29 avril : Des pyromanes dans la 1° lecture, une pyromane dans l’histoire de l’Eglise, Ste Catherine de Sienne

La 1° lecture des Actes est une belle page de l’histoire de l’Eglise, une page qui illustre à merveille ce qu’on appelle la résilience, c’est-à-dire cette capacité à rebondir après une difficulté et même mieux à se servir de cette difficulté pour mieux rebondir. La mort d’Etienne a été suivie d’une violente persécution qui a obligé les chrétiens à se disperser. Ce n’est pas qu’ils avaient peur de mourir, mais si toute le monde mourait qui allait annoncer l’Evangile ? Les chrétiens se dispersent et ça va avoir un effet inattendu : la bonne nouvelle va se répandre plus vite !

J’aime bien présenter le livre des Actes comme une histoire de pyromanes. A la Pentecôte, les apôtres reçoivent le feu de l’Esprit et leur mission sera désormais de propager le feu. Vous comprenez pourquoi je parle de pyromanes. Eh bien, la persécution consécutive au martyr d’Etienne va disperser les pyromanes. Et quand vous dispersez des pyromanes, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des départs de feu un peu partout, c’est ce qui nous était raconté avec le feu qui prend même en Samarie, cette contrée qui avait si mauvaise réputation pour les juifs.

C’est pour cela, voyez-vous, qu’il ne faut pas que les chrétiens restent toujours confinés. Bien sûr, nous le resterons le temps qu’il sera nécessaire, mais après, il nous faudra à nouveau reprendre la mission. Il y a quelques dizaines d’années, on aimait dénoncer en ces mots, la tendance frileuse des chrétiens qui n’osaient pas la mission, on disait qu’ils aimaient vivre en cocon. J’ai entendu un jour, un prof de Bible dénoncer cette vie en cocon en se servant de l’étymologie du mot, une étymologie qu’il avait inventée mais qui était tellement suggestive ! Il disait que cocon vient du grec et ça signifie « être con ensemble ! » Les chrétiens n’ont pas vocation à vivre en cocon, puisqu’ils sont des pyromanes, ils ont vocation à être dispersés pour que le feu prenne plus vite un peu partout. Mais encore faut-il qu’ils soient vraiment habités par le feu ! Il y en a une qui était habitée par le feu et qui a su le répandre, c’est Catherine de Sienne que nous fêtons aujourd’hui et c’est d’elle que je veux parler maintenant.

Catherine est née à Sienne, une ville italienne proche d’Assise, en 1347 elle est morte à Rome en 1380 donc très jeune. Elle a été canonisée par le pape Pie II en 1461, proclamée docteur de l’Église par Paul VI en 1970 et co-patronne de l’Europe par Jean-Paul II en 1999. Si vous calculez bien, il a fallu 80 ans pour qu’elle soit canonisée, 6 siècles pour qu’elle soit reconnue docteur de l’Eglise puis co-patronne de l’Europe. Vous voyez qu’il faut être patient en Église !

Concernant les saints, longtemps on a eu la mauvaise habitude de se jeter sur leurs écrits en oubliant de commencer par les replacer dans le contexte historique qu’ils ont vécu. Et c’est comme ça qu’on a développé une spiritualité mystico-gélatineuse sans intérêt. Parler du curé d’Ars sans le resituer dans le contexte historique de la France plongée dans la Révolution française et ses conséquences n’a pas beaucoup d’intérêt, on va sortir quelques phrases pieuses de ses prédications, mais on va perdre toute la force du témoignage de sa vie. Il en va de même pour Catherine de Sienne. A sa naissance, l’Eglise connait une situation bien compliquée puisque le pape n’est plus à Rome mais à Avignon. Quelques mots, rapidement pour évoquer cette histoire.

En 1311-1312, un concile va se tenir à Vienne, donc à quelques dizaines de kilomètres de chez nous. Ce concile était rendu nécessaire pour régler définitivement la question des Templiers, de l’ordre et de leur trésor. Le pape Clement V n’est pas mécontent de quitter Rome pour s’y rendre. En effet, la situation à Rome est très compliquée en raison des querelles sans fin à propos des Etats Pontificaux. Pour fuir ces problèmes, les papes avaient pris l’habitude d’aller prendre l’air, plus souvent qu’à leur tour dans certaines villes italiennes. Le concile rend son départ nécessaire et ça l’arrange bien. A la fin du concile, craignant la guerre dans les états pontificaux, se sentant extrêmement fatigué par toutes ces querelles à Rome et avec le roi de France, le pape Clément V fait une halte à Avignon où le climat est très bon, il pourra ainsi s’occuper de ses soucis de santé. Le pape s’y trouve très bien et va s’y installer ainsi que ses successeurs qui feront construire puis agrandir et embellir le fameux palais des Papes. Si on pouvait comprendre la décision de Clément V de ne pas revenir à Rome après le concile, la décision de rester à Avignon prise par ses successeurs est plus difficile à justifier. 

C’est dans ce contexte que va intervenir Catherine de Sienne, elle qui était pourtant une femme bien ordinaire. En effet, elle est, tenez-vous bien, la 23° enfant d’une famille ! Très jeune, elle reçoit un appel du Seigneur et s’engagera dans le Tiers-ordre dominicain, engagement qui va nourrir sa vie spirituelle et l’encourager à soigner les malades, visiter les prisonniers et consoler les gens malheureux. Elle consacre une partie de ses nuits à la prière pour vivre une plus grande intimité avec le Christ. Et puis une rencontre va être décisive et orienter le reste de sa vie. Elle fait la connaissance du dominicain Raymond de Capoue qui deviendra maitre de l’ordre. Il va propulser Catherine au premier rang de la vie politique et spirituelle de son temps. Et c’est vraiment dans une situation extrêmement troublée qu’elle va jouer un rôle de plus en plus important. C’est ainsi qu’elle enverra 22 lettres adressées au pape, 9 à des cardinaux, 7 à des évêques, 103 à des prêtres et religieux, 42 à des gouvernants. 

Cette intense activité et cette audace s’expliquent par le fait que l’Europe avait un peu perdue la tête. A Rome, ce n’est pas brillant du tout ! C’est elle qui va réussir à convaincre le pape Grégoire XI de revenir à Rome, il y reviendra en 1378. 

Mais, s’ouvre une période bien sombre pour l’Eglise. En effet, peu après son retour, il meurt, au conclave, les cardinaux veulent élire un pape romain, car les papes en Avignon avaient tous été des français. Alors on élit un italien, Urbain VI mais il n’était pas de Rome, alors on essaie de le faire passer pour un romain. Peu de temps après son élection, il se montre particulièrement désagréable avec les cardinaux de France. Ceux-ci, en retournant dans leur pays, affirment que l’élection du pape était non-valide, puisqu’effectuée sous la pression du peuple, ils refont une élection, un pape français, Clément VII, est élu. Il y a deux papes, C’est le schisme … et un schisme qui va durer puisqu’il faudra attendre le concile de Constance qui s’ouvre en 1414 pour trouver une solution, solution que Catherine ne verra pas puisqu’elle meurt en 1380. Et vous voyez que lorsqu’elle dira : « l’unique cause de ma mort est l’amour de l’Église qui me brûle et me consume » ce n’est pas de la littérature pieuse ! C’est ce que disait l’antienne du Cantique de Zacharie ce matin à l’office : « Sans relâche, Catherine priait le Seigneur de rendre la paix à son Église. » 

Mais il n’y a pas que Rome et l’Eglise qui sont malmenés. L’Italie entière, je l’ai déjà signalé, est minée par toutes les querelles dans les Etats Pontificaux. Et puis entre la France et l’Angleterre, c’est la guerre de 100 ans qui ne s’achèvera qu’en 1453 … vous le voyez c’est une époque très troublée. C’est au cœur de cette situation si troublée que Catherine va notamment écrire toutes les lettres que j’évoquais et qui n’étaient pas des lettres de mystique pure. Au pape, par exemple, elle osera écrire : « Je crois qu’il serait bon que notre doux Christ de la terre se libère de deux choses qui corrompent l’épouse du Christ. La première est la trop grande affection qu’il témoigne à sa famille… La seconde est une douceur excessive fondée sur trop d’indulgence. »

En 1378, vers la fin de sa vie Catherine va dicter un livre dans lequel elle imagine un dialogue entre Dieu et elle. Elle y fait quatre grandes demandes et imagine les réponses de Dieu. 1° demande, elle prie pour elle-même ; 2° demande pour le salut du monde si troublé ; 3° demande pour la réforme de l’Église ; 4° demande, elle implore la Divine Providence pour l’avènement de la paix.

C’est sûr qu’à l’évocation de sa vie, on ne peut que s’écrier : quel homme cette femme ! Et on comprend pourquoi Jean-Paul II a voulu qu’elle soit co-patronne de l’Europe. En ces temps troublés que nous vivons, nous pouvons vraiment demander son intercession pour que la terrible crise sanitaire que nous vivons ne se double pas d’une crise politique causée par l’égoïsme des pays européens. Chacun risque d’être tenté de s’en sortir sans se préoccuper des autres, s’en sortir plus vite et mieux que les autres. Mais vous connaissez l’adage qui dit que si tout seul on va peut-être plus vite, il n’y a qu’ensemble qu’on peut aller plus loin. Qu’elle intercède pour nous afin que nous puissions aller loin sur le chemin de la fraternité, une fraternité nourrie par une foi renouvelée en Celui qui seul pourra nous garder dans la fraternité, le Père du ciel.

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