6 juin 2021 : fête du Saint-Sacrement. Sine dominico non possumus !

Vous savez que depuis un certain nombre d’années, nous pouvons entendre chaque jour aux informations du matin que la journée qui s’ouvre est dédiée à telle ou telle cause. La plus célèbre est sans doute la journée des femmes, mais on connait aussi la journée de la musique, devenue fête de la musique, la journée sans tabac, la journée du bonheur, j’en passe et des plus exotiques ! Je n’avais encore jamais consulté le calendrier de ces journées, je vous recommande de le faire c’est assez instructif ! Le but de ces journées, c’est de nous réveiller pour que nous ne laissions pas s’installer de mauvaises habitudes. Tout le monde comprend bien que s’il y a une journée de la femme, c’est pour que chaque jour de l’année, nos sociétés donnent aux femmes la place qui leur revient. S’il y a une journée sans tabac, c’est pour que chaque jour, les hommes prennent conscience des méfaits du tabac. Nous réveiller, nous sensibiliser, c’est le rôle de ces journées à thèmes, hélas, leur prolifération risque de ne plus permettre à chacune de ces journées d’accomplir sa mission d’électrochoc.

L’Eglise qui est parfois accusée d’être en retard sur un certain nombre de points a au moins été en avance sur ce point-là : l’instauration de la 1° journée à thème. En effet, c’est en 1264 que le pape Urbain IV a rendu la fête du Saint-Sacrement obligatoire pour toute l’Eglise. Si je classe cette fête du Saint-Sacrement dans la catégorie des journées à thèmes, c’est parce qu’elle remplit bien le même rôle que les autres journées à thèmes. Il s’agit de réveiller les chrétiens qui s’habituent un peu trop à l’Eucharistie, qui ne réalisent plus la grandeur du mystère auquel ils participent en venant à la messe. C’est pour cela que, naguère, les processions de cette journée qu’on appelait « la fête-Dieu » revêtaient une telle importance et déployaient un tel faste. Une journée par an, on voulait montrer qu’on reprenait conscience du caractère inouï du sacrement de l’Eucharistie dans lequel, en Jésus, Dieu se rend réellement présent au milieu de nous, Dieu se donne entre nos mains. 

Oui, le plus grand risque, c’est que, par une participation routinière à l’Eucharistie, nous devenions des habitués. Quand j’étais curé, lors des messes des familles j’aimais expliquer aux enfants que, si dans la semaine, le téléphone sonnait et que le pape annonce qu’il s’invite à déjeuner dans votre famille, il y aurait un sacré branlebas de combat ! Vite, il faudrait faire un grand ménage, porter ses beaux habits au pressing pour qu’ils soient prêts, mettre les petits plats dans les grands … et tout ça, évidemment, sans rechigner, quand même, le pape qui s’invite à la maison, ça ne se refuse pas. Eh bien, à chaque messe, c’est le patron du pape qui s’invite dans la maison de notre cœur, est-ce que nous le réalisons vraiment ? Oui, c’est bien nécessaire d’avoir une journée par an pour reprendre conscience du privilège que Dieu nous accorde au cours de chaque Eucharistie.

Il faut dire aussi que Jésus est un peu responsable de ce glissement vers l’habitude. Pour se rendre présent, il a choisi des signes tellement habituels, tellement pauvres : du pain et du vin. S’il avait choisi du caviar, je peux vous dire qu’on ferait attention de ne pas en consacrer trop comme on le fait chaque jour ! Du pain, quoi de plus banal ? Mais Dieu est comme ça, il choisit toujours ce qu’il y a de plus pauvre pour se manifester. C’est tellement manifeste avec le choix des hommes, Paul l’avait bien dit et nous aimons le chanter : ce qu’il y a de fou, de pauvre dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi. Les signes de l’Eucharistie obéissent à cette même loi. Tertullien, ce grand théologien du 2° siècle avait bien fait remarquer que rien ne déroutait autant l’esprit humain que la disproportion entre la simplicité des moyens que Dieu choisit pour se révéler et la grandeur des effets obtenus : petits moyens et grands effets, pauvres moyens et richesse du mystère. 

Oui, l’esprit humain est déconcerté parce que chez les hommes, c’est tellement souvent le contraire : de grands moyens sont déployés pour obtenir de si petits résultats. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe pour les campagnes électorales aux Etats-Unis et ça vient chez nous : des moyens tellement grands sont déployés, des sommes d’argent colossales sont dépensées et le résultat, c’est que pas grand-chose ne change vraiment ensuite dans la vie du monde ! Avec l’Eucharistie, c’est exactement le contraire : de tout petits moyens, un peu de pain, un peu de vin qui transforment en profondeur ceux qui les reçoivent dans la foi.

Mais justement, le problème, c’est que nous ne recevons jamais avec assez de foi Dieu qui se donne totalement en Jésus dans la pauvreté des signes de l’Eucharistie. Le père Cantalamessa raconte qu’un de ses amis incroyants lui a dit un jour : « si tu arrivais à me faire croire que Dieu était réellement présent dans ce morceau de pain, je tomberais à genoux immédiatement et tu ne pourrais plus me relever ! » Et le père rajoute : « en entendant cela, j’étais rempli de confusion, car je sortais de la messe que je venais de célébrer et j’étais bien tombé à genoux, mais juste pour quelques instants ! » La foi des incroyants peut nous réveiller ! Nous avons sûrement à demander, comme les apôtres l’ont demandé régulièrement : « Seigneur augmente en nous la foi ! » Nous devons demander la grâce d’obtenir « la stupeur eucharistique » selon la belle expression de Jean-Paul II pour pouvoir dire comme les fameux martyrs d’Abitène, en Afrique du Nord. C’était au début du 4° siècle, le culte chrétien était interdit, or malgré l’interdiction, les chrétiens allaient à la messe, sachant que s’ils se faisaient prendre, ils seraient tués dans d’horribles souffrances. Tous ceux qui étaient arrêtés et qu’on interrogeait répondaient la même chose : sine dominico non possumus ! Sans le dimanche, nous ne pouvons pas vivre ! La foi des martyrs peut elle aussi nous réveiller et parfois au sens propre quand on n’aurait pas envie de sortir de son lit !

Cette stupeur eucharistique, Benoit XVI avait essayé de la communiquer aux jeunes réunis pour les JMJ de Cologne. Je ne sais pas s’ils avaient tout compris, mais c’était d’une puissance extraordinaire, j’en cite un petit extrait : Depuis toujours, tous les hommes, d’une manière ou d’une autre, attendent dans leur cœur un changement, une transformation du monde. Maintenant se réalise l’acte central de transformation qui est seul en mesure de renouveler vraiment le monde :  la violence se transforme en amour et donc la mort en vie. Puisque cet acte change la mort en amour, la mort comme telle est déjà dépassée au plus profond d’elle-même, la résurrection est déjà présente en elle. La mort est, pour ainsi dire, intimement blessée, de telle sorte qu’elle ne peut avoir le dernier mot. Pour reprendre une image qui nous est familière, il s’agit d’une fission nucléaire portée au plus intime de l’être – la victoire de l’amour sur la haine, la victoire de l’amour sur la mort. Seule l’explosion intime du bien qui vainc le mal peut alors engendrer la chaîne des transformations qui, peu à peu, changeront le monde. Tous les autres changements demeurent superficiels et ne sauvent pas. 

Oui, en cette journée de l’Eucharistie, demandons cette stupeur eucharistique pour croire que la force que nous allons recevoir a véritablement la puissance d’une fission nucléaire. 

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