20 novembre : artémisia et Parole de Dieu

Hier, nous étions mis en présence d’un rouleau scellé, aujourd’hui, 5 chapitres plus loin, c’est un livre, un petit livre qui est présenté à Jean avec cette invitation qui lui est adressée : « Va prendre le livre ouvert dans la main de l’ange … Prends, et dévore-le. » Cette invitation rappelle celle qui était faite au prophète Ezéchiel au chapitre 3 : « Fils d’homme, mange ce qui est devant toi, mange ce rouleau, et va parler à la maison d’Israël. » Ce livre, bien sûr c’est la Parole de Dieu et cette invitation à la manger, à s’en nourrir, nous pouvons l’entendre comme une invitation qui nous est adressée à nous aussi. J’aborderai dans quelques instants le goût que peut avoir cette Parole, mais dans un premier temps, je voudrais m’arrêter sur cette invitation à la manger.

Le père abbé a reconnu lors du souper que nous partagions à son arrivée que les moines, au réfectoire, mangeaient trop vite et nous savons que, manger trop vite, ce n’est pas très bon pour l’assimilation des aliments qui ont besoin d’être mastiqués non seulement pour donner toute leur saveur, mais surtout pour devenir nourrissants et être bien assimilés. Nous, ici, au Foyer, nous prenons le temps de manger et c’est très bien, mais c’est vrai aussi que nous parlons beaucoup, alors que les moines mangent en silence ! Mais, si nous, nous pourrions apprendre aux moines à manger plus lentement à la table du réfectoire, eux, ils pourraient nous apprendre comment mieux nous comporter à la table de la Parole ! Parce que là, c’est nous qui mangeons beaucoup trop vite ! En effet, la Parole de Dieu, il ne faut pas se contenter de la lire et surtout pas de la lire trop vite ou de l’écouter d’une oreille distraite, ça reviendrait à avaler un aliment sans l’avoir mâché. Les moines eux, par le silence et les journées rythmées par la prière, gardent la Parole qu’ils ont entendu et, comme le font les amateurs de bon vin qui, avant de boire, font passer et repasser le vin dans leur bouche avant de l’avaler pour dégager tous ses arômes, passent et repassent dans leur cœur la Parole tout au long du jour. 

Cette page de l’Apocalypse est donc une invitation pour nous à nous interroger sur notre rapport à la Parole de Dieu en nous demandant comment nous écoutons la Parole au cours des offices, de la messe et en nous demandant aussi quels moyens nous prenons pour nous laisser nourrir par cette Parole que le Seigneur nous adresse si généreusement. Le concile Vatican II a remis en valeur dans la célébration de la messe la présence de deux tables : la table de la Parole et la table de l’Eucharistie et ce sont ces deux tables qui nous apportent la nourriture dont nous avons besoin pour alimenter notre foi et notre vie chrétienne. Mon cher curé d’Ars qui avait un sens extraordinaire de l’Eucharistie, de la puissance de la présence de Jésus dans l’hostie disait en même temps : « Notre Seigneur qui est la vérité même, dans la messe, ne fait pas moins de cas de sa Parole que de son corps. » Et il se fâchait contre les paroissiens qui arrivaient très en retard à la messe en estimant que s’ils étaient là pour la liturgie eucharistique, c’était bien suffisant ! Bien avant le concile, il avait repris cette grande intuition des Pères de l’Eglise sur les deux tables de la messe.

Et s’il est si important de manger la Parole, de nous en nourrir, c’est parce que plus nous nous laisserons nourrir par cette Parole et plus, c’est elle qui viendra spontanément à notre bouche pour prier, louer le Seigneur. Parfois, nous pouvons nous trouver un peu sec dans la prière, le cœur bien nourri par la Parole trouvera dans ces moments des ressources extraordinaires. La Parole mangée pourra ressortir en autant d’actions de grâce, de louanges et d’intercession car il y a tout dans la Parole. Et puis, cette Parole, si elle nous habite vraiment transformera nos paroles humaines qui parfois sont un peu trop rudes, blessantes. Jésus affirme que ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. Si la Parole a été bien mangée, elle habitera notre cœur et débordera sur nos lèvres.

Maintenant que j’ai bien insisté sur la Parole qui doit être mangée, je voudrais m’arrêter sur ce que nous disait la lecture concernant le goût qu’aura cette Parole. « Ce livre, prends-le, et dévore-le ; il remplira tes entrailles d’amertume, mais dans ta bouche il sera doux comme le miel. » Je trouve très beau l’ordre dans lequel nous sont révélées les saveurs, l’Apocalypse parle d’abord de l’amertume et ensuite du miel, pour ne pas faire de publicité mensongère. Alors que le premier goût qu’on aura, c’est la douceur du miel dans la bouche, l’amertume dans les entrailles, ça suivra. C’est un peu le contraire de la tisane d’arthémisia ! Avec la tisane, on a d’abord l’amertume dans la bouche et ensuite seulement les bienfaits ! Pour la Parole, c’est donc le contraire, elle commence à être savoureuse, puis très vite, elle va avoir un drôle de goût parce que je comprends qu’elle est en train de me travailler. 

Au début, quand on lit la Parole, on trouve, par exemple, que ce que Jésus dit, c’est très beau : aimez-vous les uns les autres … ah oui, c’est beau, c’est bienfaisant comme une bonne cuiller de miel ! Et puis, au bout d’un moment, je réalise que cette parole, elle vient me questionner dans ma relation avec tel frère ou telle sœur avec qui j’ai eu des difficultés, elle vient m’ouvrir les yeux sur telle et telle situation que je ne veux pas voir. Là, c’est l’amertume qui commence, mais comme pour l’arthémisia, s’il y a amertume, c’est le signe qu’il y a une action forte et bienfaisante qui se produit en moi. La Parole de Dieu, non seulement, elle nous invite à nous interroger, non seulement elle nous pousse à la conversion, mais elle a aussi un effet en nous, elle est comme un médicament qui nous guérit, qui nous transforme. Mais comme tous les médicaments, on ne peut pas se contenter de le prendre un ou deux jours, il faut durer pour que le traitement soit efficace. Ainsi en va-t-il de la Parole qui va façonner le cœur du disciple selon les belles paroles du prophète Isaïe : « Chaque matin, le Seigneur éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute sa Parole. »

Finalement, nous pouvons dire que le travail de purification que Jésus a fait dans le Temple, la Parole de Dieu vient le faire dans nos cœurs. N’ayons donc pas peur de ce goût d’amertume qu’elle peut nous laisser, il est le signe que quelque chose de grand est en train de s’opérer en nous. Et de toutes façons n’oublions pas non plus qu’elle garde à chaque passage en nous ce délicieux goût de miel.

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