10 octobre : lundi 28° semaine ordinaire. Reconquérir sa liberté intérieure

Première homélie de cette semaine de retraite que je prêche pour les prêtres de Versailles

Nous pouvons vraiment accueillir ces textes comme un très beau cadeau que la liturgie nous offre en ce début de retraite sacerdotale.

Dans la 1° lecture, précisément parce que nous sommes en retraite et non dans une session de formation, je retiendrai essentiellement le dernier verset, un verset que nous connaissons bien : « C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. Alors tenez bon, ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage. » C’est pour que nous soyons libres, mais vraiment libres que le Christ nous a libérés. Qui d’entre nous ne rêve pas de cette vraie liberté ? Parce que la confidence que Paul fait avec tant d’humilité dans la lettre aux Romains, nous pouvons tous la signer : le bien que je voudrais faire, je ne le fais pas assez souvent et le mal que je ne voudrais pas faire, je le fais trop souvent ! Rm 7,19. Oui, nous n’avons pas de peine à reconnaître que nous sommes tous à égalité sur ce sujet. Il y a quelque chose de cassé en nous, au niveau de notre liberté et c’est bien ce que Paul avoue dans le petit développement qui fait suite à cette reconnaissance : Si je fais le mal que je ne voudrais pas, alors ce n’est plus moi qui agis ainsi, mais c’est le péché, lui qui habite en moi. Moi qui voudrais faire le bien, je constate donc, en moi, cette loi : ce qui est à ma portée, c’est le mal. Au plus profond de moi-même, je prends plaisir à la loi de Dieu. Mais, dans les membres de mon corps, je découvre une autre loi, qui combat contre la loi que suit ma raison et me rend prisonnier de la loi du péché présente dans mon corps. Malheureux homme que je suis ! Qui donc me délivrera de ce corps qui m’entraîne à la mort ?

Il y a quelque chose de cassé au niveau de notre liberté, nous en faisons tous la douloureuse expérience. Chaque matin, nous nous levons plein de bonnes résolutions : je donnerai le temps qui convient à la prière, j’accueillerai avec plus de délicatesse ma paroissienne sparadrap, je garderai le sourire pour témoigner de ma joie d’être prêtre, j’en passe et des meilleures ! Et le soir, quand nous faisons l’examen de confiance dans la prière de Complies, nous découvrons que nous avons, sur tous ces sujets, une belle marge de progression pour le lendemain ! Un peu comme cet enfant qui allait se confesser, quand vient le moment de lui donner une pénitence, le curé lui dit : je ne sais pas bien quelle pénitence te donner et l’enfant répond du tac au tac : vous pouvez me redonner celle de la dernière fois parce que je ne l’ai pas beaucoup usée ! Ainsi en va-t-il de nos résolutions du matin, elles ne sont pas suffisamment usées le soir ! Il y a quelque chose de cassé au niveau de notre liberté et c’est pour cela que nous pouvons crier avec Paul : Malheureux homme que je suis ! Qui donc me délivrera de ce corps de péché ? Eh bien, la réponse nous était donnée dans le dernier verset de la 1° lecture : « C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. Alors tenez bon, ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage. »

Mais si Christ nous a libérés en versant son précieux sang pour nous, pour notre salut, pourquoi ça ne marche pas mieux ? Oh, ce n’est pas de son côté à lui qu’il y aurait eu un problème ! Il a suffisamment souffert, il ne manquait pas de corde au fouet de la flagellation, il ne manquait pas d’épines à la couronne de dérision ! Et surtout, il ne manquait pas d’amour dans la manière dont Jésus a accepté de vivre toutes ces souffrances. Il a tout bien fait pour que nous soyons effectivement sauvés, libérés. Si ça ne marche pas mieux, bien sûr, la raison est à chercher de notre côté. Nous connaissons nos faiblesses, chacun connait parfaitement les siennes et d’ailleurs, de manière paradoxale, nous faisons tellement d’efforts pour les cacher qu’elles finissent par sauter aux yeux de tous ceux qui nous entourent. Nous connaissons aussi, et de manière plus fondamentale, cette fragilité que je qualifierai de congénitale qui nous vient des conséquences du péché originel. Ce moment où il y a eu cette grande cassure dans la liberté des hommes. Dieu leur avait donné la liberté comme le plus beau cadeau de son amour. Précisément parce que Dieu est amour et que, comme le dit Péguy, il ne voulait pas être aimé par des prosternements d’exclaves, Dieu a donné la liberté aux hommes pour qu’ils puissent l’aimer en retour dans un choix libre, car c’est bien ce qui fait la valeur de l’amour. Mais le serpent que j’aime appeler le « tordu », parce qu’un serpent se déplaçant en se tordant dans tous les sens, ne peut chercher qu’à mettre des idées tordues dans le cœur des hommes. Le « Tordu » a tout gâté en expliquant aux hommes qu’ils pourraient se servir autrement de leur liberté, comme lui l’avait fait, en détournant cette liberté à leur profit pour se servir eux-mêmes au lieu de servir les autres.

Quelle escroquerie ! Nous en faisons tous la douloureuse expérience : à chaque fois que nous écoutons le « Tordu » au lieu de goûter aux délices qu’il promettait, nous nous retrouvons à chaque fois un peu plus démuni, un peu plus nu, comme Adam et Eve dans le jardin. Au bord de la mer morte, vers le lieu présumé de Sodome, il y avait jadis des pommiers, c’était avant que les dérèglements climatiques et la folie des hommes, aient mis en marche une catastrophe écologique. Ces pommiers donnaient de belles pommes très attirantes, mais quand on en cueillait une et qu’on mordait dedans, on découvrait qu’elle était vide, il n’y avait que des pépins. Belle parabole du péché qui n’est qu’une escroquerie : il nous attire mais ne tient jamais les promesses qu’il faisait miroiter. Puisque nous en avons tant fait l’expérience, puisque nous savons à quel point nous sommes des pauvres, il serait temps que nous apprenions à compter un peu plus et de manière permanente sur le Seigneur. C’est lui et lui seul qui peut nous aider à reconquérir notre liberté. « C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. Alors tenez bon, ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage. » Et une retraite, c’est bien ce temps favorable qui nous est offert pour reconquérir notre liberté intérieure. Cela se fera essentiellement par deux démarches : Remettre tout le passif de notre passé dans l’amour miséricordieux du Seigneur et décider de nous appuyer sur la grâce pour vivre plus uni à lui dans la joyeuse reconnaissance de notre pauvreté.

Venons-en à l’Evangile. Qui d’entre nous n’a pas été, à un moment ou à un autre, blessé par de douloureux échecs. Nous avions fait de beaux projets, réfléchis avec l’équipe pastorale, nous avions prié, pourquoi pas jeûné et ça n’a pas marché ! Je me rappelle cette réflexion d’un confrère plus âgé qui me disait : un jour, toi aussi, tu perdras tes illusions ! Ce jour-là, j’ai compris la souffrance que pouvaient porter certains prêtres qui s’étaient donnés généreusement et qui ne voyaient aucun résultat. A la manière du prophète Isaïe, ils avaient envie de crier : « Et moi, je disais : Je me suis fatigué pour rien, c’est pour le néant, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces. » Is 49,4.

Eh bien, voyez-vous, il me semble que c’est dans une situation assez semblable que se trouvait Jésus quand il a prononcé les paroles entendues dans l’Evangile. Parce qu’il faut bien le reconnaitre, les paroles de Jésus sont dures : « Cette génération est une génération mauvaise. » Pour justifier cette déclaration, Jésus convoque 2 grandes figures bibliques. D’abord Jonas, lui, il a tout fait à l’envers, tellement il n’en voulait pas de la mission que Dieu lui avait confiée. Il commence par partir à l’opposé du lieu où Dieu l’envoyait. Après tant de péripéties, il arrive finalement à Ninive, et là, il bâcle la mission ! Il fallait 3 jours pour traverser cette ville à pied, et lui, en moins d’un jour, c’est fait. Eh bien malgré cette mauvaise volonté, Ninive se convertit. Jésus convoque ensuite le grand roi Salomon, ce roi tellement rempli de sagesse que les grands de ce monde buvaient ses paroles. La Bible a gardé la mémoire de cette rencontre entre la reine de Saba et Salomon dans une mise en scène hollywoodienne ! Eh bien, Jésus constate, dépité, qu’il ne suscite pas le même engouement. Et pourtant, il était bien connu que Salomon était bourré de défauts, son règne se finira bien mal. 

Mais pourquoi Jonas et Salomon, ces êtres si limités, ont-ils réussi alors que Jésus ne réussira pas, du moins selon les critères humains ? Oui, il a raison de le dire Jésus, avec lui, il y a bien plus, bien mieux que Salomon, bien mieux que Jonas ! Oh, ce n’est pas une crise de jalousie que Jésus est en train de faire, non, sûrement pas ! Mais il est habité par une profonde tristesse de voir que ses contemporains le rejettent souvent et qu’ils finiront par le supprimer. Dans cet échec, dans ce rejet, Jésus n’y est pour rien, il a été confronté au péché de ses contemporains, à l’usage tordu de leur liberté et il en souffre, comme nous pouvons souffrir quand nous sommes nous-mêmes confrontés à ce genre de situations. C’est la profonde humanité de Jésus qui transparait dans ce texte et elle vient comme consoler notre humanité si souvent éprouvée par les refus plus ou moins polis que rencontrent nos propositions. Qu’il est bon en ce début de retraite d’entendre Jésus nous dire qu’il veut nous consoler, nous restaurer de toutes ces cabosses encaissées. Qu’il est bon d’entendre Jésus nous dire que nous ne sommes pas toujours responsables de nos échecs, de nos difficultés. Nous pouvons l’être quand nous écoutons « le Tordu » et mésusons de notre liberté, mais les autres aussi peuvent mésuser de leur liberté en disant non à nos propositions. Béni soit le Seigneur qui, au début de cette retraite, veut nous consoler de ces souffrances en nous partageant les siennes pour que les nôtres ne nous accablent plus.

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