4 août : Fête de St Jean-Marie Vianney. Le curé d’Ars et Lacordaire

Vous avez sans doute déjà entendu parler de Lacordaire, le célèbre prédicateur dominicain qui remplissait la cathédrale Notre Dame de Paris à chaque fois qu’il donnait ses fameuses conférences de carême. Eh bien figurez-vous que le célèbre dominicain s’est rendu à Ars, il voulait écouter prêcher le curé d’Ars. Peut-être se demandait-il comment une petit curé réputé ignare pouvait attirer autant de monde, il voulait connaître son secret. Peut-être aussi avait-il été envoyé par quel qu’évêque qui souhaitait vérifier si la doctrine du curé d’Ars était conforme à la foi catholique. Peu importe le motif, toujours est-il qu’il est là, dans la petite église d’Ars, incognito, enfin aussi incognito que peut l’être un Dominicain en habit et qui plus est un célèbre dominicain ! De fait, il est reconnu par un pèlerin qui va informer le curé d’Ars de la présence de Lacordaire. Celui-ci vient vite le saluer et le prie d’assurer la prédication à la messe. Lacordaire ne veut pas, il est venu pour écouter le curé d’Ars mais celui-ci insiste tellement en assurant que ça sera un honneur pour ses paroissiens d’entendre un tel puit de science. Lacordaire est obligé de céder. Il décide donc de rester un jour de plus et de participer à la messe du lendemain pour écouter le curé d’Ars. Le lendemain, même scénario, mais Lacordaire ne cède pas, il pourra écouter le curé d’Ars. En rentrant à Paris, il dira : j’en ai plus appris sur le Saint-Esprit en écoutant Mr Vianney prêcher que dans toutes mes études de théologie ! Vous vous rendez compte, le grand théologien dit : j’en ai plus appris sur le Saint-Esprit en écoutant Mr Vianney prêcher que dans toutes mes études de théologie ! Le curé d’Ars avait-il prêché sur le Saint-Esprit ce jour-là ? C’est possible car ça lui arrivait souvent, ce qui n’était pas habituel à l’époque. Mais je pense que la raison est ailleurs. 

Avant de vous la donner, pour vous faire sourire, je vous raconte encore cette anecdote. Le carême suivant, à Notre Dame, Lacordaire a tellement de succès que la cathédrale est archipleine, certains ont dû monter sur les confessionnaux pour le voir. Quand on ne le lui fait remarquer à la fin de sa conférence, il dira : oui, mais à Ars, il y a un petit curé qui est bien plus fort que moi, parce qu’avec lui, les gens ne montent pas sur les confessionnaux, ils entrent dans les confessionnaux ! Pour résumer sa rencontre avec Lacordaire, Jean-Marie Vianney dira : ce jour-là se sont rencontré l’extrême science et l’extrême ignorance !

Alors pourquoi Lacordaire a-t-il pu dire : j’en ai plus appris sur le Saint-Esprit en écoutant Mr Vianney prêcher que dans toutes mes études de théologie ? Eh bien, parce qu’il a vu la grâce à l’œuvre quasiment sans filtre. Chez nous aussi, la grâce est à l’œuvre, mais, par notre péché, nous mettons tellement de filtre qu’elle ne peut pas porter autant de fruits que dans la vie du Saint Curé d’Ars. Chez les saints, la grâce est aussi à l’œuvre et ils mettent moins de filtres que nous car leurs péchés sont moins prégnants. Mais, chez le Curé d’Ars, plus que chez n’importe qui d’autre, le travail de la grâce pouvait se voir à l’œil nu et c’est ce qui a frappé Lacordaire. Car, bien évidemment, quand on parle du travail de la grâce, on parle du travail du Saint-Esprit. En écoutant le curé d’Ars, Lacordaire en a plus appris que dans toutes ses études de théologie car il a vu, entendu que ce qu’il avait appris était vrai, le Saint-Esprit est vraiment puissant. Je pourrais développer cela longuement, mais je ne vais retenir que deux points qui le montrent tellement bien.

1/ Lacordaire, c’est sûr, connaissait la réputation du curé d’Ars, il savait qu’on venait de loin pour l’écouter et pour se confesser à lui, mais il savait aussi que le Curé d’Ars avait la réputation d’être assez peu instruit. Ce qui ne signifie pas comme on le dit parfois trop rapidement qu’il n’était pas intelligent. Son évêque l’exprimera très bien en direction des prêtres de son canton qui, par jalousie, lui taillaient une terrible réputation d’ignare, d’incompétent ; à ceux-là, l’évêque dira : Monsieur Vianney n’est peut-être pas très instruit, mais il est très éclairé ! C’est sans doute cela qui a frappé Lacordaire et qui lui a fait contempler, comme à livre ouvert, le travail de la grâce dans l’âme de ce pasteur hors-normes : il était éclairé, habité par la lumière du Saint-Esprit.

Si le curé d’Ars n’était pas très instruit, ce n’était pas de sa faute, il est né en 1786. Avec la Révolution, les écoles vont fermer les unes après les autres puisqu’elles étaient quasiment toutes tenues par des religieux-religieuses qui seront chassés de France … Jules Ferry n’était encore pas passé par là ! Jean-Marie Vianney commencera à apprendre à lire et écrire à 17 ans, c’est bien tard !

C’est même trop tard pour pouvoir développer une intelligence conceptuelle. On peut donc comprendre qu’il sera renvoyé du séminaire avec une mention épouvantable que vous allez comprendre même si vous n’avez pas appris le latin ! On l’a renvoyé avec la mention debilissimus, en latin « issimus », c’est la marque du superlatif : débile, au maximum. Il faut dire que les examens étaient en latin et qu’il ne comprenait strictement rien aux questions qu’on lui posait ! 

Alors on comprend la question qu’a dû s’se poser Lacordaire : comment avec un bagage si médiocre pouvait-il attirer encore plus de monde que lui et cela de manière paermanente ? D’autant plus que les prédications du curé d’Ars se résumaient parfois à 3 mots qu’il répétait sur tous les tons, avec tellement d’émotion, qu’il faisait pleurer toute l’assistance. Montrant le tabernacle, il ne cessait de répéter : il est là, il est là, il est là ! C’est sûr que ce n’était ni l’art oratoire, ni le maniement de grands concepts qui pouvaient attirer les foules à Ars. Lacordaire a compris que dans son extrême pauvreté, le curé d’Ars ne pouvait compter que sur le Saint-Esprit pour toucher les cœurs des pèlerins nombreux qui venaient à lui. Voilà pourquoi il pouvait dire : j’en ai plus appris sur le Saint-Esprit en écoutant Mr Vianney prêcher que dans toutes mes études de théologie !

Le 2° point que je voudrais souligner pour expliquer cette parole de Lacordaire, c’est que le Dominicain a dû être épaté, étonné du contenu de la prédication du Saint Curé d’Ars. A l’époque, l’enfer était souvent au cœur des prédications ; le but était de décrire toutes les tortures qu’on pouvait y subir pour inculquer la peur de l’enfer et inciter à la vertu. Mais, vous comprenez, que, dans ces conditions, on ne devenait pas vertueux par amour du bien ! Le curé d’Ars, lui aussi, parlait souvent de l’enfer, mais c’était pour dire qu’il était tellement facile de ne pas y aller puisque Dieu était tellement miséricordieux à l’égard des pécheurs qui se repentaient. A l’époque, évidemment, on n’envisageait pas l’enfer comme l’envisage le Catéchisme d’Eglise Catholique comme « un état d’auto-exclusion » ! 

Le cœur de sa prédication, c’était la miséricorde et ça, ce n’était vraiment pas fréquent à l’époque. En cela, il accomplissait parfaitement la mission de guetteur reçue par le prophète Ezéchiel, comme nous l’avons entendu dans la 1° lecture. Il n’avait de cesse de chercher à aider le pécheur à se détourner du péché, mais il ne le faisait pas en brandissant la peur de la damnation, il le faisait en montrant combien le Salut était simple : il suffisait d’ouvrir son cœur à la miséricorde. C’est vraiment assez étonnant pour l’époque et ça l’est d’autant plus que sa formation ne l’avait pas préparé à prêcher cette miséricorde. Renvoyé du séminaire, il va être recueilli par l’abbé Balley, qui sera un prêtre exemplaire, qui s’est saigné pour le conduire à l’ordination. Mais l’abbé Balley, chanoine de Ste Geneviève, avait une formation jansénisante dans laquelle la miséricorde ne tenait pas la 1° place. Par contre, la peur de l’enfer, elle, elle tenait une très grande place, un enfer dont il fallait chercher à s’éloigner par de multiples efforts qui, de toutes façons, ne nous assureraient jamais la certitude d’être sauvés. Voilà ce que fut sa formation. 

Au risque d’allonger, laissez-moi aussi vous parler d’un événement qui va le tourmenter profondément. Il a bataillé pour entrer au séminaire, il en a été renvoyé mais accueilli par l’abbé Balley. Quand il peut donc enfin commencer sa formation pour devenir prêtre, il est appelé sous les drapeaux. C’était l’époque des guerres napoléoniennes, l’empereur avait besoin de toujours plus de soldats pour mener ses batailles. Je ne peux entrer dans les détails, mais il va finir comme déserteur ce qui vaudra à son père d’être terriblement inquiété par les gendarmes. Pour mettre fin à cette situation qui plombait tellement l’ambiance familiale, son jeune frère se porte volontaire pour le remplacer et faire ainsi baisser la pression sur la famille. Mais quelques semaines après son départ, un message arrive, il a été tué, la maman ne s’en remettra pas, elle finira par mourir de chagrin au bout de quelques mois. Jean-Marie portera douloureusement la responsabilité de la mort de ces deux êtres qu’il chérissait. Lui qui était d’une mentalité scrupuleuse, déjà tourmentée, va être comme hanté par cette certitude qu’il sera damné pour être responsable d’un tel drame.

Alors, comment, avec une telle formation et le souvenir de ce drame personnel, pourra-t-il, des années après, donner des prédications dont la miséricorde inconditionnelle était devenue le cœur ? Là encore, avec Lacordaire, nous ne pouvons y lire que le travail de la grâce, de la puissance du Saint-Esprit à l’œuvre dans l’âme de ce pauvre qui ne pouvait plus compter que sur le Saint-Esprit. 

Tellement conscient de sa pauvreté, Jean-Marie Vianney passera des heures en prière mendiant les lumières du Saint-Esprit et sa force, pour compenser ses innombrables faiblesses intellectuelles et psychologiques. Oui, il passait des heures en prière devant le Saint-Sacrement suppliant Jésus bon pasteur de rendre son pauvre cœur semblable à son cœur de pasteur. Et vous savez quand on fréquente ainsi Jésus, si j’osais, je dirai : on est foutu ! Le pape François a nommé cardinal un simple prêtre de Buenos-Aires, un confesseur réputé. Il a raconté à son sujet cette anecdote. Ce prêtre venait le voir de temps en temps quand lui-même était archevêque de Buenos-Aires, pour faire le point sur son ministère de confesseur. Un jour, ce prêtre lui confie qu’il a des scrupules, il a peur d’être trop miséricordieux, de donner trop facilement le pardon à de grands pécheurs. L’évêque lui demande : et que fais-tu quand tu as ce genre de scrupules ? Le prêtre lui répond : eh bien, je cours devant le Saint-Sacrement et je dis à Jésus : après tout, si je suis trop miséricordieux, ce n’est pas de ma faute, c’est toi qui m’as donné le mauvais exemple ! Cette parole le curé d’Ars aurait pu la prononcer de la même manière car, lui non plus, contrairement à l’image que certains peuvent avoir, il ne manquait pas d’humour !

Comme ça serait beau si tous ceux qui nous approchaient, en raison de nos paroles, de notre témoignage pouvaient dire : j’en ai plus appris sur le Saint-Esprit et sa puissance en te rencontrant que dans toutes mes lectures et retraites ! Saint Curé d’Ars intercède pour nous, afin qu’il en soit ainsi pour nous tous, mais aussi et surtout pour les prêtres dont tu es le Saint Patron et pour qui nous prions plus spécialement aujourd’hui ainsi que pour les vocations sacerdotales.

Cette publication a un commentaire

  1. Françoise Gadioux

    Merci Père Roger.
    Pour votre prédication si empreinte de simplicité, qui touche et nous fait entrevoir la simplicité pour être avec Dieu.
    Ma fille, qui a 15 ans, qui croit en l « Univers » et non en Dieu, se laisse toucher par vos homélies.
    Merci.

Laisser un commentaire