Si Jésus avait dû, comme les évêques le font avant leur ordination, choisir une devise, je sais exactement quelle devise il aurait choisi : toujours plus bas ! Jésus a voulu descendre toujours plus bas, précisément pour rejoindre ceux qui étaient tombés bien bas. C’est ce que les théologiens appellent d’un mot compliqué mais qui eut être utile quand on joue au scrabble : la kénose, le mystère de l’abaissement : toujours plus bas ! Et on peut dire que c’est là que se trouve la véritable originalité du christianisme. Cette originalité, cette spécificité du christianisme, le père Cantalamessa la résume en ces mots : « Toutes les religions vous diront ce que vous devez faire pour parvenir au Salut ou à l’illumination, le christianisme est la seule religion qui dit ce que Dieu a fait pour vous sauver. » Et ce que Dieu a fait, en Jésus, par Jésus, pour nous sauver, nous l’avons contemplé en ces jours et ça peut se résumer en ces mots : toujours plus bas ! En Jésus, Dieu est descendu et n’a cessé ce descendre toujours plus bas pour qu’aucun homme ne soit perdu, pour qu’aucun homme ne puisse penser qu’il est tombé trop bas pour que Dieu ne puisse, pour que Dieu ne veuille venir le chercher. En ce samedi saint, je vous propose de contempler Jésus dans le mystère de sa Kénose, de son abaissement.
Du ciel, il est venu sur terre, quel abaissement ! Vous vous rendez compte : du ciel, descendre sur la terre, quel abaissement ! Mais ça ne suffisait pas, sur terre, il a voulu naître dans une étable. C’est ce que nous chantons à Noël : Une étable est son logement, Un peu de paille est sa couchette, Une étable est son logement, Pour un Dieu quel abaissement ! Toujours plus bas ! Dans cette étable, comme dans toutes les étables, ça ne devait pas sentir la rose ! Eh bien, quand, tu prendras conscience que dans ton cœur, ça ne sent pas la rose, ne va surtout pas penser que Jésus ne peut plus venir faire sa demeure en toi, en ton cœur, tel qu’il est, ce cœur qui ne sent pas la rose. Il frappe quand même à la porte de ton cœur et si tu lui ouvres, il entrera et ce qu’il trouvera dans ton cœur lui rappellera le parfum de Bethéléem !
Oui, pour un Dieu, quel abaissement, mais ça ne suffisait pas, il lui fallait aller encore plus bas. Dans l’Evangile de St Jean, il nous est dit que le baptême de Jésus a eu lieu à Béthanie de Transjordanie, ce n’est pas le Béthanie de Marthe, Marie et Lazare qui est à côté de Jérusalem. Ce Béthanie de Transjordanie, il se trouve près de la mer morte, donc très en dessous du niveau de la mer, pour ceux qui connaissent c’est à peu près au niveau de Jéricho qui est la ville la plus basse au monde puisqu’elle se trouve à peu près à -250m dans la faille géologique de la Mer Morte. Moi, ça me parle beaucoup le fait que ce Baptême ait eu lieu en-dessous du niveau de la mer. A sa naissance, le Fils de Dieu est venu sur terre, c’était déjà un grand abaissement, mais pour celui qui a choisi comme devise, toujours plus bas, ça ne suffisait pas ! A son Baptême, il est descendu plus bas que terre pour mieux rejoindre tous ceux qui sont tombés plus bas que terre !
Dans la passion que nous avons méditée hier, il y a beaucoup d’éléments à repérer qui nous montrent comment il a mis en œuvre sa devise, toujours plus bas. Je souligne juste 2 points.
- Sur le chemin de croix, il y a eu les chutes de Jésus. Sur le chemin, il est tombé pour rejoindre tous ceux qui tombent et qui sont écrasés par cette chute. Nous tombons régulièrement et ce n’est jamais facile de l’accepter, de le reconnaître. Nous avons honte quand nous tombons. Et il y en a qui tombent plus gravement, plus bas que nous. Dans sa chute, il a voulu nous rejoindre et les rejoindre. Mais la chute ne suffisait pas, car il y a encore plus humiliant que la chute, c’est la rechute ! Eh bien Jésus a voulu connaître la rechute pour rejoindre tous ceux qui étaient profondément humiliés par leurs rechutes et il a même connu le re-rechute comme pour manifester qu’il ne se lassera jamais de rejoindre et relever ceux qui chutent et rechutent.
- Il y a encore ce qui s’est passé dans la nuit après son jugement dans le palais du Grand-Prêtre. Il a passé toute la nuit dans une citerne prison que des fouilles archéologiques ont mis à jour. L’évangile n’en parle pas, mais on est sûr que ça s’est passé comme ça. En effet, après son procès qui a eu lieu de nuit, il fallait que la sentence soit ratifiée par le sanhédrin qui ne pouvait se réunir que le jour, il fallait donc le garder dans une prison toute la nuit. Et des fouilles archéologiques faites sur ce site ont mis à jour un ensemble de plusieurs citernes qui étaient des prisons, les archéologues sont formels. L’une d’elle qui aurait pu servir pour isoler Jésus d’autres prisonniers était même un égout. Vous imaginez, Jésus, attaché toute la nuit les bras tendus, c’était un supplice fréquent, pour empêcher le prisonnier de se reposer et les pieds dans la m…. Toujours plus bas, ce n’est pas de la littérature, ce n’est pas une formule, c’est ce qu’il a voulu vivre pour rejoindre tous ceux qui sont dans une m…. pas possible pour les en tirer, afin qu’ils ne pensent jamais qu’ils sont abandonnés de Dieu.
Et sur la croix, il y a toutes les souffrances, ce qui n’est pas rien, mais, en plus, il est exposé quasiment nu au regard de tous. Et on l’a élevé pour que tout le monde le voit bien, que son humiliation soit totale. Élevé sur la croix, il descend toujours plus bas !
Dans la nuit du tombeau, il a connu le gouffre de la mort, encore et toujours plus bas ! Et cet office nous fait méditer ce que nous proclamons dans le Credo à savoir qu’il est descendu aux enfers. Là, il ne pourra plus descendre plus bas, il a touché le fond ou plutôt il a voulu toucher le fond pour être sûr de n’oublier personne. Les enfers dans la Bible, ce n’est pas ce lieu de punition que nous, nous imaginons à tort d’ailleurs puisque le Catéchisme de l’Eglise Catholique parle d’un lieu d’auto-exclusion. Ce n’est donc pas Dieu qui nous y met, c’est nous qui pouvons le choisir en refusant la miséricorde et la communion éternelle. D’ailleurs dans ce cas, on parle de l’enfer et non des enfers. Dans les Ecritures, les enfers, c’est plutôt le lieu de la mort, le lieu dans lequel se retrouvent tous les morts. Ce lieu, on l’appelle aussi de ce mot hébreu, le Shéol. Ce n’est pas un lieu de punition, mais pour autant, ce n’est pas un lieu très agréable puisqu’on y est sans Dieu. Il aura fallu du temps pour que la foi en un au-delà de la vie se mette en place dans le judaïsme. Ainsi donc, tous ceux qui sont morts avant Jésus se trouvent dans ce lieu, et Jésus y est allé pour les en faire sortir. Cette belle icône nous montre justement Jésus remontant des enfers et tenant par la main Adam et Eve et tous les autres qui s’accrochent à la main d’Adam et Eve pour être, eux aussi, emportés, à la suite du Christ dans la lumière de la Vie.
Arrêtons-nous quelques instants, Jésus qui descend si bas qu’il n’est pas possible de descendre plus bas, aux enfers même. Il a voulu y aller, comme je le disais pour sortir tous ceux qui s’y trouvaient mais aussi pour rejoindre tous ceux dont la vie est un véritable enfer et qui pensent ne jamais s’en sortir. En pensant ne jamais s’en sortir, ils ont raison sur un point : ils ne s’en sortiront pas par eux-mêmes, mais, justement, Jésus peut les en sortir et c’est pour cela qu’il est descendu aux enfers, qu’il est allé visiter tous les enfers pour en faire sortir ceux qui sont tant accablés.
Cette méditation que vous pourrez prolonger en reprenant d’autres aspects du ministère de Jésus que je n’ai pas évoqués. Mais ce que j’ai souligné est suffisant pour nous laisser entrevoir le grand drame de l’histoire du Salut. La devise de Jésus est : toujours plus bas et nous, ce qui nous mobilise, ce que nous cherchons, c’est à grimper toujours plus haut, à paraître toujours plus grand, plus beau, plus admirable que nous sommes ! Nous dépensons tellement d’énergie pour mettre en place toutes ces stratégies qui nous permettront de cacher nos pauvretés, de briller aux yeux de Dieu et aux yeux des autres… Comment le rendez-vous pourrait-il avoir lieu entre Celui qui, pour nous les hommes et pour notre Salut, a voulu descendre toujours plus bas et nous qui refusons nos pauvretés, qui refusons de nous reconnaître petits ? Ne croyez-vous pas qu’il serait grand temps d’arrêter de jouer à cache-cache ? Mais attention, le Seigneur ne pénétrera jamais en nous par effraction, en forçant l’entrée. Il ne visitera nos pauvretés en descendant jusque dans nos failles les plus inavouables que si nous lui ouvrons la porte. Il se tient à la parte et il frappe, mais la clé, c’est nous qui l’avons et il attend que nous lui ouvrions pour entrer chez nous, accomplir son œuvre de Salut et établir sa demeure. Ouvrir la porte de notre cœur c’est à cette démarche que nous allons être invités en posant un geste symbolique qui manifeste que nous renonçons à jouer aux grands.