Est-ce que vous savez tous ce qu’est un derrick ! Si jamais, il y en a qui ne le savaient pas, j’explique brièvement, même si je n’ai aucune connaissance en la matière ! Les derricks, ce sont ces tours qui étaient élevées sur les champs pétroliers pour permettre le forage du sol et l’extraction du pétrole. Ces jours, j’ai entendu un écrivain à la radio comparer la flèche de Notre Dame qui s’est écroulée à l’un de ces derricks, et c’est vrai qu’il y a une certaine ressemblance. Je m’excuse, je n’ai pas retenu le nom de cet écrivain et j’ai eu beau chercher sur internet, je ne l’ai pas retrouvé. Il expliquait que, finalement, cette comparaison pourrait donner du sens à l’écroulement de la flèche. Bien sûr, il faut réfuter toutes les interprétations qui rendent Dieu responsable de cet incendie pour nous réveiller. Dieu n’est jamais à l’origine du mal, du malheur. Mais nous pouvons quand même nous demander si, dans cette catastrophe, il n’y a pas une leçon à tirer pour nous aujourd’hui.
Avec cet écrivain, je crois que cette comparaison peut nous aider, peut-être même nous secouer, en cette fête de Pâques. Le derrick, il sert donc à creuser pour faire remonter le pétrole qu’on a pris l’habitude d’appeler « l’or noir » et ce nom devient de plus en plus pertinent puisque les réserves du sous-sol diminuent sans cesse. Depuis le début de la ruée vers l’or noir, des forages sont faits puis abandonnés quand toute la nappe a été exploitée. C’est ainsi que certains champs pétroliers, perdus au milieu de nulle part, ont été désertés et, les derricks, victimes de l’usure du temps et des intempéries, ont fini par s’écrouler. Cet écrivain disait de manière fort suggestive que, si la flèche de Notre Dame s’est écroulée, c’est parce qu’elle était devenue un derrick abandonné. Trop de gens, aujourd’hui, vivent à la superficie de leur vie, ne sont intéressés que par la consommation. Ils ne creusent plus au plus profond de leur cœur pour y trouver les trésors que Dieu y a déposé sans faire de bruit.
Bien des existences se vivent ainsi de manière tellement superficielle qu’elles engendrent un mal être de plus en plus perceptible. La seule cause qui semble pouvoir mobiliser est celle de l’augmentation du pouvoir d’achat. Alors, c’est sûr, que pour certains, c’est vital car ils s’enfoncent chaque jour un peu plus dans la précarité, mais le mot, en lui-même, doit quand même nous faire réfléchir : pouvoir d’achat, ce qui donne du pouvoir, c’est de pouvoir acheter, de pouvoir consommer. Comment voulez-vous avec une telle règle de vie ne pas sombrer dans la déprime ? Parce que dès que vous avez acheté ce qui vous faisait rêver, vous voulez autre chose et, à un moment donné, vous ne pourrez plus vous l’offrir. La soif de consommation est en train d’asphyxier notre monde. En voulant toujours plus, nous épuisons toutes les ressources naturelles, nous préoccupant bien peu de l’avenir des enfants. En voulant toujours plus, nous creusons un peu plus le fossé qui sépare les pays développés et les pays pauvres, je pourrais vous en parler longuement puisque je reviens d’un séjour de 3 mois au Burundi, l’un des pays les plus pauvres de l’Afrique.
Cette soif de consommation, cette obsession du pouvoir d’achat, encore une fois, je ne parle pas de ceux pour qui c’est vital, nous laisse à la superficie de nos vies. Eh bien, puisqu’il y en a tant qui se contentent de cette vie superficielle, puisqu’il y en a tant qui ne veulent plus creuser, il n’y avait plus besoin du derrick, la flèche est tombée, comme les vieux derricks devenus inutiles finissent par tomber. Oui, c’est une catastrophe, mais, nous le croyons, d’un mal, Dieu peut toujours tirer du bien. C’est ce que nous n’avons cessé de méditer dans ces jours saints. Du mal absolu que constitue la condamnation et la mise à mort de Jésus, le seul juste, Dieu a tiré du bien : nous sommes sauvés. Depuis, nous le croyons, le mal, la mort n’auront plus le dernier mot. Eh bien, c’est encore vrai dans cette histoire de la chute de la flèche de Notre Dame. En effet, cette chute n’est pas le dernier mot de l’histoire car, en tombant, elle a laissé un trou béant dans la toiture. Et voyez-vous, si j’étais architecte, je participerais au concours pour présenter un projet qui valorise la fonction première de cette cathédrale. Je proposerais de laisser le trou béant et je le recouvrirai d’un grand dôme de verre. C’est sûr que les futurs visiteurs lèveraient tous la tête vers le ciel pour regarder ce trou béant. Or c’est bien la fonction première des cathédrales et de toutes les églises qui sont comme des doigts pointés vers le ciel pour nous inviter à ne pas rester à la superficie de nos vies.
C’est assez paradoxal, mais quand nous refusons une vie superficielle, quand nous creusons, nous comprenons vite que c’est du ciel que viendra la réponse à la soif la plus fondamentale qui habite le cœur des hommes. Ce n’est pas la consommation, ce n’est pas le pouvoir d’achat qui pourra répondre à cette soif, c’est le ciel. Un philosophe contemporain, Régis Debray qui n’est pas croyant a écrit cette phrase étonnante : « Je vous préviens si vous ne faites pas un trou dans le plafond, vous allez asphyxier. Peu importe ce que vous y mettez, ce qui compte, c’est la bouche d’air. Vous n’échapperez pas à la verticale. » Le trou dans le plafond de Notre Dame a été fait, de ce mal, Dieu peut en tirer un bien. Si un architecte chrétien pouvait trouver une solution pour qu’il ne soit pas rebouché, ça serait tellement bien !
Parce que, voyez-vous, l’élan de générosité absolument étonnant est aussi ambigüe. D’une part, c’est un souvenir patrimonial qui mobilise les donateurs et non une « maison de la foi » et d’autre part, la facilité avec laquelle ces dons sont proposés n’est pas sans question quand on la met en comparaison avec la difficulté de tous ceux qui travaillent au service de la solidarité. L’un des vicaires généraux de Paris l’a fortement souligné dans une interview : « Peut-on rebâtir Notre-Dame sans penser aux pauvres ? » Bien sûr, nous, les chrétiens, nous sommes responsables de ce patrimoine historique, mais vous savez, ceux qui ont bâti ces cathédrales dans une abnégation qui ne peut que nous interroger ne l’ont pas fait pour léguer aux générations futures des vieilles pierres à admirer. Rappelons-nous que ceux qui commençaient la construction d’un tel bâtiment mourront tous avant qu’elle ne soit achevée et pourtant ils se donnaient totalement, certains y ont même laissé leur vie. C’était pour Dieu, qu’ils faisaient cela, c’était pour rendre gloire à Dieu qu’ils donnaient le meilleur d’eux-mêmes, pas pour léguer un musée monumental ! Et, nous le savons bien, la Gloire de Dieu ne peut être chantée quand la dignité d’un homme, fut-il le plus petit, est bafouée.
Méfions-nous, car la société cherche de plus en plus à marginaliser les chrétiens. Pour beaucoup, la foi n’est acceptable que lorsqu’elle reste circonscrite dans des vieilles pierres. Mais, dès que des chrétiens, des responsables d’Église cherchent à intervenir dans les débats de société qui engagent l’avenir du monde, ils sont renvoyés dans leurs 22 mètres et les scandales qui ne cessent de ternir l’image de l’Église n’aident pas. Nous devons être conscients que nous, les chrétiens, nous avons aujourd’hui une vraie responsabilité si nous ne voulons pas être réduits à des pièces de musée, si nous ne voulons pas que l’Église se transforme en musée Grévin !
La résurrection de Jésus que nous célébrons aujourd’hui nous dit justement que Jésus n’est pas un homme du passé, que la foi n’est pas dépassée. Si nous aimons nos frères les hommes, nous ne pouvons pas nous résoudre à les voir s’étioler dans la course à la consommation. Nous devons leur donner le témoignage que ce qui rend heureux, ce n’est pas d’avoir toujours plus, mais de donner toujours plus d’amour. Nous devons être de ceux qui ne restent pas à la superficie, nous devons être de ceux qui montrent que vivre avec Jésus, vivre de Jésus, c’est ce qui nous donne de l’air, qui nous fait échapper à l’asphyxie dont parlait Régis Debray. Alors, bien sûr, la mission semble compliquée, il y en a tant qui ont renoncé à creuser et qui ne croient plus que c’est dans le ciel que se trouvent la réponse à notre soif la plus fondamentale. Mais vous savez comment on peut faire boire un âne qui n’a pas soif, c’est en le mettant au milieu d’un troupeau qui boit ! Vous avez la chance d’appartenir à cette communauté si vivante, que votre joie de boire à la source vivante de la foi devienne de plus en plus communicative.