29 août : Martyr de St Jean-Baptiste. Comment devenir des témoins crédibles ?

Petite homélie en raison de mon déménagement et silence sur ce blog pendant une bonne semaine !

Je pense que tout le monde sait que le Hérode dont il est question dans ce texte n’est pas le Hérode dont on parle dans les textes de Noël. A Noël, c’est Hérode le Grand et ici, c’est Hérode Antipas ; « Antipas ou Antipater » signifiant « à la place du père. » Ce Hérode Antipas est donc l’un des 7 fils de Hérode le Grand qu’il a eus avec l’une de ses 10 concubines. Hérode Antipas aurait pu être tué comme 3 de ses frères, victimes de la paranoïa de leur père, mais, lui, il a été épargné et c’est donc lui qui lui succédera un peu après la naissance de Jésus. C’est donc à lui que Jésus aura à faire en le traitant de Renard et c’est à lui que Jean-Baptiste s’était opposé, lui reprochant vertement d’avoir renvoyé sa femme pour épouser sa belle-sœur, ce qui était interdit par la loi juive. Mais Hérode Antipas, digne fils de son père était un calculateur froid en matière de politique et ce mariage lui permettrait d’étendre son influence, ça valait donc le coup de se brouiller avec les juifs religieux d’autant plus que, comme son père, la religion ne l’étouffait pas ! Voilà, ça, c’est pour le contexte et c’est donc, dans ce contexte, que Jean-Baptiste va intervenir.

Jean-Baptiste, on le sait, il n’aurait pas fait long feu dans une carrière diplomatique ! Ni son apparence, ni son discours ne lui auraient permis d’exercer une telle carrière. Quand Jean-Baptiste avait quelque chose à dire, il le disait ; ses prédications raboteuses que nous lisons dans le temps de l’Avent en sont la preuve ! Est-ce lui qui était allé trouver courageusement Hérode Antipas pour lui dire ce qu’il pensait de sa conduite ou Hérode Antipas qui l’avait fait venir, nous n’en savons rien. Mais la 2° hypothèse est plausible puisque le texte nous dit : Hérode avait peur de Jean : il savait que c’était un homme juste et saint, et il le protégeait ; quand il l’avait entendu, il était très embarrassé ; cependant il l’écoutait avec plaisir. Il est donc possible que ce soit Hérode qui ait fait venir Jean-Baptiste pour l’entendre, mais évidemment, il espérait l’entendre sur un autre sujet que sur ses choix matrimoniaux. Seulement voilà, Jean-Baptiste n’était pas un dégonflé et, mis en présence d’Hérode, il a dit ce qu’il avait à dire et il ne l’a pas dit en langage diplomatique ! Hérode a dû être profondément chagriné par ce qu’il avait entendu, mais il s’y attendait sans doute un peu. Par contre Hérodiade n’a pas apprécié du tout, mais alors pas du tout et c’est elle qui a dû faire pression pour que le Baptiste soit réduit au silence par une sévère peine d’emprisonnement.

En lisant le texte, on a l’impression que, même mis en prison, Jean-Baptiste continuait, par ses paroles décapantes à toucher le cœur d’Hérode ce qui rendait Hérodiade encore plus déterminée à le supprimer … on ne sait jamais, si Jean-Baptiste finissait par convaincre Hérode, elle serait chassée du palais, que dis-je du palais, des palais ! En effet, Hérode menait grande vie et la perspective de rentrer dans le rang ne séduisait guère Hérodiade. Elle avait dû 1000 fois se demander comment elle parviendrait à ses fins et voilà que l’occasion lui est servie sur un plateau si je peux me permettre ce jeu de mots ! L’occasion lui est servie sur un plateau en ce jour où elle voit Hérode baisser la garde. Il a donné un banquet et, vraisemblablement, il a abusé du vin, en plus, il est émoustillé par la danse de la fille de sa femme qui est en fait sa nièce, vous voyez que la complexité des familles recomposées, ça ne date pas d’aujourd’hui ! Tous les ingrédients sont réunis pour qu’il perde son self-contrôle et c’est bien ce qui se passe quand il fait cette promesse : « Demande-moi ce que tu veux, et je te le donnerai, même si c’est la moitié de mon royaume. » La moitié du Royaume, ça parait beaucoup, mais en fait, Hérode ne s’engage pas tant que ça car il n’avait pas perdu espoir de récupérer des territoires qu’il estimait lui revenir depuis la mort de son frère Philippe. Alors, il pouvait s’engager à donner la moitié du Royaume, quand il aurait récupéré ces territoires, ce don serait largement compensé ! Et puis il faisait cette promesse sans trop de crainte, la fille d’Hérodiade était belle, mais sans doute un peu « nunuche » et ce qu’elle demanderait risquait de ne pas être trop conséquent. De fait, la fille ne sachant pas ce qu’elle pourrait demander, c’est pour cela que je dis qu’elle devait être un peu « nunuche » va consulter sa mère et la mère, elle, elle savait parfaitement ce qu’elle voulait, sa vengeance était prête depuis si longtemps. Nous connaissons la chanson : le prophète a dit la vérité, il doit être exécuté ! A partir de là, dans ce texte, il y a deux choses qui me frappent.

La première, c’est qu’on n’entend plus Jean-Baptiste ! Celui qui est finalement le personnage principal dans ce texte, on ne l’entend plus. Il avait dit ce qu’il devait dire et désormais toute autre parole devenait inutile et peut-être même risquée. Je dis risquée parce que, dans les situations difficiles, nous savons bien que nos paroles ne sont pas toujours aussi limpides que nous le souhaiterions. Il n’y a plus de parole de la part de Jean-Baptiste ou plutôt, il n’y a plus qu’une parole, non verbale, celle du martyr. Nous avons toujours besoin de nous rappeler que « martyria », en grec, signifie témoignage. Or le témoignage le plus percutant, ce n’est pas celui que nous faisons en paroles quand on nous demande de témoigner devant des personnes. Ce témoignage, nous en faisons l’expérience douloureuse, il est souvent contredit dans les heures qui suivent par notre manière de vivre qui n’est pas à la hauteur de ce que nous venions de dire. L’ultime parole silencieuse de Jean-Baptiste, son martyr, est une parole face à laquelle nul ne peut opposer une contradiction. Nous le savons, ce qui a le plus contribué à la fécondité de l’évangélisation dans les premiers siècles, c’est le martyr. Bien sûr, il y avait de très bons prédicateurs, on peut penser à la prédication d’Ambroise, le Saint évêque de Milan qui a converti Augustin que nous avons fêté discrètement hier. Mais plus que les prédicateurs, ce sont les martyrs qui ont accéléré la propagation de l’Evangile. Les opposants au christianisme, ceux qui avaient ordonné les exécutions et ceux qui avaient été les bourreaux, souvent, se sont convertis en voyant comment mouraient les martyrs. Il fallait bien que ce Christ existe pour qu’on soit capable de le préférer à la vie. Si nous ne sommes pas tous promis au martyr de sang, le martyr de l’amour doit être notre horizon à tous. Tous les actes d’amour vécus silencieusement, dans la discrétion seront bien plus féconds que nos plus belles paroles ou plutôt nos plus belles paroles demeureront stériles si elles ne sont confirmées par notre témoignage. C’est ce que Paul VI avait si bien résumé dans cette formule que nous connaissons par cœur : « Le monde contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maitres ou s’il écoute les maitres, c’est parce qu’ils sont aussi des témoins. » Voilà, j’en ai fini avec le silence de Jean-Baptiste, mais un silence qu’on peut paradoxalement qualifier de silence éloquent !

Il est un autre silence qui ne peut que se remarquer dans ce texte, c’est le silence de Dieu. Dieu ne dit rien, Dieu ne fait rien pour sortir Jean-Baptiste de cette mauvaise passe. C’est le même silence qu’on retrouve dans la passion de Jésus. A certains moments-clés de la vie de Jésus, le ciel s’était ouvert et du ciel, la voix du Père s’était fait entendre. A la passion, le ciel reste dans un silence qu’aujourd’hui, on aime qualifier d’assourdissant. Comment comprendre ce silence du ciel quand Jésus se retrouve en situation si difficile, quand Jean-Baptiste, le précurseur se retrouve en situation si difficile, quand tant de témoins-martyrs vont se retrouver en situation difficile ? Je me souviens toujours de cette interprétation d’un des prédicateurs à la retraite des 30 jours que j’avais faite. Il nous parlait du silence du vendredi saint et nous disait : c’est comme si Dieu retenait son souffle devant ce que Jésus était en train de vivre et comment il le vivait. Je me rappelle, enfant, quand on regardait la piste aux étoiles, au moment où les trapézistes se lâchaient dans le vide et se retrouvaient récupérés par les mains vaillantes de leurs partenaires, il y avait dans la maison, un grand silence. Devant le danger, on restait silencieux, un silence mêlé de crainte et d’admiration. Eh bien, nous disait ce prédicateur, le silence de Dieu, le vendredi saint, est du même ordre. Ce que Jésus avait à vivre était tellement difficile, mais la manière dont il le vivait était tellement grand que le Père en avait le souffle coupé, la parole coupée. C’est la même chose pour Jean-Baptiste, ça sera la même chose pour les témoins-martyrs dans l’histoire.

Que par l’intercession de Jean-Baptiste, nous obtenions que nos paroles soient toujours accompagnées du témoignage de nos vies qui leur donneront saveur de vérité. Que par son intercession, nous puissions aussi interpréter les silences de Dieu comme autant de marques de son admiration à notre égard et d’engagement discret à nous soutenir pour que nous ne fléchissions pas face à l’adversité.

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