6 septembre : lundi 23° semaine. Être fidèle à la Tradition, c’est transmettre le feu et non pas adorer les cendres !

Une énième controverse sur le sabbat, a-t-on envie de dire en ayant entendu l’Evangile ! C’est vrai et ça peut nous fatiguer d’assister à ces querelles qui nous semblent tellement loin de notre culture religieuse et de nos préoccupations. C’est un peu vrai, mais peut-être vaut-il la peine, de temps en temps, de refaire le point sur le sens profond du sabbat pour comprendre l’enjeu des polémiques entre Jésus et les pharisiens.

Au départ, nous le savons, le sabbat n’est pas une invention humaine, mais une pratique observée par Dieu lui-même à la fin de la création. Je vous rappelle ce verset de la Genèse : « Le septième jour, Dieu avait achevé l’œuvre qu’il avait faite. Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait faite. Littéralement il fit Shabbat le 7° jour et le texte continue : Et Dieu bénit le septième jour : il le sanctifia puisque, ce jour-là, il se reposa de toute l’œuvre de création qu’il avait faite. » C’est bien parce que, avant même d’être un commandement, c’est une pratique de lui-même que le sabbat doit être pris au sérieux. Serions-nous plus croyants que Dieu pour penser pouvoir nous passer de ce que Dieu lui-même accomplissait ?

Au fur et à mesure de l’avancée de la Révélation, le sabbat va se charger de significations nouvelles. Après avoir été exclusivement le mémorial plein de gratitude à l’égard de la création et du Créateur, le sabbat va devenir mémorial plein de gratitude pour la libération d’Egypte obtenue par Dieu, une libération toujours à accueillir puisque l’homme ne cesse de se faire prendre par de nouveaux esclavages. Du coup, la pratique du sabbat va devenir le moyen de se laisser sanctifier selon cette belle parole que Dieu adresse à Moïse : « Vous observerez mes sabbats, car c’est un signe entre moi et vous, de génération en génération, pour qu’on reconnaisse que je suis le Seigneur, celui qui vous sanctifie. » Un jour par semaine, on arrête donc tout pour faire mémoire de la création et se rappeler que nous sommes entre les mains du Créateur. On s’arrête aussi pour faire mémoire de la libération d’Egypte et implorer le Rédempteur de nous sauver de nos nouveaux esclavages. On s’arrête aussi pour se laisser sanctifier. Voilà les principales significations du sabbat. Comme vous pouvez le constater, vivre chaque semaine ce jour du sabbat, c’est donc absolument décisif. Dans le judaïsme, on pourrait dire à propos du sabbat ce qu’on dit chez les chrétiens à propos de la messe : aller à la messe ce n’est pas une question d’envie, c’est une question de survie ! Eh bien, de la même façon, vivre le sabbat, ce n’est pas une question d’envie, c’est une question de survie !

Comme toujours, avec le temps qui passe, les hommes vont commencer à aménager les prescriptions qui régissaient de manière si stricte l’observance du sabbat. Et puis les prêtres eux-mêmes ont trouvé que tout cela était bien contraignant, donc on s’arrange, on en prend et on en laisse ! C’est dans ce contexte que va naître un courant de Renouveau, j’emploie à dessein ce mot, initié par des laïcs animés par une ferveur extraordinaire qui n’en peuvent plus de voir que la Parole de Dieu n’est plus prise au sérieux et particulièrement par ceux qui devraient en être les gardiens, les prêtres. Voilà comment est né le courant des pharisiens, c’est un courant de Renouveau initié par des laïcs fervents. Vous comprenez bien que Jésus avait, à priori, de la sympathie pour ce courant réformateur. Mais alors pourquoi ferraille-t-il si souvent avec eux ou contre eux ?

Eh bien, parce que, comme souvent, il y aura vite des dérapages ! Ces croyants fervents vont se prendre pour les seuls vrais croyants chargés de donner des leçons à tous les autres. Et ils vont aussi tellement durcir les prescriptions que toute l’attention des croyants va se retrouver focalisée sur l’observance des préceptes et non pas sur ce que l’observance doit permettre de vivre dans une expérience de foi. Vous comprenez donc que ces querelles sont extrêmement importantes. Finalement, c’est parce que Jésus les aime bien, parce qu’il est plutôt de leur côté que Jésus va corriger les pharisiens. Il veut les aider à retrouver la ferveur qui a été à l’origine de la naissance de leur courant, il veut les aider à sortir du légalisme dans lequel ils s’enferment, un légalisme absolument mortifère. Le pape François aura une expression très forte qui peut bien résumer l’esprit dans lequel Jésus a ferraillé avec les pharisiens, il dira : « être fidèle à la Tradition, c’est transmettre le feu et non pas adorer les cendres ! » 

Oui, le retour aux sources, la redécouverte de la fidélité à la Tradition, tout ce qui a été à l’origine de la naissance du courant des pharisiens visait vraiment à transmettre à nouveau le feu de la foi. Mais voilà peu à peu, cette perspective s’est perdue et le feu a été oublié, il ne restait plus que les cendres que l’on s’est mis à adorer comme les vestiges d’un âge d’or. Evidemment toute allusion avec la situation présente n’est pas tout à fait fortuite ! En tout cas, c’est vraiment dans cet esprit que, pour guérir cet homme, Jésus va enfreindre la règle du sabbat, et on peut donc dire que, dans cette transgression, il sera bien fidèle à la Tradition puisqu’il veut, à travers ce miracle et la catéchèse qui l’accompagne, rallumer le feu de la foi dans les cœurs des pharisiens et de tous ceux qui sont présents dans la synagogue en ce jour de sabbat.

Venons-en à la 1° lecture ! En poursuivant notre lecture suivie de l’épitre aux Colossiens, nous tombons sur l’une des paroles les plus difficiles à comprendre de tout le Nouveau Testament. Evoquant les souffrances qu’il endure, puisque Paul écrit cette lettre depuis sa prison, il va dire : « Ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. » Avant de commenter cette parole, je voudrais nous inviter à ne pas oublier tout le reste de la lecture. Je ne sais pas si le père Christian a fait une petite introduction à cette lettre aux Colossiens. Mais on peut dire rapidement qu’elle a été écrite pour recentrer la foi de ces chrétiens sur le Christ. Cette communauté n’a pas été fondée par Paul, il ne les a même jamais visités, mais voilà qu’il apprend par Epaphras qui est le fondateur laïc de cette communauté qu’un certain nombre de chrétiens partent à la dérive. Ils sont attirés par des pseudo-révélations données par des soi-disant anges et entités célestes. Ils en deviennent friands prétendant même que seuls ceux qui ont été initiés à ces révélations sont de vrais chrétiens. On reconnait déjà en germe ce qui deviendra la gnose contre laquelle tant de Pères de l’Eglise vont combattre. 

Paul, dans cette lettre aux Colossiens va donc lutter contre cette véritable hérésie non pas en réfutant les arguments point par point, mais en faisant une catéchèse sur le Christ : en lui, nous avons tout ! C’est ainsi que vendredi, nous avions lu la grande hymne christologique de cette lettre aux Corinthiens, hymne que nous connaissons bien puisque nous la prions régulièrement au bréviaire. Aujourd’hui dans ma même veine, nous entendons Paul dire : « Je veux en effet que vous sachiez

quel dur combat je mène pour vous … pour que vous accédiez à la plénitude de l’intelligence dans toute sa richesse, et à la vraie connaissance du mystère de Dieu. Ce mystère, c’est le Christ, en qui se trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance. » C’est donc clair, en Christ, Dieu a tout donné, il est vain et même néfaste d’aller chercher ailleurs quelques révélations.

Que dire maintenant de cette parole si énigmatique : « Ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. » « Ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ », c’est difficile à entendre ! Quand on regarde la scène de la flagellation dans le film de Mel Gibson et le chemin de croix qui suit, on n’a pas l’impression qu’il manquait quelque chose aux souffrances du Christ, c’était déjà assez barbare comme ça ! Pour essayer de comprendre, je crois qu’il faut commencer par bien lire et lire dans la nouvelle traduction du lectionnaire en essayant d’oublier l’ancienne qui était assez malheureuse ! L’ancienne traduction disait : « Ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ, je l’accomplis dans ma propre chair pour son corps qui est l’Église. » Ecoutez bien la différence, la nouvelle traduction dit : « Ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. » J’espère que vous avez entendu : ce n’est pas aux souffrances du Christ qu’il manquerait quelque chose, c’est dans ma propre chair à moi qu’il manque quelque chose. Paul ne fait pas une dissertation sur la souffrance rédemptrice. Il dit simplement que nous connaitrons tous la souffrance, s’il y a quelqu’un parmi vous qui n’a jamais souffert physiquement, moralement, spirituellement, je voudrais bien le connaître ! Oui, tous nous passons par la souffrance, eh bien, dit Paul, ce passage par la souffrance nous unit au Christ qui y est passé avant nous et qui a voulu tout vivre dans l’amour. Ce qui manque donc, c’est souvent l’amour avec lequel je suis invité à vivre toute ma vie. Et plus je vivrai dans l’amour, y compris ces moments difficiles, plus je serai uni au Christ. 

Et c’est cet amour unitif que je déploierai dans toute ma vie qui me fera grandir et fera grandir les autres autour de moi et par cercles concentriques jusqu’à toute l’Eglise et même le monde selon le principe bien connu : une âme qui s’abaisse abaisse le monde, une âme qui s’élève, élève le monde. C’est ce que les scientifiques appellent l’effet papillon et que nous, les chrétiens, nous nommons la communion des saints ! C’est quand même une bonne nouvelle de savoir que plus je me laisse parfaire par la grâce, plus l’Eglise et le monde avancent. Et, pour cette mission, je ne serai jamais disqualifié, même cloué dans un lit par la souffrance, je peux choisir d’aimer. Alors c’est vrai, l’Eglise et le monde sont des grosses machines, donc les avancées que je permets ne seront jamais très spectaculaires, mais elles seront quand même bien réelles et si tous les chrétiens, au lieu d’adorer les cendres, transmettent le feu, ça finira par se voir qu’on avance !

Cette publication a un commentaire

  1. Wilhelm Richard

    Donc si j’ai bien compris, je ne veux pas des cendre pour mieux remonter ?

    Une pensée en ce jour, à l’un des deux éléments de la garde noire : Jean-Pierre Adams.
    Qu’elle beau témoignage de sa femme.

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