7 novembre : lundi 32° semaine ordinaire. Il est inévitable que surviennent des scandales … bien vu Jésus !

Il y a des paroles prophétiques dont on a parfois du mal à vérifier l’accomplissement, ce n’est pas le cas de la parole de Jésus dans l’Evangile d’aujourd’hui : Il est inévitable que surviennent des scandales ! Depuis quelques années et jusqu’à récemment, l’Eglise a été largement servi de ce côté-là … et, hélas, ce n’est sans doute pas fini ! A cette annonce prophétique, Jésus ajoutait une parole terrible prononcée à l’égard de ceux qui en seraient la cause : Mais malheureux celui par qui cela arrive ! Il vaut mieux qu’on lui attache au cou une meule en pierre et qu’on le précipite à la mer, plutôt qu’il ne soit une occasion de chute pour un seul des petits que voilà. Entendre ces paroles de Jésus et entendre la suite de l’Evangile qui, paradoxalement parle du pardon, pose très vite la question de la miséricorde.

Je dis que la suite de l’Evangile aborde le pardon de manière assez paradoxale parce que, de fait, il est étonnant qu’après avoir prononcé des paroles d’une dureté assez rare, Jésus évoque le pardon et un pardon sans limite, jusqu’à 7 fois par jour, c’est-à-dire sans limite. Alors les auteurs de scandale, on leur met une meule de pierre autour du cou et on les précipite à la mer ou on leur pardonne jusqu’à 7 fois par jour leurs frasques ? C’est une vraie question qui peut légitimement nous tourmenter et ce n’est pas une question posée à la manière de celle d’hier où les Saduccéens abordaient Jésus pour lui présenter un cas d’école qui ne se produira jamais ! La question que pose cet Evangile en associant la peine et le pardon dus aux auteurs de scandale est une question qui, aujourd’hui, se pose de manière quasi-quotidienne. 

Pour trouver la réponse, il convient de lire attentivement l’Evangile. En effet, si Jésus nous invite à envisager un pardon sans limite, il ne fait pas de ce pardon un acte automatique : parce que je suis chrétien, je dois pardonner à ceux qui ont été à l’origine de scandales. Non Jésus dit que le pardon est subordonné à une démarche de celui qui a gravement péché, Jésus dit : s’il se repent, pardonne-lui. Il n’y a donc rien d’automatique. Avant de développer cette petite parole de Jésus qui, en quelques mots résume une démarche qui pourra prendre des dizaines d’années pour se réaliser, je veux donner une précision qui pourra nous être utile à tous.

Certains sont parfois tourmentés parce qu’ils disent ne pas arriver à pardonner à quelqu’un qui leur a fait du mal, je ne parle pas dans ce cas des situations d’abus, j’y reviendrai. Non, c’est pour une injustice commise, une calomnie dont on a été victime, que sais-je encore ! Quand ces personnes viennent me confier leur tourment en disant : je ne dois pas être encore vraiment chrétien, chrétienne puisque je n’arrive pas à pardonner, je demande systématiquement : est-ce que la personne qui vous a fait du mal vous a demandé pardon ? Parce qu’en rigueur de termes, le pardon ne peut être donné qu’à celui qui l’a demandé ! Ce qui exige donc qu’il reconnaisse avoir mal agi. Mais je ne peux le délier de ce péché commis à mon égard que s’il me le demande. Je n’ai pas à me culpabiliser de ne pas donner ce qui ne m’a pas été demandé ! Ce que je peux et même ce que je dois faire, c’est demander la grâce de ne pas entretenir de rancune. Ça oui, il faut que je le fasse parce que la rancune me pourrit la vie et donne la victoire à celui qui m’a fait du mal. Un psychologue disait qu’entretenir de la rancune, c’est comme accepter de se menotter à son agresseur, il avait raison ! Entretenir de la rancune, c’est autoriser ma psychologie à me faire penser sans cesse à mon agresseur, au mal qu’il m’a fait. Là, il faut une décision claire de sortir de ce mécanisme et souvent demander une prière de guérison-libération pour pouvoir en sortir définitivement. Mais ceux qui comprennent cela sont déjà sur un chemin de guérison.

Certains pourraient me questionner en disant : mais ce n’est pas toujours vrai qu’on ne peut donner le pardon qu’à ceux qui le demandent et ils pourraient me citer Jésus sur la croix qui demande au Père de pardonner à ceux qui n’ont rien demandé ! Je ne crois pas que ce soit une exception à la règle que j’ai énoncée car, moi, cette parole, je la comprends ainsi : Père, à chaque fois qu’ils se tourneront vers Toi pour demander pardon, pardonne-leur ! Finalement un pardon donné en réponse à un pardon non-demandé, c’est comme de l’eau qui glisse sur les plumes d’un canard, c’est inopérant tant pour celui qui le donne que pour celui qui le reçoit ! Et si le Notre Père nous fait dire : pardonne-nous comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, peut-être serait-il bon que nous entendions : pardonne-nous comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés et qui nous demandent pardon ! Je pense vraiment que c’est assez libérateur de comprendre cela et d’aider à le faire comprendre. En tout cas, je m’y emploie auprès des retraitants qui me partagent ce qu’ils appellent une difficulté à pardonner et qui, en fait est une souffrance, bien légitime, devant l’absence de demande de pardon.

Revenons à la situation des scandales. C’est la parole de Jésus, s’il se repent, pardonne-lui, qui m’a amené à faire cette digression. S’il se repent, pour Jésus, c’est donc bien clair, c’est la seule attitude qui puisse ouvrir un avenir à ceux qui sont à l’origine des scandales. S’il se repent, ce repentir ne peut que conduire la personne qui a abusé à demander ou, au minimum, à accepter et à collaborer pour que justice soit faite. Il ne peut y avoir de miséricorde pour les abuseurs sans justice pour les victimes et cette justice précédera toujours la miséricorde. Don Dysmas de Lassus et Mgr Ravel avaient très bien expliqué cela dans les livres qu’ils avaient publiés. Il faudra donc commencer par laisser du temps à la justice et il en faudra d’autant plus que la plupart des abuseurs ne vont pas se dénoncer eux-mêmes et commencent souvent par nier. Ils sont donc loin de cette démarche de repentir que Jésus exige. Et, quand ils entrent enfin dans le repentir, il faudra encore du temps d’une part pour laisser passer la justice, mais aussi pour qu’ils prennent conscience des ravages qu’ils ont causés. Ils ne peuvent pas implorer la miséricorde pour qu’elles viennent vite apaiser leur conscience qui commence à leur infliger des insomnies et des crises d’angoisse alors que depuis des années et encore pour des années, leurs victimes sont privées de paix et de sommeil. Il faut que nous soyons extrêmement clairs quand nous parlons de ces questions parce que Jésus a été très clair : s’il se repent, tu pardonneras et la démarche de repentir, c’est tout ce que je viens d’évoquer qui inclut le nécessaire passage par la justice.

Mais alors, est-ce que ça veut dire que, lorsque quand la justice est passée, on peut ou on doit pardonner et que c’est aussi vrai pour les victimes doivent pardonner ? Pour répondre à ces questions, il convient de bien repréciser ce qu’est le pardon et de faire tomber un certain nombre de caricatures grimaçantes. Le pardon ne pourra jamais être le retour à une situation antérieure. Malgré le pardon, le mal commis restera, avec, pour une part, des dégâts irréversibles dans les cœurs, les corps, les âmes, les esprits. Et ces dégâts exigent, autant que faire se peut, une réparation, c’est une exigence de la justice et même du pardon. Dans le groupe de travail auquel je participe, nous cherchons comment redonner toute sa place à la pénitence dans le sacrement du pardon et qui est souvent oubliée. J’ai essayé de ne pas l’oublier dans la semaine qui vient de s’écouler !

Donc le pardon, ce n’est pas dire : on efface le passé et on recommence comme s’il ne s’était rien passé. D’une part ce n’est pas possible parce que, comme je l’ai dit, les dégâts sont bien là et d’autre part, envisager le pardon sous cet angle serait bien peu respectueux des victimes. Le pardon, il faut le redire, c’est un chemin, parfois un très long chemin ; le pardon, c’est un but auquel on ne parviendra peut-être pas dans cette vie, mais un but vers lequel on a décidé de marcher. Et ce but, quel est-il ? Pas forcément de pouvoir dire le plus vite possible le Notre Père en donnant la main à son bourreau ! Le but, c’est d’arriver à dire : celui ou celle qui m’a fait souffrir, je crois qu’il vaut plus que ce qu’il a fait, je ne veux pas le réduire au mal qu’il a fait. Il n’est pas un monstre même s’il a commis des monstruosités. Le pardon, c’est vouloir croire que, malgré les apparences, il y a une part de lui qui reste dans l’humanité et cela vaut aussi à l’égard es personnes décédées, même s’il est plus difficile de trouver les moyens de l’exprimer. Et, bien sûr, le désir et la force de pouvoir pardonner se puisent en Jésus.

Evidemment, pour faciliter ce chemin, ce qui serait bien, c’est que tous ceux qui ont été à l’origine de scandales n’attendent pas que la police leur tombe dessus mais osent aller se dénoncer eux-mêmes. Une telle démarche pourrait aider les victimes. Je me mets à rêver d’une commission « vérité et réconciliation » sur le modèle de ce qui s’est passé en Afrique du Sud et qui permettait à tous ceux qui avaient commis des horreurs sous le régime de l’apartheid de venir se dénoncer et d’affronter la justice en facilitant son travail. Plutôt que de trainer pendant des dizaines d’années la révélation répétitive de scandales, en Afrique du Sud, la voie a été ouverte à une grande démarche de vérité qui devait déboucher, après tout le travail nécessaire, sur une réconciliation nationale. Nelsson Mandela s’y était personnellement impliqué. Hélas, depuis, la corruption et la violence ont sérieusement hypothéqué cette réconciliation nationale. Mais pourquoi, en Eglise, ne pas chercher dans cette direction ? Bien sûr, il restera la question des auteurs de scandale qui sont décédés, l’année dernière, à Lourdes, les évêques avaient initié une démarche qui pourrait être reprise et déployée pour aboutir à une cérémonie de repentance comme celle que St Jean-Paul II avait voulu au cours du jubilé de l’an 2000. Que l’Esprit-Saint nous éclaire et qu’il éclaire les responsables de l’Eglise qui devront toujours garder en mémoire les critères exigeants donnés par Paul dans la 1° lecture pour le choix des responsables de communauté afin de prévenir, autant que faire se peut, la survenue des scandales.

Cet article a 7 commentaires

  1. ANGE Emmanuel et Barbara

    👍!👍!👍!

    Merci +++père Roger pour votre excellente et lumineuse homélie !

  2. wilhelm richard

    Pardonner est le plus haut degré de l’amour.
    Et pour les personnes qui n’ont pas abusé des frères et soeurs ou n’ont pas été abusés, ne serions-nous pas également pas un peu responsables (avons-nous assez prié pour les victimes, pour les évêques qui ont de lourdes charges ou pour les personnes non-victimes qui ne rendent pas grâce à Dieu d’avoir été préservé ?)

  3. Adéline

    Merci P. Hébert pour cette homélie. Incroyable lecture du jour sur le scandale alors que nous apprenons la mise en cause/ auto-dénonciation de Mgr Ricard dans le même temps. Et alors que les groupes de travail post-CIASE s’expriment à Lourdes. En union de prières : que le Seigneur abatte toutes les fondations non établies sur le Christ mais sur des démarches malheureusement trop humaines.

  4. Franchellin Jean Marc

    Saint Vincent de Paul, 1er aumônier de prison disait : »l’homme vaut plus que les actes qu’il a commis ».
    Cette phrase je la disait parfois aux personnes détenues que je visitais. Mais je précisais bien que la justice des hommes devait passer.
    Il ne peut y avoir réconciliation que si les agresseurs demandent pardon à leur victime et que la victime accepte ce pardon.
    Vivre avec une blessure ce n’est pas possible, mais avec une cicatrice c’est possible.
    Au cœur de toute personne il y a une part d’intimité que seul Dieu peut penetrer.
    Merci frère Roger pour cette homélie que je partage volontier.

  5. NGENDAKURIYO

    Si je vois ce qui se dit autour de ces abus(j’en compatis)je me dis qu’il y a des vies bien importantes plus que les autres dans notre Eglise .Est-ce qu’il n’ y a jamais eu d’abus semblables sur le continent africain? Ou bien je l’ignore l’Eglise, quand elle l’ a su a essayer de réparer ce qui est réparable encore comme elle est entrain de le faire en Occident?

  6. Arnaud

    Dans l’Évangile Jésus ne dit-il pas ; pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font.
    cela montre que Jésus n’attend même pas notre repentance mais essaie de nous pardonner dès lors que nous ne l’empêchons pas de le faire.
    Pour les hommes c’est peut-être différent mais pour Dieu le pardon est inconditionnel

    1. Père Roger Hébert

      Oui, je cite cette Parole d’ailleurs ! Mais ça n’empêche pas que pour que le pardon, donné sans condition, soit fructueux, il est nécessaire qu’il soit conjugué avec la justice !

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