En relisant ces jours quelques textes percutants du pape François parlant de la nécessité de convaincre tous les chrétiens que la grande urgence, la grande priorité de l’Eglise, c’était d’accompagner les chrétiens sur un chemin de conversion pour qu’ils deviennent des disciples-missionnaires, je me suis dit que cet Evangile des disciples d’Emmaüs pourrait précisément être lu comme la charte des disciples-missionnaires. Sans aucune originalité, je retiens 4 points correspondant aux 4 parties du texte.
1° point : Il m’est suggéré par les mots qui introduisent ce texte. « Le 3° jour après la mort de Jésus, deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem. » Ces deux-là, ils avaient été choisis par Jésus qui voulait les associer à sa mission, il les avait agrégés au groupe des 70, mais voilà qu’ils quittent Jérusalem. Autrement dit, ils sont sur la route de la démission, et c’est là, sur cette route de la démission que Jésus choisit de les rejoindre. C’est étonnant de voir comment Dieu se fait proche, quels chemins il est capable de trouver pour nous rejoindre dans nos déroutes. Alors que nous, nous pensons trop souvent que nous ne pouvons trouver Dieu que dans le succès, les réussites. Ce 1° point nous invite à une triple attitude si nous voulons devenir ces disciples-missionnaires dont le monde a besoin.
- Tout d’abord, le disciple-missionnaire, c’est celui qui est animé par la passion de rejoindre les autres. Evangéliser suppose que l’on aille à la rencontre, que l’on cherche à rejoindre. Evidemment, en ce temps de confinement, ce n’est pas simple de rejoindre les autres, mais d’une part, ça ne va pas durer éternellement et d’autre part, nous avons tellement de moyens techniques à notre disposition que nous pouvons nous interroger sur la part que nous réservons chaque jour au contact avec les personnes.
- Ensuite, ceux qu’il nous faut rejoindre en priorité, en temps de confinement comme hors-confinement, ce sont toutes les personnes sur le chemin de la démission, celles qui n’en peuvent plus, qui sont tentées de baisser les bras dans leur engagement communautaire, dans leur vie de couple, dans leur vie professionnelle, associative ou ecclésiale. Et nous savons bien que s’il y a des détresses qui se détectent facilement, il en est d’autres, bien cachées qui ne pourront se dire que dans un lent et patient compagnonnage.
- Enfin le dernier élément que je veux souligner, il m’est suggéré par la mention du jour de cette rencontre entre Jésus et ces deux disciples. C’était le 3° jour après la mort de Jésus, c’est à dire le 1° jour de la résurrection. Cette rencontre avec ces deux hommes désespérés, Jésus ne l’a pas remise au lendemain comme nous le faisons, hélas trop souvent ! Or demain c’est parfois trop tard, surtout quand demain, nous remettons encore au lendemain !
2° point : Quand Jésus rejoint ces deux hommes, il ne commence pas par leur faire une leçon de catéchisme et encore moins une leçon de morale par rapport à leur démission. Il prend d’abord le temps du compagnonnage, de l’écoute patiente, de la marche en se mettant à leurs pas. Et, là, faisons très attention, Jésus n’attend pas avec impatience qu’ils aient fini de parler pour pouvoir enfin placer sa marchandise, si vous me permettez l’expression. Non, d’ailleurs, c’est lui qui leur pose les questions qui vont leur permettre de dire toute leur détresse, toute leur déception, qui leur permettront de vider leur sac. Le disciple-missionnaire, c’est celui qui n’est jamais trop pressé de parler. Rappelons-nous les paroles d’Isaïe entendues la semaine sainte : « chaque matin, le Seigneur m’ouvre les oreilles pour que je sache écouter avec un cœur de disciple. » (Is 50,4). Rappelons-nous aussi ce que dit la sagesse populaire qui dit que si Dieu nous a fait 2 oreilles et une seule langue c’est pour que nous écoutions deux fois plus que nous ne parlons !
Mais écouter vraiment n’est jamais facile, d’autant plus qu’il y a des paroles qui sont dures à entendre car elles nous remuent profondément. Devenir disciples-missionnaires, c’est donc offrir ce cadeau inégalable d’une écoute patiente et aimante qui va jusqu’au bout. Et quand il a écouté jusqu’au bout, Jésus ne se tait pas comme ceux qui n’auraient pas d’espérance à partager. Il va leur proposer une relecture des Ecritures dont, hélas, nous n’avons aucune trace !
Et là, je me permets de souligner un point d’attention. Il nous est dit que, relisant les Écritures, pour faire renaître l’espérance, Jésus va leur parler de ce qui le concernait dans les Ecritures, autrement dit, il va parler de lui. Mais, vous comprenez bien que nous, ce n’est pas de nous qu’il faudra parler, mais de Lui ! Ou si nous parlons de nous, c’est pour mieux montrer ce que Lui, Jésus, par la puissance de son amour a été capable d’opérer dans nos vies. Ce n’est pas nous, notre recherche de foi, nos questions, nos doutes, nos réussites qu’il faudra mettre en avant, mais c’est Lui qu’il nous faudra révéler en demandant au Saint- Esprit de mettre les bonnes sur nos lèvres.
3° point. Jésus ne s’impose pas. Quand il a écouté jusqu’au bout, quand il a dit tout ce qu’il avait à dire, il continue son chemin. L’évangélisateur, le vrai, ne fait aucune pression d’aucune sorte ni affective, ni spirituelle. L’évangélisation n’a rien à voir avec le prosélytisme. Jésus ne cherche pas un résultat immédiat, tel le semeur dont il a si bien parlé, il a semé sa Parole et ensuite, il fait confiance à la puissance de cette Parole, c’est pourquoi il continue son chemin. Seulement voilà, chez les deux disciples, la Parole annoncée fait tilt immédiatement ; comment s’en étonner d’ailleurs, puisqu’elle est annoncée par celui-là même qui est la Parole ! Avec nous, il faudra souvent beaucoup plus de temps. Parce que, chez nous, il y a forcément l’opacité de nos médiocrités qui fait que la parole que nous annonçons ne correspond pas immédiatement à ce que nous vivons. Avec Jésus, il n’en est rien. Du coup, les deux disciples l’invitent à rester avec eux et quand Jésus reste, il ne sait pas faire autrement que de se donner totalement, c’est l’Eucharistie. Ceux que nous rejoignons, ceux que nous écoutons, ceux avec qui nous partageons l’espérance qui nous anime, ne viendront pas forcément tout de suite à la table d’Emmaüs qu’est la table eucharistique. Mais s’ils ne viennent pas encore à Jésus, c’est à nous de les porter à Lui. Alors, ne passons jamais une messe sans, à un moment ou à un autre, faire défiler dans notre cœur le visage de tous ceux que nous voulons porter devant Lui, de ceux qui sont en déroute et que nous demandons au Seigneur de rejoindre. Et, de ce point de vue, nous pouvons rendre grâce pour nos prières universelles spontanées qui sont devenues belles et fortes depuis le confinement.
Enfin 4° point que je ne fais qu’esquisser. La joie de l’évangélisateur, c’est de voir ceux qu’il a évangélisés devenir eux-mêmes des évangélisateurs. C’est ainsi que se termine l’évangile. Ceux que Jésus a évangélisés deviennent les évangélisateurs des 11 restés à Jérusalem. Oh oui, Bienheureux évangélisateurs qui font cette merveilleuse expérience de voir ceux à qui ils ont porté l’Evangile devenir à leur tour des témoins audacieux. Bienheureux seront-ils surtout quand ils pourront constater que les disciples sont en train de dépasser le maître !
Seigneur puisque nous avons la grâce d’être invités une nouvelle fois à la table d’Emmaüs, transmets-nous le feu sacré qui nous permettra de refaire l’expérience du cœur brûlant, de devenir des évangélisateurs ardents. Apprends-nous à mieux rejoindre nos frères dans la vérité de ce qu’ils vivent. Apprends-nous à les écouter avec une oreille de disciple et à leur parler avec un cœur de feu. Apprends-nous à ne jamais mettre la main sur eux et à respecter le temps qu’il leur faudra pour faire le chemin qui leur sera nécessaire. Et Seigneur, fais-nous un jour la grâce de les voir réussir mieux que nous.