5 juillet : Arriver sur un âne, la plus belle des promesses !

Essayez d’imaginer un seul instant l’effet qu’aurait produit Jean Castex, notre nouveau premier ministre, s’il était arrivé à Matignon sur un vieux vélo tout déglingué pour sa prise de fonction ! Je ne dis pas un vélo électrique très tendance ou un beau vélo de ville, là, il aurait marqué des points dans notre France qui verdit. Non, je parle d’un vieux vélo, démodé, rouillé … on en aurait entendu parler pendant un moment. Les commentateurs se seraient demandé si le président n’avait pas nommé un guignol pour ce poste si important alors que nous sommes dans un moment où l’heure n’est pas à l’amusement pour les dirigeants ! Eh bien, c’est à peu près le scénario qu’annonce Zacharie dans la 1° lecture : « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse. »Le prophète annonce un roi qui entre dans Jérusalem, pas monté sur un âne, ce qui ne serait déjà pas glorieux, mais monté sur un ânon et il précise : le petit d’une ânesse, c’est clair que c’est dérisoire !

Et attention, il faut bien mesurer dans quel contexte ces paroles ont été prononcées. Nous sommes vraisemblablement dans les années 300 avant Jésus-Christ, au moment où l’empire grec est en train de devenir le maître du monde. On sait ce que va signifier pour Israël, c’est le début d’une crise comme ils n’avaient jamais connu, même l’Exil à Babylone, n’avait pas été aussi terrible. Là, ils ne sont pas déportés loin de chez eux, mais l’envahisseur va leur dicter une nouvelle loi avec obligation de manger les viandes impures, ils vont profaner le Temple en y installant une statue de Zeus. Inutile de préciser que, dans le peuple, on attend, avec encore plus d’impatience que dans le passé, le Messie promis et on espère qu’il mettra une bonne raclée à l’envahisseur et redonnera la liberté perdue. Eh bien, c’est ce Messie libérateur qu’annonce Zacharie, mais il annonce qu’il entrera, monté sur le petit d’une ânesse ! Et j’ai presque envie de dire que Zacharie insiste pour dire que le signe imparable qui permettra de reconnaître à coup sûr le Messie libérateur, c’est qu’il sera monté sur le petit d’une ânesse. Et, parce qu’il aura choisi ces moyens dérisoires, il réussira ce que, personne, avant lui, n’avait réussi à faire : « Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre, et de l’Euphrate à l’autre bout du pays. » 

C’est donc clair, il chassera l’envahisseur, rétablira la paix et surtout permettra au peuple de retrouver cette unité perdue depuis 6 siècles avec la division du pays en deux Royaumes. Mais comment est-ce qu’une telle merveille pourra se réaliser avec des moyens aussi dérisoires ? Parce qu’enfin, le libérateur d’un pays s’il veut montrer sa crédibilité et redonner confiance au peuple, il doit rentrer dans le pays qu’il veut libérer avec une division de blindés, ça fait quand même plus sérieux ! Je m’excuse d’insister, mais je crois qu’il nous faut vraiment que nous prenions la mesure de ce qu’annonce Zacharie. Il faut réaliser l’écart qu’il y a entre l’ampleur de la promesse annoncée dans ce moment si douloureux de l’histoire et la pauvreté des moyens pour accomplir cette promesse, je dirai même le côté si dérisoire. Et, s’il convient de tant insister, je pense que vous avez bien compris que c’est parce que ce texte sera l’annonce la plus explicite de la venue proche du Messie, Jésus n’est pas loin ! Et ce n’est pas un hasard s’il entrera dans Bethléem, comme le dit la Tradition, monté sur ânon dans le ventre de Marie pour naître dans une étable, lieu dérisoire pour la naissance du Roi-Messie. Ce n’est pas un hasard s’il entrera dans Jérusalem, monté sur un ânon. Et, sur cet ânon, il y entre pour accomplir le plus grand acte de libération jamais accompli dans l’histoire et qu’aucun acte de libération dans la suite de l’histoire n’égalera. 

Dieu a délibérément choisi des moyens dérisoires pour agir dans l’histoire. Cette prise de conscience doit nous réveiller et nous obliger à réévaluer sans cesse les moyens dont nous rêvons pour accomplir la mission qui nous est confiée. Pour avoir été Vicaire Général, je sais bien que j’ai souvent rêvé d’avoir plus de prêtres et de bons prêtres, plus de laïcs engagés et formés, plus d’argent pour avoir les moyens de nos ambitions. Et nous en sommes tous là dans l’Eglise et en dehors de l’Eglise. Bien sûr qu’avoir plus de personnes et de bonnes personnes engagés dans la mission, c’est bien, bien sûr qu’avoir de l’argent, c’est important … mais, car il y a un mais ! Le grand risque, quand on a plus de moyens, c’est de compter sur nos moyens, c’est de mettre notre confiance dans une utilisation optimisée de nos moyens. 

C’est ce qui est arrivé à Israël. En Exil, ils n’avaient plus rien, ils ont bien été obligés de compter sur Dieu, ils avaient tout perdu ! Eh bien, c’est dans ce dénuement extrême que la foi du peuple était devenue la plus vive, la plus vraie. Enfin, vient le retour de l’Exil, très vite, ils vont reconstruire le Temple, reconstituer une armée de prêtres si j’ose m’exprimer ainsi et non seulement, le pays retrouve la splendeur passée mais il la dépasse : tout semble aller pour le mieux. Mais voilà, avec la splendeur retrouvée, avec des moyens retrouvés, on ne compte plus sur Dieu comme on comptait sur Lui au temps de l’Exil, quand on n’avait rien. Peu à peu la confiance est mise dans ces moyens qui deviennent chaque jour plus importants … et tout s’est écroulé à nouveau parce qu’il ne peut pas en être autrement lorsqu’on compte plus sur nous et nos moyens que sur Dieu C’est pourquoi Zacharie, avec cette prophétie, vient briser tous les rêves de puissance, c’est comme s’il disait paraphrasant St Paul, 3 siècles avant : ne rêvez plus jamais à la puissance, la puissance de Dieu se manifeste dans la faiblesse parce que seuls, les faibles et les pauvres ont compris qu’ils ne faudrait jamais compter sur eux-mêmes. Du coup, nous comprenons mieux l’exultation de Jésus dans l’Evangile qui dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. »

Il est clair que, dans l’Eglise, nous sommes en train de vivre un vrai dépouillement : moins de vocations de prêtres ou de consacrés de tout genre, moins de laïcs actifs en voyant que ceux qui le sont ont déjà un certain âge, moins de rentrée d’argent et la crise liée à la pandémie ne va rien arranger, mais aussi moins de respectabilité en raison de tous les scandales. Evidemment, tout cela nous affecte profondément et les Foyers sont loin d’être à l’abri de cette vague de fond qui traverse l’Eglise. Face à cette crise, il y a deux manières de réagir. 

  • Soit on entre dans la nostalgie du passé, du temps où nous étions nombreux, puissants, riches et respectés. Mais nous savons bien que la nostalgie ne conduit qu’à la tristesse et au découragement. 
  • Soit nous nous disons, certes, ce n’est pas Dieu qui envoie toutes ces difficultés, mais dans ces difficultés, il nous rejoint en nous disant qu’un chemin de vie, de fécondité inouïe pour la mission peut s’ouvrir si, conscients de toutes ces pauvretés, nous acceptons enfin de compter sur lui. 

N’est-ce pas ce que voulait dire Paul dans la 2° lecture : « Si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ; mais si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez. » Vivre selon la chair, c’est raisonner de manière mondaine comme aime le dire le pape François qui, lui, a résolument choisi de conduire l’Eglise à vivre sa pauvreté comme une grâce. Raisonner de manière mondaine, c’est-à-dire selon l’esprit du monde, c’est rêver de puissance. Paul nous prévient : Si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ! Par contre dit Paul : si vous acceptez de renoncer à ce désir de puissance, si vous faites mourir ce péché et que vous décidez de compter enfin sur Dieu, sur la force de l’Esprit qui habite en vous, alors vous vivrez ! Merci Seigneur pour cet avertissement salutaire et cette promesse de vie, c’est vrai qu’elle exige un choix radical, un renoncement radical, mais nous savons que nous pouvons compter sur la Force de l’Esprit qui habite en nous et qui ne demande qu’à libérer sa puissance.

Cet article a 4 commentaires

  1. Dominique

    Pardonnez-moi d’être tatilleux et pointillon, ce qui ne veut rien dire j’en conviens, mais à l’écoute de cette homélie m’est venu une question sur un point de détail. Expérimenté dans les arts lexicoludiques (c’est à dire du jeu de mot au sens large, comme en témoigne ce barbarisme de ma création), je ne peux m’empêcher de me demander quel(s) sens vous donnez au verbe « rejoindre » dans la phrase « ce n’est pas Dieu qui envoie toutes ces difficultés, mais dans ces difficultés, il nous rejoint ».

    Est-ce pour dire que dans c’est dans ces moments qu’il vient à nous?
    – Mais n’est-ce pas nous qui le rejoignons après nous êtres égarés en déplaçant constamment notre confiance en nous plutôt qu’en lui?
    Ou qu’il nous rejoint dans l’idée, c’est à dire qu’il partage cette même idée que nous redécouvrons sans cesse, qui est celle qu’on ne peut compter sur nous mais que sur lui?
    – Mais là encore, n’est-ce pas nous qui redécouvrons qu’il est le plus solide des appuis?
    Ou est-ce qu’il nous rejoins dans notre détresse émotionnelle?
    – Mais encore une fois, n’est-ce pas nous qui n’ouvrons nos coeurs à lui que lorsqu’on ressent ce besoin de consolation, après que l’appui instable que l’on avait placé en nous ne se soit écroulé encore et encore?

    À moins que ce soit tout cela à la fois (ou devrais-je dire, « à la foi »)?

    1. Père Roger Hébert

      Oui, bien sûr le verbe rejoindre suggère une démarche réciproque, on se rejoint mieux quand chacun fait une partie du chemin et ce qui est sûr, c’est que Dieu en fera toujours plus que nous et qu’il n’hésitera pas à nous rejoindre là où nous sommes, là où nous en sommes mais si ce n’est pas brillant !

  2. ANGE Barbara et Emmanuel

    Cher père Hébert,
    Nos coeurs ont exulté….nous nous sommes délectés de l’homélie que l’Esprit Saint vous a donné de nous offrir…C’est tellement percutant juste et vrai…Marthe en est l’exemple par excellence…
    Merci infiniment..

    1. .michel badin

      Merci pour cette homélie qui dans dans sa justesse éveil nos nesprits et nos âmes à la vraie realité de la vie et nous indique précisément la marche à suivre

Laisser un commentaire