Nous retrouvons en 1° lecture le même texte que nous avons eu dimanche … comme je n’avais pas eu le temps d’en parler, ce n’est pas gênant, au contraire ! C’est donc le 3° chant du serviteur, qui a une particularité, ce n’est plus Dieu qui parle comme dans les deux précédents, mais c’est le serviteur qui nous livre son témoignage, c’est lui qui nous partage son expérience. Ce 3° chant du serviteur nous dit quelque chose de vraiment étonnant : Celui qui souffre a quelque chose de plus que les autres à dire ; il a quelque chose de meilleur et de plus fort à dire que les autres. « Le Seigneur lui donne le langage des disciples, pour qu’il puisse, d’une parole, soutenir tous ceux qui sont épuisés. » Et pourquoi la parole de celui qui souffre va-t-elle être si bienfaisante ? Parce que la souffrance va donner un parfum de vérité à ses paroles.
Oh, ce n’est pas automatique ! Pour qu’il en soit ainsi, il faut être entré sur la voie du consentement dont parlait Sophie. Le consentement, ce maitre-mot de la vie spirituelle, je le rappelle n’a rien à voir avec la résignation. Consentir, c’est reprendre ces paroles du serviteur que nous avons entendues : « moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. » Consentir, c’est accepter la réalité et ne pas chercher à se réfugier dans un rêve qui ne se réalisera jamais. Oui, consentir, ce n’est pas rêver sa vie, mais la vivre telle qu’elle est, en acceptant que moi, je sois ce que je suis. Consentir, c’est accueillir la force que le Seigneur veut me donner pour supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui doit l’être en lui demandant la sagesse de savoir distinguer l’un de l’autre ! Consentir, c’est croire que, quelle que soit cette réalité, je peux sortir grandi si je me laisse conduire par le Seigneur sur ce chemin que j’aurais préféré ne pas avoir à parcourir et que, Lui aussi, aurait préféré ne pas me voir parcourir. Mais puisqu’il en est ainsi, il me rejoint et se propose à moi pour m’accompagner sur ce chemin qu’il a parcouru, avant moi et pour moi, afin que je ne sois pas broyé par ces épreuves.
Alors, celui souffre et qui est sur ce chemin du consentement aura quelque chose de plus à dire que les autres, quelque chose de meilleur : « le Seigneur lui aura donné le langage des disciples, pour qu’il puisse, d’une parole, soutenir tous ceux qui sont épuisés. » Et s’il peut réconforter, c’est parce qu’il aura lui-même accueilli la parole de réconfort que chaque matin, à chaque instant, le Seigneur lui souffle à l’oreille pour le soutenir : « Chaque matin, il éveille, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute. »
Derrière tout ce que je viens de dire, évidemment, c’est l’expérience de Marthe qu’on peut lire comme en filigrane. Elle souffrait bien plus que tous ceux qui venaient la voir et pourtant, c’est elle qui les réconfortait, du coup, on peut lui appliquer mot pour mot la lecture d’aujourd’hui : Chaque matin, chaque instant, Marthe acceptait que le Seigneur vienne éveiller son oreille pour qu’en disciple, elle puisse l’écouter et c’est ainsi qu’il lui donnait ce langage si particulier, qu’il réservait à ses disciples, un langage permettant, d’une parole, de soutenir tous ceux qui étaient épuisés.
Qu’elle nous attire à sa suite, il y a tant de personnes épuisées qu’il faut réconforter et il y en aura encore plus après cette grande épreuve. Mais ce ne seront pas des paroles de prêchi-prêcha qui les réconforteront, ce seront des paroles sorties des profondeurs de notre propre expérience de consentement à la vie, vécue dans la grâce de Dieu et ces paroles portent un nom précis, c’est le témoignage. Et nous connaissons cette déclaration de Paul VI disant que « l’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maitres ou s’il écoute les maitres c’est parce qu’ils sont aussi des témoins. »
De l’évangile que nous avons entendu, j’aimerais encore retenir 3 points.
1/ En méditant ce texte, j’ai eu peur qu’il vienne contredire ce que j’avais dit hier ! En effet, hier, à partir de l’évangile de St Jean, je disais que Jésus n’allait pas crier notre péché sur les toits et voilà que Matthieu semble dire le contraire ! Jésus vient d’annoncer : « l’un de vous va me livrer. » Alors, les disciples lui demandent : serait-ce moi, Seigneur ? Et jésus de répondre : « Celui qui s’est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer. » On a l’impression que, par cette parole, Jésus désigne clairement le traitre. Mais il y a quand même deux détails qui ont retenu mon attention et qui m’invitent à croire qu’il y a la même cohérence entre l’évangile d’hier et celui d’aujourd’hui. Vous avez sans doute remarqué que les apôtres demandent, à chacun leur tour, c’est ce que précise le texte et Jésus répond : « Celui qui s’est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer. » Jésus ne dit pas : celui qui vient de se servir, c’est lui qui va me livrer … là, ça aurait été un détail qui permettait d’identifier. Non, il dit : « Celui qui s’est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer. » Il y a bien des chances pour qu’ils aient tous fait ce geste avec lui, c’est donc chacun d’eux que Jésus met devant ses responsabilités. Puisqu’ils lui demandent, chacun à leur tour : serait-ce moi ? On pourrait donc comprendre la réponse de Jésus comme une mise en garde : oui, ça pourrait être toi, mais il ne dépendra que de toi que ça ne soit pas toi ! Ça n’enlève pas le poids de responsabilité de Judas qui est particulier, mais ça annonce déjà la défection de tous les apôtres. Vous n’êtes pas obligés de partager ma lecture, je vous la propose seulement !
En tout cas, ce qui est sûr, c’est que la réponse de Jésus avant de désigner une personne, veut insister sur la proximité de celui qui va le livrer : « l’un de vous va me livrer et celui qui va me livrer s’est servi au plat en même temps que moi. » On peut imaginer la souffrance qu’il y a dans ces paroles que Jésus prononce. Il a compris qu’il allait mourir et que ça allait être douloureux mais il aurait tellement aimé qu’aucun de ses disciples ne soit compromis dans ce péché. Hélas, ça ne sera pas le cas, tous, ils auront leur part de responsabilité. Dans l’Evangile de Marc, au moment de l’arrestation, il est dit que TOUS s’enfuirent (Mc 14,50) Jean se ressaisira, Pierre aussi, mais TOUS se sont enfuis. Quelle souffrance pour Jésus et nous sentons bien qu’elle s’exprime déjà dans les paroles de l’évangile de ce jour.
2/ Je crois que c’est l’expression de cette souffrance qu’il faut entendre dans la parole de Jésus : Malheureux celui par qui le Fils de l’homme est livré ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là ! » Ce n’est pas une parole de condamnation, ni même de malédiction comme pourrait nous le laisser croire l’emploi du malheureux. Ce petit mot, Jésus l’utilise souvent dans l’Evangile mais il n’équivaut jamais à une malédiction, Jésus ne maudit personne. Les exégètes ont montré que ce mot grec, traduit par « malheureux » correspondait au mot hébreu que les pleureuses répétaient en tournant autour du corps d’un mort. C’est donc clair, quand Jésus dit « malheureux » c’est l’expression de sa souffrance devant une personne qui, à cause de ces choix, est presque déjà morte. Jésus ne la maudit pas, il pleure déjà cette personne. Et c’est ce qu’il fait devant Judas. Or, on ne pleure que devant ceux qu’on aime : jusqu’au bout Jésus aimera Judas, l’appelant encore « mon ami » à Gethsémani quand il vient à la tête de la délégation venue l’arrêter.
Et ce « mon ami » n’était pas ironique comme ne le sera pas l’utilisation du mot ami dans le testament du père Christian de Chergé pour désigner celui qui pourrait lui prendre sa vie, je vous relis la dernière phrase de son testament : « Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet « À-DIEU » envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. »
3/ Enfin, 3° point et je m’excuse d’avoir été encore plus long que d’habitude ! Oui, jusqu’au bout, Jésus va aimer Judas, c’est pourquoi, jusqu’au bout, il va essayer de le sauver encore en lui offrant la possibilité de se convertir par l’aveu de son péché.
Quand Judas demande : « Rabbi, serait-ce moi ? » Jésus lui répond : « C’est toi-même qui l’as dit ! » C’est comme si Jésus lui disait, Judas, écoute ce que tu viens de dire, reconnais ton péché et tu seras délivré, sauvé. Entendons-nous bien, Jésus ne cherche pas à se sauver en essayant de faire en sorte que Judas renonce à son projet… non, il sait que quoiqu’il arrive, les responsables religieux ont décidé de le mettre à mort. Avec ou sans Judas, ils mettront leur projet à exécution. Jésus ne cherche donc pas à se sauver mais il cherche, jusqu’au bout à sauver Judas.
Que c’est beau de voir cette détermination de Jésus à qui veut tout mettre tout en œuvre pour le sauver. Si Jésus a eu une telle détermination à l’égard de celui qui allait le livrer, il devrait bien en faire au moins autant pour moi !