31 mars : mercredi saint : Seigneur, protège-moi de moi-même !

Si on devait monter un spectacle relatant la passion de Jésus, je ne sais pas quel rôle vous aimeriez jouer. Peut-être est-ce une bonne question à se poser dans ces jours de la semaine sainte. Que la méditation de ces événements à la manière de St Ignace nous permette de nous poser cette question, car c’est une manière pour le Saint Esprit de nous parler que de nous faire repérer la place à laquelle nous nous mettons dans un récit. En tout cas, je ne sais pas si, spontanément, il y en a beaucoup qui se battraient pour tenir le rôle de Judas ! Et pourtant, l’Evangile d’aujourd’hui commence encore avec Judas ! Cette insistance doit nous interroger et nous faire prendre au sérieux ce que nous disait le père Renaud, hier, sur l’embarras de chacun des disciples qui se demandait si ça pourrait être lui qui deviendrait capable de livrer Jésus. 

Ce qui m’a frappé dans ce texte, c’est de voir que Judas qui est réputé aimer l’argent ne négocie pas la somme qui lui est proposée pour livrer Jésus. Normalement, quand on aime l’argent, on cherche à en avoir toujours plus et là, ce que Judas va faire, ce n’est quand même pas rien, il aurait pu essayer de faire monter les enchères. Or, rien de tout cela : 30 pièces d’argent ? Marché conclu ! C’est terrible parce que lundi, nous lisions le si beau texte de l’onction à Béthanie et nous nous rappelons que Judas s’était indigné de l’argent gaspillé par Marie qui avait brisé ce flacon d’un parfum si précieux que Judas l’estimait à 300 pièces d’argent. Dans le moment présent, la vie de Jésus, aux yeux de Judas vaut 10 fois moins que ce flacon de parfum. Et comme Judas ne cherche pas à négocier, on peut même penser qu’il trouve que 30 pièces d’argent, c’est bien payé !

Nous avons peut-être là l’une des clés qui nous permet de comprendre le geste de Judas. En effet, notre comportement à l’égard des autres dépend toujours de la valeur qu’ils représentent pour nous. Quelqu’un qui nous est infiniment précieux, nous le respectons infiniment. Par contre, lorsque quelqu’un n’a pas ou plus de valeur pour nous, dans notre comportement à son égard, tout peut devenir possible. Nous avons entendu hier le père Renaud nous expliquer que, jusqu’au bout, Jésus a traité Judas avec des liens d’humanité et même d’Amitié espérant que cette manière d’agir le fasse réfléchir. Pour Jésus, Judas était infiniment précieux, comme tous les hommes qu’il était venu sauver, et c’est parce qu’il le considère avec cette valeur inestimable que jusqu’au bout, il le traitera avec ces liens d’humanité et d’Amitié. Mais il n’en va plus de même pour Judas à l’égard de Jésus qui ne vaut pas plus que 30 pièces d’argent, 10 fois moins qu’un parfum très pur, certes, mais tellement éphémère. Quand on ne considère plus quelqu’un comme ayant une grande valeur, tous les dérapages sont permis. Et c’est ce qui rend la question des abus dans l’Eglise si douloureuse et si scandaleuse : ceux-là même qui avaient reçu mission de révéler le caractère si précieux de chaque personne ont considéré certaines de ces personnes qui leur étaient confiées sans valeur au point de se servir d’elles pour assouvir leurs pulsions. En cela, on peut dire qu’ils se sont révélés comme ayant le même comportement que Judas.

Rappelons-nous toujours cela : la manière dont nous nous comportons à l’égard des personnes dépend toujours de la valeur que nous accordons à ces personnes. Nous pourrions nous interroger en repassant dans notre cœur nos relations difficiles avec certaines personnes avec qui nous vivons et voir ce qui a pu déclencher une telle dépréciation pour que nous en soyons venus à les bousculer ou même les ignorer. Quand nous aurons fait cette opération vérité, présentons-nous devant le Seigneur, présentons ces personnes devant le Seigneur, présentons nos relations et demandons-lui avec insistance et persévérance de ne pas nous laisser embarquer dans une chute sans fin dont seul le diable sait où elle peut nous conduire !

Pourquoi Judas a-t-il perdu toute conscience de la valeur de Jésus ? C’est un grand mystère ! Les auteurs de romans, de films ont tous essayé de proposer leur réponse. Certains parlent de déception politique : Judas était nommé l’Iscariote parce qu’il était sicaire, c’est-à-dire qu’il portait toujours un poignard à la ceinture. Ceux-là affirment donc qu’il était l’un de ces activistes politiques proche des terroristes qui faisaient passer de mauvais quart d’heure à tous les romains qu’ils pouvaient coincer. En Jésus, il avait vu le Messie, libérateur politique et peu à peu, il a déchanté et compris qu’il s’était trompé. Il en est venu, selon l’expression bien connue, à brûler ce qu’il avait adoré ! Pourquoi pas ! Mais rien dans l’Evangile ne vient étayer cette thèse. D’autres insistent sur la mention évangélique qui précisait son amour de l’Argent, un amour qui le perdra comme il perd tous ceux qui se laissent séduire par Mamon ! Pourquoi pas ! Le mieux, c’est quand même de se dire que nous sommes face au mystère du mal qui contient donc une part d’inexplicable ! 

Et c’est bien pour cela que nous devons rester sur nos gardes parce qu’il nous est arrivé à tous de tomber et ça nous arrivera encore. Il peut nous arriver de tomber de très haut ou de moins haut, il peut nous arriver de dégringoler très bas ou moins bas ; oui, à ces niveaux-là toutes les chutes ne se ressemblent pas, mais tomber, c’est ce qui nous unit tous, ici profondément. Et cette semaine sainte est une occasion favorable de regarder ces chutes avec le plus de lucidité possible pour les remettre dans la miséricorde du Seigneur car, sur le chemin de croix, il a voulu connaître la chute, la rechute et même le re-rechute. Certes, ce n’est pas son péché à lui qui l’a fait chuter, mais le poids de nos péchés à nous qui rendait si lourde sa croix, mais il a voulu vivre ces chutes et rechutes pour que nous ne soyons plus écrasés par les nôtres et que nous trouvions en le regardant la force de nous laisser relever par sa miséricorde. Si vous avez besoin d’éléments pour vous aider à regarder le plus lucidement possible ce qui vous fait chuter pour mieux le présenter à la miséricorde du Seigneur, je vous propose cette relecture synthétique et avec un brin d’humour des péchés capitaux. L’orgueil raidit, l’envie ronge, l’avarice ferme, la luxure corrompt, la colère défigure, la gourmandise abrutit, la paresse paralyse. 

Mais je tiens à dire que notre chute n’est jamais inéluctable comme la chute de Judas n’était pas inéluctable. Il aurait suffi à Judas quand il a senti cette distance qui s’instaurait, cette mésestime qui grandissait, pour ne pas sombrer, il aurait suffi que, humblement, il aille voir Jésus et lui demande : maître, protège-moi de moi-même ! Eh bien, lorsque nous sentons que l’orgueil commence à nous raidir, l’envie à nous ronger, l’avarice à nous fermer, la luxure à nous corrompre, la colère à nous défigurer, la gourmandise à nous abrutir, la paresse à nous paralyser, il suffirait que nous courions vers Jésus en lui disant : Mon Maître et mon Seigneur, protège-moi de moi-même pour ne pas chuter.

Finalement, la bonne attitude, c’est celle à laquelle, le père Renaud nous invitait hier, c’est à dire rester dans la posture du disciple bien-aimé, sur le sein de Jésus, pour être sûrs de ne pas déraper. La 1° lecture qui a été commentée à l’office de Laudes nous suggérait pourquoi nous tenir dans cette posture : chaque matin, il éveille, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute. Et c’est dans la mesure où je l’écoute que je serai gardé des faux pas et surtout que je deviendrai ce disciple-missionnaire enthousiaste capable, par une parole qui peut aussi être un geste ou un regard de soutenir celui qui est épuisé.

Cette publication a un commentaire

  1. Adéline

    Merci pour cette très chouette homélie.
    Ca fait réfléchir!

Laisser un commentaire