6 avril : mercredi 5° semaine du carême. Ce qui laisse Nabuchodonosor sans voix !

On peut dire que cette lecture du livre de Daniel est vraiment dans le prolongement de ce que nous avons médité hier avec l’épisode des serpents au désert. J’ai rappelé que nous rêvions souvent d’un Dieu tellement tout-puissant qu’il puisse empêcher la mal, pour que jamais plus il n’y ait de morsure du serpent, mais hélas, ce n’est pas possible. Dieu n’est pas responsable du mal et sa toute-puissance est une toute-puissance d’amour qui ne peut que se déployer dans les cœurs qui s’ouvrent à lui. Ici, c’est pareil, on aurait vraiment aimé que le Seigneur épargne à ces jeunes hommes tellement exemplaires l’épreuve de la fournaise, qu’il intervienne et qu’au dernier moment, ils n’aient pas à entrer dans ce lieu de torture. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. 

Depuis la Shoah et cette douloureuse impression de l’absence de Dieu, cette question du mal est souvent formulée de cette manière : comment continuer à croire, à prier après Auschwitz ? Pourquoi Dieu n’a-t-il pas empêché cette horreur absolue et pourquoi n’a-t-il pas empêché d’autres génocides comme au Rwanda ou au Burundi pour parler des pays que je connais. Pourquoi a-t-il laissé Poutine et son armée faire tant d’exactions qui nous sont révélées dans leur horreur jour après jour ? Pourquoi n’intervient-il pas avant qu’une personne ne mette fin à ses jours laissant toute sa famille complètement désespérée ? Je m’arrête, mais chacun de nous pourrait rajouter tous ses propres pourquoi et ceux qu’il entend, et même ceux qu’on lui lance à la figure comme un reproche parce qu’il est croyant. Toutes ces questions sont légitimes. Il est même légitime que nous soyons en colère à chaque fois que nous assistons impuissant au déferlement du mal. Je vous avais cité cette parole de St Thomas qui disait que l’absence de colère face à l’injustice était même un péché. Jésus n’a pas fait taire ceux qui se révoltaient devant le mal. On peut penser à la révolte de Marthe et Marie, au moment de la mort de leur frère, révolte provoquée par l’absence de Jésus qu’elles avaient fait chercher et qui est arrivé trop tard. Jésus n’a jamais fait taire l’expression de la souffrance devant le mal. Il a même récapitulé tous ces pourquoi dans son propre pourquoi prononcé sur la croix comme nous le méditerons la semaine prochaine.

Devant la souffrance et l’absence, au moins apparente, de réaction de Dieu, un autre pourquoi risque de devenir de plus en plus lancinant : pourquoi croire si Dieu ne peut rien pour nous quand nous en avons le plus besoin ? C’est là que la première lecture va nous apporter un éclairage si important sur la manière d’agir de Dieu. Car s’il reste silencieux, il n’est pas inactif, mais bien souvent, nous ne sommes pas capables de le voir à l’action car sa manière d’agir ne correspond pas à ce que nous attendons. Comment va-t-il agir en faveur de Sidrac, Misac et Abdénago ? Pas en déployant un coup d’éclat qui aurait empêché la fournaise de s’enflammer ou en les hélitroyant spectaculairement au dernier moment. Non, il va agir en les rejoignant au cœur de la fournaise et c’est ce qui va bouleverser Nabuchodonosor qui est tout sauf un enfant de chœur ! 

Vous avez entendu sa stupéfaction :  je vois quatre hommes qui se promènent librement au milieu du feu, ils sont parfaitement indemnes, et le quatrième ressemble à un être divin. Et qu’est-ce qui a le plus impressionné ce roi païen ? Qu’ils soient indemnes et marchent librement ceux qu’il avait fait jeter dans cette fournaise pourtant chauffée 7 fois plus forte que d’habitude ? Oui, sans doute que ça a pu l’impressionner, mais peut-être que ce qui l’a le plus impressionné, c’est qu’un mystérieux personnage de forme divine soit venu les rejoindre au cœur de cette fournaise. Dans aucune autre religion, on n’a vu ça. En lisant les mythes des religions païennes, on voit bien que c’est toujours le même scénario : les dieux sont tranquilles dans leur ciel, ils mènent une vie de plaisir, loin d’être exemplaire, ils font des hommes leurs larbins et ils font payer aux hommes les conséquences de leurs propres incartades. Là, il se passe quelque chose d’inouï, Nabuchodonosor n’en croit pas ses yeux : le Dieu de Sidrac, Misac et Abdénago a choisi de venir les rejoindre au cœur de cette fournaise pour vivre avec eux leur épreuve ! 

Ce Dieu n’est vraiment pas comme les autres et c’est ce qui va lui faire pousser ce cri de foi : « Béni soit le Dieu de Sidrac, Misac et Abdénago, qui a envoyé son ange et délivré ses serviteurs ! Ils ont mis leur confiance en lui, et ils ont désobéi à l’ordre du roi ; ils ont livré leur corps plutôt que de servir et d’adorer un autre dieu que leur Dieu. » Voilà comment Dieu agit face à la souffrance, face au mal, il ne peut l’empêcher puisqu’il n’en est pas à l’origine, mais il choisit de se faire proche d’être au plus près de ceux qui souffrent. C’est bien ce témoignage que donnera Jésus. Aux pieds de la croix, ils étaient nombreux ceux qui le raillaient et qui attendaient un coup d’éclat en disant : si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix et là on croira. A tous ceux-là, Jésus répondra en allant jusqu’au bout de l’amour parce qu’il est le Fils de Celui dont la toute-puissance n’est qu’une toute-puissance d’amour. Nous connaissons tous cette merveilleuse parole de Claudel : En Jésus, Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il n’est même pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence. C’est exactement ce qui se passe dans la fournaise. Et c’est encore ce que nous lisons dans les récits de martyrs comme ceux de l’Ouganda qui semble être un remake de la fournaise de Nabuchodonosor avec encore plus de raffinement dans le supplice. Mais la manière dont ils sont morts témoignent assurément que Dieu était avec eux.

Le gros problème, c’est que lorsque nous vivons de grandes épreuves, nos yeux sont comme aveuglés par la souffrance, ce qui fait que nous ne sommes pas capables de voir la présence du Seigneur à nos côtés. Alors, Dieu, dans sa grande sollicitude, nous envoie des frères suffisamment aimants pour que nous puissions peu à peu discerner sa présence à Lui dans leur présence aimante et fidèle. Le drame, c’est que parfois ces frères se sentent investis d’une mission non pas d’abord d’épauler celui qui souffre, mais prioritairement de défendre Dieu. Ils prennent alors le visage des fameux amis de Job qui, loin de lui faire du bien, rende sa souffrance encore plus insupportable. Puissions-nous accepter cette mission, quand le Seigneur nous la confie, de nous rendre proches de ceux qui souffrent sans jamais nous transformer en amis de Job. Envoyés auprès d’eux, puissions-nous être suffisamment aimants pour témoigner de la présence de Celui dont la toute-puissance d’amour peut faire tant de merveille dans les cœurs de ceux qui s’ouvrent à Lui. 

Toutes ces réflexions peuvent sans doute éclairer le dialogue que Jésus mène avec une catégorie bien particulière de juifs. Vous avez entendu qu’il s’adresse aux juifs qui croyaient en lui. Il y en avait donc parmi les juifs qui avaient commencé un chemin de foi. Jésus vient d’avoir un dialogue musclé avec des juifs hostiles, ceux qu’il était en train d’enseigner quand on lui a apporté la femme adultère. Après cet épisode, il reprend l’enseignement que nous avons entendu hier et avant-hier et là, il semble se tourner vers un autre public plus favorable qui était sans doute déjà présent et qui a profité de son enseignement. Mais ces juifs, dont le cœur commençait à se tourner vers lui, se posaient encore bien des questions, tellement de questions qu’une remarque de Jésus laisse entendre qu’ils ne savaient encore pas s’ils allaient se désolidariser de ceux qui cherchaient à le tuer. Pour les aider à cheminer dans la foi, pour les aider à oser la foi, Jésus ne leur propose pas un grand miracle qui viendrait faire taire tous leurs doutes, il ne propose pas un raisonnement qui pourrait convaincre, il leur propose de faire un pas de plus sur le chemin de l’amour. Car seuls ceux qui marchent sur le chemin de l’amour peuvent trouver la présence de Dieu puisqu’il n’est qu’amour. « Si Dieu était votre Père, dit Jésus, vous m’aimeriez, car moi, c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens. Je ne suis pas venu de moi-même ; c’est lui qui m’a envoyé. » Puissions-nous être suffisamment aimants en renonçant à tous nos rêves de coup d’éclat venus du ciel pour témoigner humblement, mais fidèlement de ce Dieu d’amour auprès de ceux qui sont dans l’épreuve. Et puissions-nous reconnaître et accueillir ceux que le Seigneur ne manquera pas de nous envoyer quand, nous-mêmes, nous serons dans les épreuves.

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