Un jour quelqu’un a fait des recherches à propos de mon nom de famille et m’a annoncé qu’Hébert viendrait d’Hébreux. C’est vrai que dans le premier Testament au livre des nombres (26,45) il est mentionné un Héber (mais sans « t » à la fin) et qu’on explique que c’est la famille des Hébrites … alors pourquoi pas Hébreux ! Si tel est le cas, peut-être que j’avais un très lointain aïeul qui se trouvait dans le peuple de ceux qui ont traversé le désert. Et peut-être qu’il a assisté au fameux épisode des serpents dont les morsures si venimeuses ont failli faire périr le peuple. Cet épisode est évoqué par Jésus au début de l’Evangile : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé. » Oui, parce que vous connaissez l’histoire : les hébreux, donc peut-être avec Héber sont arrivés dans un coin infesté de serpents. Comme ils avaient pas mal rouspété avant, ils ont tout de suite cru que c’était une punition de Dieu. Alors, ils vont voir Moïse pour dire qu’ils regrettent beaucoup et qu’ils ne recommenceront plus jamais … nous connaissons le refrain, nous le chantonnons nous-mêmes si souvent ! Si Dieu n’avait pas envoyé les serpents parce que ce n’est vraiment pas dans sa manière de faire, il va, par contre envoyer le remède en disant à Moïse : Tu vas faire forger un serpent en bronze et tu le mettras au sommet d’un mât et tous ceux qui seront mordus n’auront qu’à regarder ce serpent élevé, ils seront guéris.
Et c’est là où j’aimerais interroger mon lointain aïeul, l’interroger avec une pointe de reproche : pourquoi n’as-tu pas été voir Moïse pour qu’il demande à Dieu de faire plus simple ! Pourquoi forger un serpent un bronze, l’attacher au sommet d’un mât et demander à tous ceux quoi ont été mordus de regarder ce mât ? Oui, il y avait bien plus simple, vraiment plus simple : Dieu n’avait qu’à supprimer les serpents et le tour était joué et on aurait bien été débarrassé pour la suite des siècles ! Mon aïeul se serait distingué et on parlerait encore de lui, s’il avait osé cette question de bon sens ! N’y a-t-il pas pensé ? Ça me surprendrait qu’un Héber ne saute pas sur une telle occasion ! La réponse la plus plausible, c’est qu’il n’était pas là au moment où ça s’est fait, autrement il aurait forcément réagi ! A moins que … à moins qu’il ait déjà compris ce qu’il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre et d’ailleurs je ne suis pas encore sûr d’avoir tout compris ! Pourquoi Dieu n’a-t-il pas supprimé le mal ? Pourquoi fabriquer ce mât et pas supprimer le mal ?
Réfléchissons quelques instants sur cette question du mal. Il est en grande partie une production de l’homme, un résultat du mauvais usage de sa liberté. A 1° vues, il y a certaines formes du mal qui sembleraient échapper à sa responsabilité comme toutes les catastrophes naturelles. Mais ce n’est qu’à 1° vue que ça échappe à la responsabilité de l’homme ! Prenons les phénomènes météo dramatiques comme les tempêtes, cyclones. Nous apprenons peu à peu que c’est souvent une manière pour la nature de se rebeller face aux violences que nous lui faisons subir : qui sème le vent, récolte la tempête et, là, c’est bien le cas de le dire ! C’est vrai, il y a d’autres fléaux moins explicables comme les tremblements de terre, mais aujourd’hui, on sait les prévenir et on sait où ils vont se produire ce qui devrait, théoriquement, permettre que ces zones ne soient pas habitées. Le problème c’est que certaines personnes, sans scrupules, vendent quand même ces terrains et si possible à des pauvres ! Passons sur les autres fléaux naturels et envisageons peut-être la dernière forme de mal qui semble échapper à la responsabilité des hommes : les maladies incurables qui touchent des innocents. Un cancer du poumon chez un fumeur, il a une explication, mais chez un enfant, comment l’expliquer ? Nous ne pouvons pas tout comprendre, mais guérissons plus souvent et nous pourrions soigner mieux si la recherche médicale avait plus de moyens. Mais hélas, certains choix de société très discutables mobilisent beaucoup de fonds qui seraient mieux placés dans la recherche médicale.
Vous voyez donc que, même sur bien des formes qui pourraient paraître inexplicables et donc scandaleuses, la responsabilité de l’homme est quand même engagée à un moment ou à un autre. Ce qui signifie que pour supprimer totalement le mal, il faudrait que Dieu supprime la liberté des hommes ! Or Dieu ne le veut pas car la liberté est la condition de l’amour. L’amour exige la liberté. Comme le disait Péguy : Dieu ne veut pas être adoré par des prosternements d’esclaves. Dieu est amour, il ne peut donc que nous offrir la liberté en espérant que nous engagerons cette liberté dans le combat pour faire triompher l’amour sur toute forme de mal.
Cessons donc de critiquer Dieu en lui reprochant ce qu’il ne peut pas faire. Mais attention, ça ne signifie surtout pas que Dieu reste inactif face au mal. Si ce dimanche est le dimanche de la joie, c’est parce que l’Evangile met justement devant nos yeux la puissance de l’amour de Dieu qui s’engage, et de quelle manière, en notre faveur pour que nous ne soyons pas écrasés par ce mal dont nous nous rendons pourtant si souvent complices. En effet, il faut affirmer très fort que si Dieu ne peut supprimer le mal il a tout fait pour que le mal n’ait pas le dernier mot, il a tout fait pour que nous puissions devenir, par sa grâce, vainqueurs du mal. C’est ce que disait l’Evangile : « Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie, la vie éternelle. » Oui, voilà pourquoi ce dimanche est le dimanche de la joie : il annonce que la victoire de Jésus peut devenir notre victoire et donc la défaite du mal qui n’aura pas le dernier mot, Dieu s’y est engagé.
Dans une quinzaine de jours, nous méditerons de manière plus approfondie ce grand mystère de l’amour de Dieu révélé sur la croix, ce grand mystère de l’amour de Dieu qui éclate dans le don que Jésus fait de sa vie pour nous les hommes et pour notre Salut. Je ne m’y arrête donc pas plus, même si ce n’est pas aussi simple que ça à comprendre. Pourquoi, comme le dit l’Evangile, FALLAIT-IL que le Fils de Dieu soit élevé de cette manière si douloureuse, si infâmante pour que nous puissions devenir vainqueurs être sauvés ? La réponse viendra en son temps au cours de la semaine sainte !
Après toutes ces mises au point, il faut encore apporter une précision pour ne pas passer à côté du message de cet Evangile. J’ai dit : ce dimanche de la joie annonce que la victoire de Jésus PEUT devenir notre victoire. Oui, PEUT devenir notre victoire. Pour que le mal qu’il ne peut éradiquer n’ait pas le dernier mot, Dieu a fait l’essentiel du travail, mais il va quand même nous demander notre collaboration. Comme le disait St Augustin : « le Dieu qui t’a créé sans toi ne peut te sauver sans toi. » Vous savez que, dans l’Evangile, Jésus ne cesse de poser des questions à ceux qui viennent solliciter un miracle, à ceux qui demandent à voir la puissance de Dieu à l’œuvre dans leur vie, à ceux qui veulent déjà recueillir les bénéfices de la mission salvatrice du Christ : « Crois-tu que je puisse faire cela pour toi ? »
Vous aurez peut-être remarqué que dans cet Evangile, il y a justement plusieurs mentions de la Foi : « afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle » « afin que quiconque croit en lui ne se perde pas » « celui qui croit en lui échappe au Jugement. »
Qu’est-ce qui guérissait les hébreux ? Le serpent de bronze ? Bien sûr que non ! Dieu n’agit pas à la manière des sorciers ! C’est la foi en la Parole de Dieu qui avait dit : ceux qui le regarderont seront sauvés. Eh bien, il en va de même pour le sacrifice du Christ sur la croix. Bien sûr que nous sommes sauvés mais ce sacrifice de Jésus reste inopérant, c’est-à-dire aussi efficace qu’un cataplasme sur une jambe de bois si nous ne nous en approprions pas les bienfaits par la Foi. Découvrir cela, c’est encore un motif de joie supplémentaire pour bien vivre ce dimanche de la joie : Dieu ne passera jamais par-dessus notre liberté même pour nous faire du bien ! « le Dieu qui t’a créé sans toi ne peut , ne veut te sauver sans toi. »
La foi, c’est donc la possibilité que Dieu nous offre, comme un cadeau de son amour, de dire un oui, totalement libre, à son action de Salut en nous. Peu à peu d’ailleurs, ces oui de la foi, ces oui répétés, vont nous guérir peu à peu, nous rééduquer de cette sale habitude que nous avons, depuis notre plus jeune âge de dire non. Car vous savez que « non » c’est, dramatiquement, l’un des premiers mots que nous avons su dire quand nous avons eu accès à la parole. Après avoir dit maman et papa, très vite nous avons commencé à dire : non ! Et nous avons vite rajouté : moi d’abord ! Après cela, il y en a qui penseront que le péché originel est une invention ! Oh, non ! Nous en voyons bien les manifestations très vite ! Il faut que nous en soyons guéris pour enfin mettre notre liberté au service de l’amour en arrêtant de dire sans cesse : non, moi d’abord ! Dans le sacrifice de la croix, sacrifice rempli d’amour, en Jésus, Dieu a voulu nous sauver, mais « le Dieu qui t’a créé sans toi ne peut te sauver sans toi. » Alors crois-tu qu’il puisse faire cela pour toi ? Veux-tu, librement, laisser agir son oui d’amour dans ta vie pour te guérir de tous ces « non » qui ne permettent pas à ta liberté blessée de se déployer ? Veux-tu quitter les ténèbres de tes enfermements ? « Veux-tu venir à la lumière pour qu’il soit manifeste que tes œuvres bonnes ont été accomplies en union avec Dieu ? »
N’oublions jamais que « Dieu est riche en miséricorde ; et que, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ » Oui, mais à quoi ça sert que Dieu se décarcasse, si tu ne réponds pas un oui d’amour, un oui de foi, sans cesse répété, à cette offre de Salut ?
Nous pourrions résumer votre homelie par une chanson de Dutronc :
250 millions d’Heber, et moi, et moi et moi !!!!!
Autre page musicale : non, rien de rien, non je ne regrette rien. Dommage qu’Edith Piaf n’ait pas entendu votre discours plus tôt.