Homélie 26° dimanche Le riche et le pauvre Lazare

PREMIÈRE LECTURE : « La bande des vautrés n’existera plus » (Am 6, 1a.4-7)
DEUXIÈME LECTURE: « Garde le commandement jusqu’à la Manifestation du Seigneur » (1 Tm 6, 11-16)
ÉVANGILE« Tu as reçu le bonheur, et Lazare, le malheur. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance » (Lc 16, 19-31) :

Je me rappelle quand j’étais au grand séminaire, il y avait un séminariste qui était originaire du Pérou ce pays si cher au cœur du père Duval. Mais il ne devait pas faire partie de ceux que le père fréquentait tous les jours puisque son parrain avait été ministre des finances et que son père était un très grand chef d’entreprise. Il était donc d’une famille particulièrement aisée, tellement aisée qu’il n’allait pas à l’école mais que des précepteurs venaient à la maison pour leur donner des cours. Et il nous racontait que lorsque, avec ses frères et sœurs, ils avaient fini leurs études, ils allaient à la grille qui entourait leur belle propriété, vers le lieu où étaient stockées les poubelles et ils prenaient des bâtons pour taper sur les enfants pauvres qui essayaient de récupérer ce qui était encore mangeable dans leurs poubelles. Les poubelles de riches permettent à des pauvres de manger le reste de leurs plats, des plats qu’ils ne pourront jamais s’offrir. Ces poubelles sont donc très convoitées. Et eux, les enfants de la bonne famille, ils empêchaient les pauvres de se servir en leur donnant des coups de bâtons !

Quand il nous avait raconté cela, je me rappelle que notre réaction avait été terrible, nous lui avions fait part de notre indignation devant un tel comportement. Et alors, il nous avait expliqué cette chose absolument inimaginable pour moi. Il nous avait expliqué que s’ils faisaient cela, c’était pour obéir à leurs parents, non pas que leurs parents leur aient demandé de taper sur les pauvres, s’ils avaient su que leurs enfants faisaient cela, ils en auraient sûrement été chagrinés. Mais leurs parents avaient vu qu’un jour leurs enfants étaient allés récupérer quelque chose dans une poubelle, ils leur avaient donc fait une grande leçon de morale en expliquant que, lorsqu’on est bien élevé, on ne fouille pas dans une poubelle. Alors, eux ces enfants de bonne famille, ils voulaient faire l’éducation des pauvres enfants à qui personne n’enseignait les bonnes manières et c’est pour cela qu’ils leur donnaient des coups de bâtons pour leur apprendre que ça ne se fait pas de fouiller dans une poubelle ! C’est vraiment terrible ! On voit bien deux mondes qui ne communiquent pas et à cause de cela, une incompréhension voire un fossé qui grandit : les riches qui jugent les pauvres de bien mal conduire leur vie en ne respectant pas les règles élémentaires et les pauvres qui jugent les riches de les mépriser et de les maltraiter.

Je vous ai raconté tout cela parce que c’est l’un des messages forts que veulent nous livrer les textes d’aujourd’hui. Les riches du temps d’Amos qu’il désigne sous ce terme si peu élogieux de la « bande des vautrés » sont enfermés dans leur monde, tellement enfermés qu’ils se croient en sécurité et ne voient ni la misère des pauvres ni cette catastrophe qui va s’abattre sur le pays et qui conduira à la chute puis la disparition du Royaume du Nord. Deux mondes qui n’ont pas communiqué et qui ont vu un fossé s’installer et ne cesser de grandir. Et dans l’évangile, la parabole que raconte Jésus est encore plus explicite pour nous parler de ces deux mondes qui ne communiquent pas.

Cette parabole, on a pris l’habitude de l’appeler la parabole du mauvais riche et de Lazare. Mais ce n’est pas un très bon titre parce qu’il porte un jugement moral qui ne semble pas être la pointe de la parabole, la leçon que Jésus veut que nous tirions en entendant cette histoire. A l’époque de Jésus, les rabbis juifs racontaient une histoire semblable qu’ils avaient emprunté à la sagesse égyptienne. Cette histoire parlait d’un mauvais riche qui serait puni dans l’au-delà et d’un bon pauvre qui serait récompensé.

Mais, dans l’histoire que Jésus raconte on ne sait pas si le pauvre Lazare était bon. Peut-être, après tout qu’il était devenu si misérable après avoir commis trop de mal et qu’il avait été exclu du clan familial. Et peut-être que ce n’était pas du tout ça, Jésus n’en parle pas, ce n’est pas là-dessus que veut porter sa leçon. De même, on ne sait pas si ce riche dont on ne connait même pas le nom était mauvais, être riche, dans la tête de Jésus, ça ne correspond pas automatiquement à être mauvais. Ce riche, peut-être qu’il ne faisait rien de mal, du moins par action et que son seul péché, en tout cas le plus grave était, comme c’est souvent le cas pour nous, un péché d’omission. Ce qu’il faisait n’était pas mauvais, ce qui était mauvais, c’est tout ce qu’il ne faisait pas. En confession, nous devrions être beaucoup plus attentifs à ces péchés par omission qui sont souvent bien plus graves que les péchés par action !

Et ce qui va être très intéressant dans cette parabole, c’est que Jésus, par cette histoire un peu caricaturale quand même va nous expliquer deux points absolument essentiels : qu’est-ce qui fait que nous commettons si souvent ces graves péchés par omission et quelles en sont les conséquences. Regardons cela d’un plus près pour recueillir cet enseignement si précieux de Jésus.

  • Les péchés par omission, disons-le clairement, ce sont tous nos manques de charité, eh bien, Jésus nous dit que la cause, c’est justement le fait que nous qui ne manquons de rien, nous ne voyons pas les autres, ceux qui manquent de tout, nous vivons enfermés dans notre monde. Dans l’évangile, c’est assez frappant de constater qu’à chaque fois que Jésus fait du bien pour une personne en difficulté, c’est parce qu’il l’a vue. Très souvent, il y a cette expression : posant son regard sur lui ou sur elle, Jésus fut ému de compassion. Il y a une particularité anatomique chez Jésus, son regard est directement relié à son cœur. Et, puisque nous avons été créés à son image, nous possédons forcément cette même particularité anatomique. Mais voilà, nous ne voyons pas ceux qui sont dans la misère ou nous ne voulons pas les voir. C’est pourquoi, de plus en plus de murs se construisent pour protéger notre regard, pour nous permettre de continuer à vivre tranquilles alors que les deux tiers de l’humanité sont en difficulté. Et nous n’avons pas mauvaise conscience, puisque nous ne les voyons pas, nous ne pouvions pas imaginer que leur misère est aussi grande. Heureusement, parfois, certains franchissent le mur d’un côté ou de l’autre et se mettent à parler pour essayer de toucher les cœurs, mais après avoir joué aux aveugles, bien souvent nous jouons aux sourds et c’est ainsi que le fossé ne cesse de se creuser rendant les menaces d’Amos d’une actualité étonnante. Ce n’est pas en construisant des murs que nous nous assurerons un avenir, c’est tout le contraire ! Du moins, c’est ainsi que j’interprète le premier enseignement de Jésus dans cette parabole.
  • Le deuxième enseignement, c’est une invitation à ne pas prendre à la légère toutes ces questions. Habituellement, quand nous lisons cette parabole, la deuxième partie nous gêne un peu. Nous nous demandons pourquoi la démarche de ce riche dans l’au-delà n’est pas plus encouragée, parce que c’est vrai, c’est admirable, il décide de devenir prophète dans l’au-delà pour convertir le cœur de ses frères, oui, c’est admirable, alors pourquoi sa démarche n’est-elle pas encouragée, valorisée par Abraham ?

A travers cette histoire, encore une fois un peu caricaturale, Jésus nous met en garde : ne remettons pas toujours à plus tard notre conversion, parce que nous prenons le risque que ce soit trop tard ! La vie, c’est du sérieux, la vie, elle est un cadeau de Dieu, nous ne pouvons pas en faire n’importe quoi. La révision des lois de bio-éthique et notre responsabilité pour la protéger et la vivre comme un cadeau de Dieu nous oblige à reprendre conscience de cet enjeu. Mais nous ne pouvons pas avoir une manière sélective de nous intéresser au respect de la vie. Et c’est un drame aujourd’hui, parce que ceux qui sont très préoccupés par le début et la fin de la vie, par l’avortement, les manipulations génétiques, les techniques de procréation médicalement assistées sont parfois moins préoccupés par les conditions de vie des plus pauvres et à l’inverse, ceux qui se préoccupent d’améliorer les conditions de vie des laissés pour compte ont une morale élastique qui ne leur fait pas considérer tout ce qui se trame dans ces nouvelles lois comme un défi dramatique. Nous avons à nous mettre résolument à l’école du pape François qui ne choisit pas mais qui défend la vie de chaque personne du commencement à sa fin sans oublier ses années de vie qui sont pour tant d’hommes et de femmes des années de galère.

Demandons dans cette messe que Jésus nous fasse la grâce d’avoir un regard qui devienne comme le sien, un regard qui ne fuit pas les problèmes, un regard qui se pose sur les personnes, un regard directement relié au cœur. Nous avons l’habitude de dire : ô doux Jésus rends mon cœur semblable au tien, rajoutons : rends aussi mon regard semblable au tien.

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