8 novembre : vendredi 31° semaine ordinaire. L’humble orgueil de Paul … devenir avisés en choisissant ce qui ne passe pas !

C’est le dernier passage de la lettre aux Philippiens que nous entendons puisque demain, avec la fête de la dédicace de la basilique du Latran, nous aurons d’autres textes. Comme je l’ai déjà souligné à plusieurs reprises, Paul entretenait un lien particulier avec cette communauté, on l’entend bien dans ces mots qui concluaient la lecture : Ainsi, mes frères bien-aimés pour qui j’ai tant d’affection, vous, ma joie et ma couronne, tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés. Et c’est bien parce qu’il leur est profondément attaché que Paul leur donne des conseils, non pas parce qu’ils seraient partis à la dérive, mais pour qu’ils ne partent pas à la dérive. Et alors ces conseils sont introduits par une remarque qui pourrait nous gêner puisque Paul n’hésite pas à dire : Frères, imitez-moi, et regardez bien ceux qui se conduisent selon l’exemple que nous vous donnons.

Nous pourrions être gênés car, dans ces quelques mots, Paul semble se mettre en avant en demandant aux Philippiens de l’imiter car sa conduite peut servir d’exemple. imitez-moi, et regardez bien ceux qui se conduisent selon l’exemple que nous vous donnons. Comment comprendre ? C’est vrai que Paul, à bien des reprises, n’hésite pas à se mettre en avant et, pour nous, dans nos mentalités, ça ne se fait pas. Je dirai deux choses pour expliquer cette attitude.

  1. Il faut reconnaitre que, de tout temps, les êtres humains, cherchent des modèles auxquels ils pourraient s’identifier. La mode, par exemple, fonctionne comme cela. Il suffit que telle vedette porte tel type de chaussures ou de vêtement pour que, dans les jours qui suivent, la plupart des jeunes soient habillés de cette manière, même si c’est, objectivement moche ! Paul l’avait compris et il se disait : il est préférable que les gens m’imitent, moi, plutôt que n’importe quel zozo !
  2. Si Paul a l’audace de se mettre en avant en disant : imitez-moi, je suis votre exemple, c’est parce que, lui-même, il veut, en toutes choses imiter Jésus. Il le dira d’ailleurs, de manière très explicite, dans la 1° lettre aux Corinthiens : Soyez mes imitateurs, comme je [le suis] moi-même de Christ. C’est vrai qu’une lecture superficielle pourrait nous laisser croire que Paul est orgueilleux, mais il n’en est rien, il n’hésitera jamais à rappeler son passé de pécheur, de persécuteur, il se présentera même comme un avorton, indigne du ministère qui lui a été confié. Mais, en même temps, il a conscience que le Seigneur a fait en lui de grandes choses. En cela, il est à l’image de Marie qui était pétrie d’humilité et qui, pourtant, n’hésitait pas à dire que toutes les générations la diront bienheureuse précisément parce que le Seigneur a fait en elle de grandes choses. 

Ainsi donc, se mettre en avant, ce n’est pas forcément manquer d’humilité si c’est pour mieux faire admirer l’œuvre du Seigneur dans le cœur d’un pauvre qui reconnait sa pauvreté. Mais il faudra toujours veiller à ne pas déraper, car la la lumière des projecteurs peut se transformer en tentation !

Quant à l’Evangile, il nous a fait entendre cette parabole pas si simple du gérant tout à la fois habile et malhonnête. Cet homme dont le maître fait l’éloge, il n’a pas grand-chose pour lui, d’abord, il est nul dans l’accomplissement de son métier puisqu’il était en train de conduire son maitre à la faillite, et, ensuite, cet homme va lui jouer encore un mauvais tour quand il apprend qu’il est renvoyé. Et avec tout ça, ce maître, totalement floué, à la fin du texte, fait encore l’éloge de celui qu’il n’aurait jamais dû embaucher ! Alors, que ce maître manque de lucidité passe encore, mais que Jésus, lui-même, se serve de cette histoire de « loser » (anglicisme péjoratif qui signifie perdant !) pour faire la leçon à ses disciples, c’est à y perdre notre latin ! 

Ce qui est sûr, c’est que Jésus ne fait ni l’apologie de la malhonnêteté, ni l’apologie de l’incompétence. Ce que Jésus va louer c’est son habileté. C’est bien ce qui est dit dans cette phrase qu’on peut considérer comme la pointe, la leçon de cette parabole : « Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté. » Pour comprendre cette leçon, il faut savoir qu’à cette époque, les intendants, les gestionnaires de biens n’étaient pas forcément payés par le maître qu’ils servaient. C’était à eux de se faire leur salaire et ils avaient toute latitude pour inventer des systèmes qui leur permettraient de trouver une rémunération juteuse. 

C’est ainsi qu’ils pouvaient prêter de l’argent ou des biens qu’ils prenaient sur la fortune du maître et fixer eux-mêmes les taux d’intérêt pour le remboursement. Ce gérant avait, sans doute, pris de trop grands risques. Il a donc joué avec le feu et n’est pas près de trouver quelqu’un qui l’engagera à nouveau car sa réputation l’accompagnera partout. Pour des raisons peu glorieuses, il ne se voit pas effectuer un travail pénible et encore moins vivre comme un mendiant. Or, il a peur de se retrouver dans la solitude, le texte nous dit : « une fois renvoyé de ma gérance, je veux que des gens m’accueillent chez eux. » Il a compris en un éclair que finalement, la richesse la plus désirable, c’était la vie relationnelle et qu’elle était bien plus importante que le luxe et la facilité. C’est aussi pour cette découverte que Jésus peut faire l’éloge de cet homme. 

Seulement voilà, pour obtenir cette suprême richesse, il faut qu’il accepte de renoncer à sa propre richesse. C’est pour cela qu’il fait venir tous ceux à qui il avait prêté quelque chose et leur fait un nouveau reçu en diminuant considérablement ce qu’ils auront à rembourser. Encore une fois, en agissant ainsi, il ne vole pas son maître, il ne fait que renoncer à sa marge. Et c’est pour cette décision que Jésus fait son éloge. Cet homme a enfin compris qu’il fallait concentrer toute l’énergie de sa vie à investir sur ce qui ne passe pas et délaisser une bonne fois pour toutes ce qui ne pourra que mourir. Il renonce à l’argent pour vivre des relations de qualité. Derrière cette attitude, on peut retrouver l’histoire de tant d’hommes et de femmes qui, eux aussi, ont fait cette découverte et qui ont décidé de réorienter totalement leur vie. Ils ont décidé de quitter ce qui ne peut que passer pour s’attacher à ce qui ne passera pas. Jésus a bien raison de dire que c’est une démarche très habile puisque, finalement, c’est l’investissement qui a le taux de rentabilité le plus élevé puisqu’il permet de vivre déjà sur terre ce qui se passera dans le Royaume.

Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons la grâce de ne jamais nous attribuer les mérites qui reviennent au Seigneur dans nos réussites et demandons-lui aussi la grâce d’être avisés pour faire les bons choix en quittant ce qui ne peut que passer pour nous attacher à ce qui ne passe pas.

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