Nous lisons toujours, en première lecture, la lettre aux Romains, il ne reste plus que quelques jours avant que nous ne passions au livre de la Sagesse. Cette épitre aux Romains, c’est vrai, elle n’est pas toujours facile à lire car c’est plus un traité théologique qu’une lettre, mais c’est un chef d’œuvre ! C’est un chef d’œuvre tant pour la profondeur de la réflexion théologique que pour la construction littéraire. Elle comporte 2 grandes parties qu’on désigne avec des mots savants, une 1° partie kérygmatique qui réfléchit donc sur la foi, l’acte de croire et le contenu de la foi et une partie appelée parénétique qui réfléchit sur les conséquences pratiques de la foi, c’est-à-dire comment vivre en cohérence avec la foi qu’on professe. Et ces deux parties sont unies par le chapitre 8 qui est une magnifique catéchèse sur l’Esprit-Saint car c’est lui qui nous donne de croire et d’agir en cohérence avec notre foi. A la suite de ce chapitre 8 et avant la partie parénétique, il y a 3 chapitres, les chapitres 9 à 11 qui sont particulièrement importants aux yeux de Paul puisqu’ils réfléchissent à la place d’Israël dans le mystère du Salut. Comme vous pouvez le constater, j’aime cette épitre aux Romains que j’ai pu approfondir grâce au commentaire lumineux qu’en a fait le père Cantalamessa, ce qui m’amène à prêche régulièrement des retraites sur ce sujet !
La liturgie nous a permis d’entendre pas mal d’extraits de la 1° partie kérygmatique, de longs extraits aussi du noyau centre sur l’Esprit-Saint et de la réflexion sur la place d’Israël. Maintenant, en 3 jours et encore, avec la fête de la dédicace du Latran demain, il n’y aura que 2 jours, il faut intégrer ce que dit Paul dans la 2° partie parénétique qui donne donc d’excellents repères pour vivre en cohérence avec notre foi. Si nous ne voulions retenir que quelques mots de cette partie parénétique, nous pourrions retenir ceux des 2 formules si percutantes de la lecture d’aujourd’hui : Celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi et le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour. Avec ces deux formules choc, nous avons un excellent résumé de tout ce que Paul dit dans cette 2° partie et nous avons de quoi méditer toute la journée.
Oui, nous avons bien de quoi méditer toute la journée, pourtant, il conviendrait que, dans notre méditation, nous fassions une petite place à l’Evangile qui nous pose une question tellement importante devant laquelle, ni vous, ni moi, nous ne pouvons nous dérober : quelle place faisons-nous au Seigneur dans notre vie ? Et, pour que nous nous posions cette question sans l’édulcorer, Jésus va parler sans filtre : Si quelqu’un vient à moi sans me donner une préférence totale, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite, il ne peut pas être mon disciple. Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.
Une précision pour commencer : Jésus n’a pas prononcé ces paroles pour les prêtres, les religieuses, les moines, non ! L’Evangile commençait par ces mots : En ce temps-là, de grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit … et il prononce les paroles que j’ai rappelées. C’est aux foules qu’il s’adresse, donc à tous ! Enfin, à tous ceux qui veulent être ses disciples, à tous ceux qui veulent vivre comme des disciples. Etymologiquement, le disciple, c’est celui qui marche avec Jésus en se tenant derrière lui. Avec ces paroles si radicales, Jésus précise donc qu’il ne doit y avoir personne entre lui et ceux qui veulent vivre en disciples.
Avec humour, j’aime bien dire que si ce n’est pas derrière Jésus que nous marchons, celui, celle ou ceux derrière qui nous marchons n’ont pas fini de nous faire marcher ! Quand une maman dit : oh, moi, mes enfants, c’est tout pour moi ! Eh bien, vous pouvez être sûr que ses enfants vont la faire marcher et parfois même courir, ils la mèneront par le bout du nez ! Marcher derrière Jésus sans que rien ni personne ne se mette entre lui et nous, ça revient à choisir de mettre Jésus à la 1° place dans nos vies et cela c’est la seule garantie qui nous permettra de vivre un amour pour les autres totalement ajusté. Vous savez, dans la Bible, les prophètes ne cessent de dénoncer toutes ces situations où le Seigneur n’est pas à la première place et vous savez que ces situations portent un nom précis, c’est l’idolâtrie.
L’idolâtrie, c’est le fait que quelqu’un ou quelque chose a progressivement pris, dans ma vie, la seule place qui revient au Seigneur, c’est-à-dire la 1° place. Et si les prophètes dénoncent, avec tant de vigueur l’idolâtrie, c’est qu’ils en voient les conséquences : les idoles nous font payer très cher notre attachement à elles. Peu à peu, après avoir joué le jeu de la séduction pour mieux nous attirer dans leur filet, elles nous font perdre notre liberté, nous devenons, comme on dit aujourd’hui, « addictes. » J’aime cette hymne du bréviaire qui dit : servir Dieu rend l’homme libre comme lui. Alors que servir les idoles, c’est se laisser asservir. Il faut que je m’explique encore un peu car les personnes mariées pourraient penser : mais quand même vous n’allez pas prétendre qu’aimer mon mari, ma femme, mes enfants plus que tout, c’est de l’idolâtrie ! Il faut regarder de près ! Et c’est sans doute dans cet amour mal ajusté que se trouve l’explication de tant de déboires dans les couples, mais aussi dans les communautés. Dire ou penser : mon époux, mon épouse, mes enfants, mes sœurs, c’est tout pour moi, je persiste à dire que c’est un amour mal ajusté et que, tôt ou tard, on en paiera les conséquences. En effet, aucun homme, aucune femme, aucun enfant, même les meilleurs ne peuvent combler la soif d’amour qui m’habite. Cette soif d’amour, elle est infinie puisque c’est Dieu, lui-même, qui l’a déposée en moi, ça signifie donc que, seul l’infini de son amour à lui, pourra étancher cette soif qui m’habite.
C’est donc bien vrai pour vivre un amour épanoui, il est absolument nécessaire que le Seigneur soit à la 1° place. Et, quand je le mets à la 1° place, je n’attends plus des autres ce qu’ils ne peuvent pas me donner et ça c’est libérateur pour tout le monde. Parce que, quand j’ai compris cela et surtout quand j’essaie de le vivre, j’arrête d’imposer aux autres mes exigences insupportables. J’arrête de vouloir qu’ils deviennent parfaits pour m’offrir l’amour parfait dont je rêve, j’ai compris que le Seigneur, seul, est capable de m’offrir cet amour. Cette prise de conscience, bien loin, de m’éloigner des autres, d’affadir mon amour pour les autres en le transformant en amour de seconde zone, va, au contraire, me rapprocher d’eux et me rendra tellement plus miséricordieux à leur égard. Je leur pardonne leur faiblesse d’abord parce que je connais trop les miennes et surtout parce que ce n’est pas d’eux que j’attends d’être aimé d’un amour parfait, infini. Evidemment, tout ce que je viens de dire sur le risque d’idolâtrer des personnes est encore bien plus vrai quand il s’agit de l’idolâtrie de l’argent, du confort, de la réussite, de la réputation, que sais-je encore.
Pour comprendre positivement cet appel de Jésus, je veux terminer avec cette image. Parfois on voit dans la cour d’une maison, une personne en train de partir, elle a un chien qui est attaché et qui semble beaucoup l’aimer. Alors, forcément, le chien, voyant partir son maître, sa maitresse veut le suivre, mais très vite, sa chaine va l’empêcher d’aller plus loin. Eh bien, Jésus ne veut pas que ce scénario se produise avec lui. Si nous lui sommes attachés, au point de vouloir le suivre toujours, nous devons nous détacher de tous ces liens qui nous empêcheraient d’aller très loin avec lui, sur le chemin de l’amour. Nous détacher de nos attaches exigera, à certains moments, des choix crucifiants, c’est ce que Jésus laisse entendre en nous disant : Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple. Régulièrement, il nous faudra faire le point en demandant que l’Esprit-Saint nous rende lucide sur les nouveaux attachements que nous serions en train d’installer entre nous et Jésus. Et soyons clairs, jusqu’au bout de notre vie, nous aurons un combat à mener. C’est ce que suggère suggère en racontant les deux petites paraboles qui invitent à la réflexion et au combat.
Par l’intercession de Notre Dame de Laghet demandons cette grâce de la lucidité et qu’elle nous obtienne aussi la force nécessaire pour combattre afin que l’amour, l’amour véritable, l’emporte toujours puisque l’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour.