr qu’il écoute ma voix ! Dieu n’écoute pas et il ne répond pas. Ça sera le plus grand des griefs que Job adresse à Dieu : il se tait. La traduction de la liturgie est étonnante, au début de la lecture, nous avons entendu : Si l’on s’avise de discuter avec lui, on ne trouvera pas à lui répondre une fois sur mille. En fait, ce qui est dit, c’est exactement l’inverse ! C’est Dieu qui ne répond pas une fois sur 1000 quand on s’adresse à lui ! La traduction de Chouraqui le montre très bien. Le silence de Dieu, c’est l’expérience que font tous ceux qui sont confrontés à la souffrance.
Et il n’y a pas que le silence, il y a peut-être pire encore, c’est l’absence de Dieu. Vous savez dans les psaumes, il y en a un qui est merveilleux, celui que je préfère, le psaume 138 dans les psautiers liturgiques et 139 dans les bibles qui dit justement l’inverse qui parle de la douce présence de Dieu. Où donc aller, loin de ton souffle ? où m’enfuir, loin de ta face ? Je gravis les cieux : tu es là ; je descends chez les morts : te voici. Je prends les ailes de l’aurore et me pose au-delà des mers : même là, ta main me conduit, ta main droite me saisit. Eh bien, dans son désarroi, ce psaume, Job l’a transformé en l’inversant complètement : Si je vais à l’orient, il n’y est pas ; à l’occident, je ne l’aperçois pas ; agit-il au nord ? je ne l’atteins pas ; se cache-t-il au midi ? je ne le vois pas.
Silence, absence de Dieu et tout cela encore aggravé par l’attitude de ses amis. Ils sont évoqués dans la lecture puisque ce que nous avons lu, c’est la réponse qu’il fait à ses amis, des amis bien particuliers. Le livre nous les montre fuyant la rencontre, comme nous, d’ailleurs ! Nous repoussons sans cesse des visites à faire à des personnes qui vont mal, qui dépriment. Nous ne sommes jamais très à l’aise, nous ne savons pas quoi dire, alors nous remettons la visite, le coup de fil à demain, laissant celui ou celle qui va mal dans sa solitude. Et les amis de Job quand, enfin, ils vont enfin le voir, c’est pour débiter des sornettes. Les personnes malades ont tous fait cette expérience douloureuse de la solitude et de la maladresse des paroles de ceux qui osent venir les visiter. Il peut nous arriver de faire partie de ces personnes maladroites qui parlent à la place du malade, qui veulent le rassurer en lui expliquant des tas de choses, par exemple qu’ils connaissent quelqu’un qui s’en est sorti, qu’ils devraient aller voir tel médecin, essayer tel régime et qu’ils seraient bon qu’ils acceptent de se forcer un peu pour sortir, marcher … Job sera confronté à ces amis indélicats qui parlent beaucoup et, en plus, eux, ils se sont donné la mission de défendre Dieu ! C’est ainsi qu’ils diront beaucoup d’âneries très blessantes pour Job et pas agréables du tout pour Dieu !
Silence de Dieu, absence de Dieu, solitude, c’est cette même expérience que Jésus fera sur la croix. Au cours de son ministère, le ciel s’était ouvert au moins deux fois pour faire entendre la voix de Dieu, mais à la croix, rien, c’est le silence, un silence tellement lourd qu’il le fait crier : Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? Et Dieu ne fera pas taire Jésus comme il n’a pas fait taire Job, Job a pu tout dire ce qu’il pensait de Dieu et il ne s’en est pas privé. Et ce qui est étonnant, c’est qu’à la fin du livre, Dieu dira que seul Job a bien parlé ! Dieu aime tellement qu’on soit vrai. Mais comment comprendre ce silence de Dieu ? D’abord si on lit le livre de Job jusqu’au bout, on pourra constater que Dieu ne restera pas muet, il prendra la parole du chapitre 38 au chapitre 41. Et on voit bien que Dieu ne prendra la parole que lorsque Job aura fini de parler.
Dieu voulait que Job puisse aller jusqu’au bout parce que Dieu avait bien compris que c’était son procès que Job était en train de faire, alors il ne voulait pas l’interrompre, il voulait lui permettre de vider tout son sac et tant pis s’il y avait plein de propos injustes dans la bouche de Job. Il aimait mieux ça que les plaidoiries à 2 balles des amis de Job qui s’étaient érigés en avocats de la défense tellement maladroits.
Il y aurait une autre raison à développer, mais je ne peux que l’énoncer. Dieu se tait longtemps car il sait que celui qui souffre a du mal à entendre ce qui peut lui être dit. Alors à la parole souvent source de malentendus comme le disait le renard au petit prince, Dieu préfère le silence. A la passion si Dieu se tait ce n’est pas parce qu’il aurait abandonné Jésus, mais ce que Jésus doit vivre est tellement dur et Jésus le vit d’une manière si belle que Dieu en a le souffle coupé. Il en va ainsi pour Job.
Mais Dieu finira par parler et ce qu’il dira, nous en entendrons un tout petit extrait vendredi. On peut déjà dire qu’il va agir à la manière d’un père qui se retrouve en conflit avec son ado. Quand l’ado n’en peut plus, il va déverser sa bile auprès de son père. Si le père accepte de l’écouter jusqu’au bout, le père passera un mauvais quart d’heure car ce qu’il entendra le fera profondément souffrir : tout sera à charge ! C’est bien ce qui se passe dans le livre de Job, Dieu a tout écouté et quand il prend la parole, il va réagir comme devraient réagir chaque père d’un ado en crise. Il ne s’énerve pas, il ne cherche pas à se justifier pas en brandissant à son tour l’accusation et en profitant de son autorité et de son expérience pour assommer l’ado en crise. Non, Dieu va posément rétablir la vérité, une vérité fondamentale, il ne reprendra pas tous les arguments de Job, il ira au cœur du problème : tu m’accuses de très mal m’y prendre, ok, regardons si je m’y prends mal depuis le début de la création du monde ! Je n’en dis pas plus, rendez-vous vendredi car demain avec la fête des archanges Michel, Gabriel et Raphaël, nous quitterons provisoirement notre frère Job.
Vous comprenez bien que tout ce que je viens de dire n’est pas simplement un apport exégétique, je pense que ça peut nous aider de manière concrète. D’abord, l’expérience de Job pourra rassurer ceux qui traversent des épreuves et qui culpabilisent de ne pas arriver à prier. Tout le monde ou presque butte sur ce mystère d’un Dieu qui semble loin et silencieux. Ensuite, il nous faut imiter la liberté de Job qui n’hésite pas à dire tout ce qu’il a à dire. Quand je suis en souffrance, est-ce que j’ose être vrai avec Dieu ou est-ce que je fais semblant, semblant de n’être pas atteint dans ma foi pour donner une belle image de moi ? Le Seigneur aime mieux m’entendre rouspéter que de m’entendre dire des paroles vide de sens ou pire encore, de me voir disparaitre en broyant du noir. Et puis tout ce que j’ai dit sur les amis de Job nous interroge aussi : quand je vais voir des personnes souffrantes, diminuées, si j’ose aller les voir, est-ce que je sais me taire pour mieux les écouter, pour mieux manifester en actes ma compassion ? Que l’Esprit-Saint nous donne les attitudes justes.
Juste un tout petit mot sur l’Evangile. N’avez-vous pas l’impression que Jésus est un peu dur ? Surtout avec le 2° homme qui n’a rien demandé ! Les 2 autres, ce sont eux qui décident de suivre Jésus, alors on pourrait comprendre que Jésus impose une certaine exigence. Mais le 2°, lui, il n’a rien demandé, c’est Jésus qui l’appelle et, lui, il a l’excuse la plus forte des trois pour expliquer qu’il ne peut pas venir tout de suite. Pourquoi Jésus ne veut-il pas lui laisser enterrer son père ? Bien évidemment, Jésus n’est pas dépourvu de sentiments de compassion, il le manifestera si souvent. Mais puisque le texte nous présente 3 petits récits d’appel, Jésus veut nous mettre en garde : nous aurons toujours 1000 bonnes raisons de différer notre réponse à ses appels et ça finira vite par devenir problématique. Le 2° homme, il aurait dû dire : ok, je te suis tout de suite et demain, tu me laisseras quelques heures pour aller enterrer mon père. De même pour les deux autres. Cet Evangile nous questionne donc : est-ce que je n’invoque pas trop régulièrement des excuses, plus ou moins valables, pour ne pas répondre immédiatement à l’appel de Jésus ? Je sais que c’est l’heure que je me suis fixé pour la prière ou bien c’est l’heure de partir à la messe, mais je passe quand même un dernier coup de fil et j’arrive en retard, manifestant ainsi que les affaires du Seigneur sont moins décisives que mes affaires ! Là encore, demandons à l’Esprit-Saint de nous permettre de répondre sans délai aux multiples appels que le Seigneur nous lance chaque jour. Que par l’intercession des saints martyrs du Japon, nous puissions, comme eux, mettre le Seigneur à la toute première place dans notre vie car, nous le savons par expérience, quand le Seigneur est à la bonne place dans notre vie, tout le reste trouve sa juste place et nos vies sont moins désordonnées.
Amen!