Introduction : C’est l’Evangile du jour
Pour trouver le thème, je ne me suis pas cassé la tête ! Puisque c’est la fête des apôtres Philippe et Jacques, j’ai lu l’Evangile et j’en ai extrait cette merveilleuse demande de Philippe : « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit. » Cette demande de Philippe, voilà comment je la comprends : Seigneur Jésus, montre-nous que Dieu est Père ! Pour les apôtres, formés dans le judaïsme, l’existence de Dieu ne pose pas de problèmes, ils n’en ont sûrement jamais douté. Par contre que Dieu soit Père, alors là, c’est autre chose ! Ils pressentent qu’il y a quelque chose de plus grand, de plus beau que ce qu’ils croient de manière classique et traditionnelle et ils veulent le découvrir, d’où la demande de Philippe.
Pourquoi je dis qu’ils pressentent qu’il y a quelque chose de plus grand, de plus beau ? Pour deux raisons essentielles. Il y a d’abord toutes les paroles de Jésus concernant son Père qu’il dit aussi être le Père de tous. Ce n’était pas courant pour un juif d’entendre que Dieu est Père, je vais y revenir. Mais, il y a surtout les longs temps de prière qu’il passait sur la montagne. Quand il revenait, il en était toujours comme transfiguré. Les apôtres, comme tous les juifs, ils priaient, mais ils voyaient bien que la prière n’avait pas le même effet sur eux ! Alors, ils pressentent que c’est parce qu’il a un lieu unique avec son Père que la prière a cet effet sur lui. D’où leur désir d’entrer un peu, autant qu’il est possible dans cette relation. C’est d’ailleurs quand il revient de prier que, voyant son visage, les apôtres demanderont : apprends-nous à prier. Lc 11 Eh bien, il me semble que la demande de Philippe est à entendre dans cette même perspective : Montre-nous le Père, montre-nous comment connaître que Dieu est Père, montre-nous comment vivre sous le regard d’amour de ce Dieu qui est Père … et cela nous suffit largement !
Ce dernier groupe de mots de la demande « et cela nous suffit » nous montre bien qu’il y a un grand enjeu à découvrir que Dieu est Père. Le découvrir, c’est le plus essentiel, ça peut combler totalement tous nos désirs. Vous avez donc bien fait de venir puisque nous allons essayer d’entrer un peu plus, en peu mieux dans cette connaissance de Dieu comme Père.
1. Il nous faut devenir authentiquement chrétiens !
Arrêtons de parler de Dieu comme les théistes ! Vous savez les théistes, ce sont des gens comme Voltaire qui disait : « L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger. »
Les théistes posent le principe de l’existence de Dieu, parce que, pour eux, c’est l’hypothèse la plus plausible, la plus simple pour rendre compte de l’existence du monde, de la vie, mais ils n’ont aucune envie, aucun besoin de vivre une relation personnelle avec l’horloger.
On peut dire que, aujourd’hui, il y a beaucoup de théistes, de gens qui disent : « je crois qu’il y a quelque chose au-dessus de nous ». « Quelque chose », déjà ça commence mal ! Et puis, ce qu’il y a « au-dessus de nous », comme ils disent ne les tracasse pas du tout ou plutôt ne les mobilise pas du tout… parce que Dieu ne doit pas nous tracasser !
J’aime bien citer Georgette Blaquière (qui était l’une des prédicatrices de la retraite dans laquelle le St Esprit m’a visité), elle aimait dire : être chrétien, ce n’est pas croire que Dieu existe, c’est croire que, moi, j’existe pour Dieu ! Bien vu ! De fait, dans l’évangile, on voit que les démons ne nient pas l’existence de Dieu … et pourtant ils ne sont pas chrétiens ! Dire que Dieu, vaguement défini, existe ne fait pas de celui qui le dit un chrétien. Par contre, quand je crois que, moi, j’existe pour Dieu, alors c’est bien différent. Même si le mot n’y est pas, je crois que Dieu est Père, un Père aimant qui s’occupe de moi. C’est le très beau texte d’Isaïe 43, 1-2 : « Mais maintenant, ainsi parle le Seigneur, lui qui t’a créé, Jacob, et t’a façonné, Israël : Ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi. Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi, les fleuves ne te submergeront pas. Quand tu marcheras au milieu du feu, tu ne te brûleras pas, la flamme ne te consumera pas. » Ce passage a donné naissance à un Cantique que vous connaissez peut-être : « je t’ai appelé par ton nom, tu comptes beaucoup à mes yeux, tu es précieux pour moi car je t’aime. »
Si nous voulons devenir authentiquement chrétiens et plus seulement théïstes, il nous faut donc, comme Philippe, demander à Jésus de nous faire entrer dans cette connaissance de Dieu comme Père, dans sa connaissance intime de Dieu qui est Père et non pas horloger !
2. Les chrétiens sont-ils les premiers, après Jésus, à croire que Dieu est Père ?
Dans les Evangiles, on trouve 170 emplois du mot Père sur les lèvres de Jésus pour désigner Dieu. C’est ce qui me permet de dire que c’est l’une des grandes nouveautés du christianisme, l’un des points essentiels de la révélation.
Mais ça ne veut pas dire comme on l’entend parfois que l’Ancien Testament ne connaissait pas ce nom de Père pour désigner Dieu. Ce n’est pas tout à fait juste car on retrouve ce mot de Père dans le Premier Testament, mais utilisé de manière ciblée. Il y a 4 situations dans lesquelles, on utilise le mot de Père pour désigner Dieu.
- Il est Père du Roi : cf. 2 Sm 7 grande prophétie qui annonce le Messie sous les traits d’un Roi et Dieu affirme : « je serai pour lui un Père et il sera pour moi un fils. » 2 S 7,14. On retrouve cette utilisation à propos de David dans le psaume 89 où il est dit v.27 : « Tu es mon Père, mon Dieu et le rocher de mon Salut. »
- Il est Père du Peuple : Je dirai que c’est un peu le déploiement du point précédent car le Roi est celui qui représente le Peuple … si Dieu est le Père du Roi, il est donc Père du Peuple et cela avant même l’institution de la Royauté. On le retrouve dans les paroles que Moïse devra adresser, de la part de Dieu, au Pharaon pour l’inviter à laisser partir le peuple : « Mon Premier-né, c’est Israël, alors je te le dis, laisse partir mon fils ! » Si Dieu désigne le peuple comme étant son fils, c’est qu’il est leur Père ! On retrouvera cette dénomination de Père dans pas mal de textes prophétiques, mais c’est toujours comme Père du peuple. Je cite deux références, mais il y en aurait beaucoup d’autres : Jér 31,9 : « Je deviens un Père pour Israël, Ephraïm est mon fils aîné. » Is 64, 7 : « Cependant, Seigneur, notre Père, c’est toi ! » (Ephraïm/Israël/Samarie de l’autre côté : Juda/Jérusalem)
- Si Dieu est le Père du peuple, Il l’est de manière plus particulière pour les pauvres et avec une belle précision en ce qui concerne les orphelins, ceux, précisément, qui n’ont plus de père. Ps 68,6 : Père des orphelins, défenseur des veuves, tel est Dieu dans sa sainte demeure. » Si 4,10 : « Sois pour les orphelins comme un Père. » (Siracide est aussi appelé l’Ecclésiastique ou Ben Sirac le Sage … à ne pas confondre avec l’Ecclésiaste appelé aussi Qoeleth !)
- Avec la littérature de Sagesse, on va voir apparaître cette idée que Dieu n’est pas seulement le Père du peuple de la promesse, mais le Père de tous les hommes. Sg 2,18 : « Si le juste est fils de Dieu, Dieu l’assistera. »
Vous voyez qu’au terme de cette petite enquête, on se rend compte que le mot Père pour désigner Dieu est connu dans le Premier Testament, mais vous aurez aussi compris qu’il est utilisé de manière particulière. C’est toujours un usage collectif : Dieu est Père du peuple ou des pauvres. Et quand c’est une dénomination personnelle, c’est Père du Roi, mais en tant qu’il représente le peuple.
Alors peut-être que vous vous demandez si dans d’autres religions, on a cette appellation de « Père » pour désigner Dieu. Non ! Je vais rapidement parler de l’Islam parce qu’il y a quelque chose de très beau à découvrir. Vous savez peut-être que dans l’Islam, Dieu a 99 noms que les musulmans égrainent sur ce qui ressemble à un chapelet. 99, c’est un peu étonnant comme nombre, pourquoi pas 100 carrément ? De fait, il y a 100 noms de Dieu, mais, l’Islam dit que les musulmans n’ont eu la révélation que de 99 noms, le 100° leur sera révélé au paradis. Eh bien, ce 100° nom, nous le connaissons, nous les chrétiens, pas parce que nous serions meilleurs ou plus intelligents, mais parce que Jésus nous l’a révélé. En Jn 17,6 Jésus dit : « J’ai manifesté, j’ai révélé ton nom aux hommes. » Il n’y a donc que les chrétiens qui osent appeler Dieu « Père ».
3. Pourquoi le judaïsme ne pouvait pas imaginer un Père « personnel » ?
Prononcer le nom de quelqu’un, dans le judaïsme, c’est une manière de dire que je le connais, que je suis familier avec lui. Avec Dieu, il y a un tel respect que ce n’est pas pensable. Du coup, on ne prononce jamais le nom de Dieu, ce nom qui avait été révélé à Moïse du milieu du buisson ardent en Ex 3,14. Ce nom est tellement particulier qu’on aura de la difficulté à le traduire : Je suis, je suis qui je serai, tu verras qui je eerai . Ce nom, c’est ce qu’on appelle le tétragramme sacré parce que composé de 4 consonnes : YHWH. Ce nom, seul le grand prêtre, le murmurait, une fois par an, le jour du Kippour, quand il était seul dans le Saint des Saints.
Retenons que les juifs, eux, ne prononçaient jamais ce nom en le remplaçant par d’autres noms : Adonaï, El Shaddaï … qu’on rend habituellement par « Le Seigneur ». C’est pourquoi il est bien dommage que la Bible de Jérusalem ait traduit le nom sacré par Yahveh, Je vous invite donc, à chaque fois que vous le pouvez à remplacer Yhaveh par « Le Seigneur » quand vous lisez. Ce nom, seul le grand prêtre, le murmurait, une fois par an, le jour du Kippour, quand il était seul dans le Saint des Saints. Alors, vous imaginez bien que, dans ces conditions, ça paraitrait complètement blasphématoire à un juif d’appeler Dieu « abba » comme Jésus nous invite à le faire.
Les juifs, comme les musulmans d’ailleurs peuvent nous aider à redécouvrir la grandeur de Dieu, la transcendance de Dieu si on veut faire savant ! Et c’est parfois nécessaire et même salutaire quand nous prenons le Bon Dieu pour un distributeur automatique de grâces que nous pouvons solliciter quand c’est nécessaire et oublier quand nous n’avons plus besoin de lui. Oui, ils peuvent nous aider, mais, nous, nous pouvons les aider à découvrir la proximité de ce Dieu transcendant, proximité qui se dit dans sa paternité. Cf. Cette réflexion que m’avait faite un musulman en prison : vous avez de la chance, vous avez un Dieu proche qui vous comprend … Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu !
Le grand défi pour nous, c’est donc de tenir à la fois la grandeur de Dieu qui n’est pas un copain et sa proximité puisqu’il est notre père. Ce qui ne nous aide pas bien aujourd’hui, c’est qu’il y a une conception un peu brouillée de la paternité. Certains pères pensent que c’est en étant copain avec leurs fils qu’ils en seront plus proches, d’autres pour affirmer leur autorité ne savent qu’être autoritaires et beaucoup sont absents conséquence du drame des séparations. Beaucoup de choses ont été écrites sur le sujet, car c’est vrai, il y a une crise de la paternité qui ne peut pas rester sans conséquence sur la compréhension de la paternité de Dieu. Et c’est ce que je voudrais aborder maintenant.
4. Et ceux qui ont été blessés par leur père, comment vont-ils faire ?
Avant de donner quelques réflexions sur le sujet, je veux donner mon témoignage car je fais partie de ceux qui ont eu une expérience douloureuse de la paternité. Je ne parle donc pas du sujet simplement en théoricien.
>>> Mon témoignage
Mieux vaut le savoir, en matière d’amour, nous sommes souvent des grands blessés. Chez certains, c’est plus criant que chez d’autres, mais il est assez rare de voir des personnes dire qu’elles ont été parfaitement aimées sans jamais recevoir aucune blessure d’amour que ce soit de leurs parents de leur fratrie, de leur entourage à l’école (harcèlement, de leurs enseignants … Il y en a qui, comme moi, ont reçu de grandes blessures à cause d’un père défaillant. Pour d’autres, c’est une maman pas assez aimante qui a été à la source de leurs blessures. Parfois, ce sont les deux qui n’ont pas été à la hauteur à cause des conflits incessants… souvent d’ailleurs parce que, eux-mêmes, les parents n’avaient pas reçu tout leur compte d’amour. Evoquer nos blessures, ce n’est donc pas juger ceux qui ont pu nous blesser, ils ont souvent fait comme ils ont pu avec ce qu’ils avaient reçu ! Et, dans le domaine des blessures, nous le savons, il peut y avoir bien plus grave que des conflits : maltraitance, abus, l’actualité en a parlé.
Personnellement, j’ai l’impression que ces blessures ne m’ont pas éloigné de Dieu, au contraire. Mon Père défaillant me laissait espérer un père qui puisse vraiment tenir la route, qui puisse me prendre dans ses bras, s’intéresser à moi, m’aider à grandir, me valoriser et me reprendre quand c’était nécessaire … Et, très vite, j’ai perçu que le Père du ciel, tout cela, il le pouvait. Mon expérience de paternité défaillante m’a plus aidé qu’handicapé, mais je sais qu’il n’en va pas ainsi pour tout le monde. C’est sûrement plus difficile quand on a eu un père autoritaire, violent, ce qui n’était pas mon cas et le comble, évidemment, c’est un père abuseur. Un long chemin de guérison intérieur sera nécessaire pour ces personnes qui ne peut pas se faire qu’au plan spirituel. Nous sommes corps, esprit et âme, le Bon Dieu a donné de l’intelligence et de la compassion à des personnes pour qu’elles soignent les corps, ce sont les médecins, à d’autres pour qu’elles soignent les esprits, ce sont les psychologues et enfin à d’autres qui soignent les âmes, ce sont les accompagnateurs spirituels. Il faut souvent faire intervenir les 3 pour les personnes sérieusement blessées et profondément éprouvées.
C’est souvent douloureux, mais rappelons-nous que nos blessures peuvent aussi devenir des ouvertures à la grâce. Cf. l’art du kintsugi qui signifie littéralement « jointure à l’or ». Il s’agit d’une technique artistique japonaise qui permet de réparer des pièces de porcelaine ou de céramique grâce à de l’or. Plus une poterie a été cassée et recollée, plus elle devient précieuse. Il faut donc oser regarder en face toutes nos blessures et entamer courageusement un chemin de guérison en croyant que l’Esprit-Saint nous accompagnera et que, selon la belle parole de Paul, Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment. Rm 8,28
Enfin, je termine ce point en évoquant le fait que, dans la prière du Notre Père, après l’avoir appelé « Père » nous rajoutons tout de suite « qui es aux cieux » cette mention précise tout de suite qu’il est différent du père terrestre. Si j’ai eu un père terrestre déficient, violent, celui-là, le Père du ciel est différent justement parce qu’il est « du ciel » et si j’ai eu un bon père terrestre, eh bien, il faut aussi que je me dise que le Père du ciel, il est encore bien mieux !
Si vous voulez, il ne faut pas que je cherche à comprendre la paternité de Dieu à partir de mon expérience de la paternité humaine, il faut plutôt faire le chemin inverse : c’est la paternité divine qui devrait éclairer la paternité humaine. C’est Dieu qui nous enseigne comment devenir père. Et je crois que c’est exactement ce que Jésus veut dire quand il invite à ne donner à personne sur terre le nom de père Mt 23,9. Petite parenthèse ! Certains profitent de ce texte pour dire qu’il faudrait arrêter d’appeler les prêtres en leur disant « père » … pourquoi pas … moi ça ne me gênerait pas qu’on m’appelle frère Roger ! Mais Jésus dit que c’est à « personne » qu’il faut se donner ce nom … et je suis allé vérifier le texte grec, « personne » en grec, ça veut dire personne, le texte grec dit même exactement « vous ne donnerez pas à un seul autre le nom de père ! Ce ne sont donc pas que les prêtres qui sont visés ! Alors, est-ce que Jésus veut empêcher un enfant d’appeler l’homme qui l’a conçu, élevé, « abba » ? Certes non, d’autant plus qu’il a dû, lui-même, donner ce nom à Joseph. Mais Jésus veut simplement dire que le nom de « père » renvoie d’abord à celui qui, seul, exerce de manière totalement épanouie et juste la paternité. Les autres ne sont père que par procuration si j’ose dire, c’est donc en regardant comment Dieu exerce la paternité qu’ils apprendront à être père. Il me semble que c’est vraiment ce que signifie la précision « Père du ciel ». Alors, voyons comment le père du ciel exerce la paternité.
5. Le double enjeu de la redécouverte de la paternité de Dieu
On pourrait passer une semaine de retraite entière à scruter les Ecritures pour voir comment Dieu est Père, dans le cadre restreint de cette intervention, je ne développerai qu’un seul point.
5.1 Nous laisser aimer d’un amour « parfait » car Dieu est un père qui aime comme une mère
Je dis que l’amour de Dieu est parfait … comment pourrait-il en être autrement de la part de Celui qui est parfait ? Et cette perfection, pour moi, elle éclate dans cette expression que nous connaissons bien, qui est extrêmement concrète et si juste : Dieu est un Père qui nous aime comme une Mère. Vous savez que Jésus a voulu unir ces deux représentations de l’amour paternel et maternel en Dieu, c’est la parabole de l’enfant prodigue. C’est pour cela que, dans le merveilleux tableau de Rembrandt, le père a deux mains comme tous les êtres humains qui ne sont pas porteurs de handicap, mais ses deux mains ont une caractéristique étonnante : l’une est masculine et l’autre féminine. Ce tableau est vraiment magnifique, un prêtre artiste, le père Baudiquey commentant ce tableau a eu cette belle expression : « c’est la seule représentation de Dieu, grandeur nature pour laquelle Dieu, lui-même, ait accepté de poser ! » Un autre prêtre a écrit sur ce tableau parce qu’il l’a fasciné, le père Henri Nouwen : « le retour de l’enfant prodigue ». Petit livre mais magnifique qui raconte cette rencontre saisissante de l’auteur du livre avec ce tableau au musée de St Petersburg, c’est une rencontre qui va bouleverser sa vie de prêtre. Lire ce livre, c’est tout à la fois contempler le tableau avec des yeux aiguisés et entrer dans une compréhension renouvelée de la parabole que nous croyons si bien connaître.
Pour approfondir ce point, je vais reprendre quelques caractéristiques de l’amour paternel et de l’amour maternel pour voir comment elles sont réunies harmonieusement en Dieu. Je sais bien qu’aujourd’hui, certains pensent qu’un père et qu’une mère, ce ne sont là que des rôles interchangeables, mais la psychologie nous a quand même dit des choses importantes sur le sujet qui nous donnent le droit de continuer à penser que ces théories ne vont pas aider l’humanité à grandir !
5.1.1 Le père
Commençons par le père, parmi les parents, c’est celui incarne l’autorité. Mais attention à bien comprendre le mot ! Autorité vient du latin « augere » qui signifie augmenter, faire grandir. Ceux sur qui on exerce une autorité perçoivent assez vite le côté contraignant (cf. ados) mais en fait, il s’agit d’aider à grandir. Tous ceux qui ont une autorité, en famille, dans l’enseignement, dans la société, dans une entreprise devraient se rappeler que cette autorité leur est donnée pour qu’ils aident ceux qui leur sont confiés à grandir. Il y a derrière tout cela le rapport à la Loi et ce n’est pas pour rien que le plus grand cadeau de Dieu à son peuple quand il l’a libéré d’Egypte, c’est de lui donner la loi. Il n’y a pas de vie sans Loi et le père est le garant du rapport à la loi, c’est lui qui la rappelle et veille à ce qu’elle soit appliquée pour que ses enfants puissent grandir « droit » (la loi a à faire avec le droit !). Un enfant à qui le père ne rappellera jamais la loi va grandir tordu … on en a tellement d’exemples aujourd’hui ! Evidemment, on voit tout de suite des contre-exemple avec des personnes qui ne savent pas exercer l’autorité et qui deviennent autoritaires, qui humilient, rabaissent, qui ne supportent pas ceux qui leur font de l’ombre … Un tel père n’aidera pas à grandir, mais Dieu n’est évidemment pas ainsi. Il nous aime d’un amour respectueux, infiniment respectueux, la parabole le montre bien.
Si je reviens à la psychologie, les psys nous apprennent que lorsque le père est fort, qu’il sait tenir sa juste place, il encouragera naturellement son enfant qui va oser peu à peu se risquer. Et si en plus, il sait le féliciter pour ce qu’il réussit et le reprendre en l’accompagnant quand il ne réussit pas, il sera stimulé. La présence du Père ne devra pas se faire envahissante, laissant à son enfant le droit de se risquer parce que c’est comme ça qu’on apprend Par contre, quand cette présence se fait tyrannique, elle va traumatiser et décourager l’enfant qui a toujours tellement peur de mal faire qu’il ne se risque dans rien.
Il faudra donc toujours veiller à nos manières de parler de Dieu. Dieu n’est ni absent, ni défaillant, ni envahissant, ni tyrannique, il est Père, pleinement Père. Oui, surveillons vraiment nos mots, nos images. Cf. Dieu te voit ! Ce Dieu qui espionne par le trou de la serrure, c’est insupportable. Cf. Sartre. Dieu ne surveille pas, il veille sur ! Dieu ne punit pas, ce sont nos actes mauvais qui portent des conséquences mauvaises. Il n’y a pas besoin de faire intervenir Dieu ! Si je vole et que je me retrouve en prison, ce n’est pas Dieu qui en est responsable : bien mal acquis ne profite jamais ! Restons donc très vigilants sur les images et les paroles que nous utilisons pour parler de Dieu.
5.1.1 La mère
La mère, sa manière d’aimer sera forcément différente de celle du père et le nier est vraiment ridicule. Elle a porté son enfant 9 mois, ça crée des liens qui ne peuvent pas s’oublier … ou qui ne devraient pas s’oublier et qui vont donner une manière particulière d’aimer. Ce n’est ni mieux, ni plus fort que le père, c’est autrement, particulièrement autrement ! Si la manière d’aimer du père est caractérisée par l’autorité, celle de la mère est caractérisée par la tendresse. Mais bien sûr, ça ne veut pas dire qu’un père ne peut pas être tendre et qu’une mère ne doit pas avoir d’autorité, mais leurs postures ne sont pas les mêmes.
L’amour de la mère est viscéral, inconditionnel, elle ressent tout ce que son enfant ressent. Son amour sera un amour plus protecteur avec le risque que, parfois, il le soit trop, qu’il couve, qu’il soit trop fusionnel. L’amour de Dieu est aussi exprimé dans les Ecritures sous les traits de l’amour maternel. « Une mère peut-elle oublier son enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles, même si les femmes oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas ! » Is 49,15 « Comme celui que sa mère console, je vous consolerai. » Is 66,13 « Et moi, j’avais appris à marcher à Ephraïm, je le prenais par les bras, j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue. Je me penchais sur lui et je le faisais manger. » Os 11,3-4 Très beau texte où es gestes de la maman sont attribués à Dieu. Voilà ce qu’est aussi l’amour de Dieu pour nous ! C’est pour cela que je le qualifiais d’un amour complet.
Du coup, vous comprenez qu’on n’a pas besoin de dire : si vous cherchez un amour fort, adressez-vous à Dieu, si vous cherchez un amour maternel, adressez-vous à la sainte Vierge ! C’est ridicule, ils ne sont pas du tout sur le même plan et l’amour de Dieu a les deux caractéristiques. J’ai fini mon 1° point dans cette 5° partie qui développait les conséquences de l’affirmation de cette paternité si originale de Dieu qui est un père capable d’aimer comme une mère. Venons-en à la 2° conséquence.
5.2 Vivre en fils et non pas en esclave … et en frères
Si Dieu est père, alors, la conséquence tout à fait logique, c’est que nous sommes ses fils et ses filles et donc que nous sommes frères. Je vais développer successivement ces deux points : fils/filles et frères.
5.2.1 Fils/Filles de Dieu, c’est-à-dire revêtus d’une dignité inaliénable
Quand je parle aux jeunes, je leur dis souvent : j’imagine que le fils de Ronaldo, le grand joueur de foot, le jour de la rentrée des classes, il est heureux de dire dans la cour de récré : moi, mon père, c’est le plus grand joueur de foot du monde ! Eh bien, il faudrait que nous ayons la même fierté : notre Père du ciel, c’est le créateur de l’univers visible et invisible … et moi, je suis son fils ! Ce n’est quand même pas rien ! Tirons-en toutes les conséquences.
J’ai lu, il y a quelques temps, une très belle histoire. Un homme blanc va en Afrique pour une mission d’évangélisation. Dans la capitale du pays, il gare sa voiture et tout de suite une prostituée vient vers lui et lui fait une proposition. Elle devait se dire qu’avec un homme blanc, elle allait pouvoir gagner beaucoup d’argent. L’homme lui demande combien elle prend et il lui dit : seulement ça ! Alors, elle double la somme demandée et il lui dit encore : seulement ça ! Elle multiplie par 10 la somme demandée et il lui dit encore : seulement ça ! Alors la femme, prostituée, n’y comprend plus rien et lui dit : mais tu es le 1° homme qui agit ainsi, d’habitude, les hommes cherchent à me faire baisser le prix et, toi, tu veux l’augmenter, je ne comprends pas ! Et l’homme lui répond : mais tu vaux tellement plus que la somme que tu proposes ! La femme, consciente de ne pas être grand-chose à cause de ce métier dégradant qu’elle exerce, lui fait part de son étonnement, alors l’homme lui dit : sais-tu que Jésus a versé son sang pour toi ? Est-ce que tu imagines un peu ce que tu vaux pour que Jésus ait versé son sang pour toi ? Ta vie est d’une richesse que tu ne peux même pas imaginer, alors pourquoi tu te vends pour si peu ? Cette femme va être tellement touchée par ces paroles qu’elle demande à l’homme de l’emmener dans un lieu où on pourra l’aider à changer de vie. Il l’a emmenée dans la communauté où il était hébergé et, aujourd’hui, cette femme a ouvert un centre pour accueillir les prostituées qui voulaient changer de vie.
On peut dire que cet homme a tiré toutes les conséquences des premières paroles du Notre Père, il a révélé à cette femme sa dignité d’enfant de Dieu, une dignité inaliénable. C’est l’une des grandes nouveautés du judéo-christianisme. Quand vous lisez tous les récits de mythologie païennes, les hommes ne sont que les larbins, les jouets des dieux qui les utilisent à leur guise. Il doit y avoir quelques relents de ce paganisme dans la peur que certains ont de Dieu. Paul insistera pour dire que c’est un esprit de fils que nous avons reçu : Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! Rm 7,15 J’y reviendrai dans ma conclusion. Aux retraitants qui viennent me voir pour me partager le manque d’estime qu’ils peuvent avoir d’eux-mêmes à cause de ce manque d’estime qu’ils ont eu dans leurs familles, ou par leurs professeurs, il m’arrive souvent de leur citer les paroles du chant : « en passant par la Lorraine. » Vous savez l’histoire de ces 3 capitaines qui ont traité cette jeune fille de Vilaine et qui leur répond qu’elle n’est pas si vilaine puisque le fils du Roi l’aime. Eh bien, c’est notre cas à tous, le Roi nous aime et le Fils du Roi nous aime et le Roi, en plus, c’est mon Père !
5.2.2 Fils/Filles de Dieu, c’est-à-dire frères et sœurs en Jésus-Christ et de Jésus-Christ
Si Dieu est Père, il est mon Père, mais aussi le Père de tous les autres êtres humains et c’est de là que jaillit la fraternité humaine. Considérer les autres comme des frères, c’est une conséquence de notre foi, pas une décision politique ou éthique.
A chaque fois que nous disons la prière que Jésus nous a enseignée, nous l’affirmons puisque cette prière commence par ce pluriel : « notre » Notre Père. Le pape François avait fait une très belle catéchèse sur ce thème. Je vous en lis un extrait : Il y a un mot qui est absent dans le texte du « Notre Père » et cette absence est frappante. Si je vous demandais quelle est l’absence frappante dans le texte, il ne vous serait pas facile de répondre. Il manque un mot. Réfléchissez tous : quel mot est absent du Notre Père ? Un mot dont chacun de nous fait grand cas. Pour gagner du temps, je vais vous le dire : il manque le mot : « je ». On ne dit jamais « je » … Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de place pour l’individualisme, l’égoïsme dans le dialogue avec Dieu. Il n’y a pas de prière élevée à Dieu qui ne soit la prière d’une communauté de frères et sœurs, le nous : nous sommes en communauté, nous sommes frères et sœurs, nous sommes un peuple qui prie. Dans la prière, un chrétien porte toutes les difficultés des personnes qui vivent près de lui : quand descend le soir, il raconte à Dieu les douleurs qu’il a rencontrés ce jour-là ; il place devant lui de nombreux visages, amis et aussi hostiles. Si l’on ne se rend pas compte qu’autour de soi, il y a tant de personnes qui souffrent, si l’on n’a pas pitié pour les larmes des pauvres, si l’on est habitué à tout, alors cela signifie que notre cœur est flétri. Non, pire, il est de pierre. Dans ce cas, il est bon de supplier le Seigneur pour qu’il nous touche avec son Esprit et qu’il attendrisse notre cœur. Le Christ n’est pas passé indemne à côté des misères du monde : chaque fois qu’il percevait une solitude, une douleur du corps ou de l’esprit, il éprouvait un profond sentiment de compassion, comme les viscères d’une mère…
Conclusion : C’est l’Esprit-Saint qui nous fera oser crier vers Dieu en l’appelant Abba Rm 8,14-17
Il est temps de conclure ! Comment parvenir à nous situer devant Dieu comme devant un Père ? Si nous avons été blessés par des expériences douloureuses ou si nous avons été déformés par une éducation religieuse rigoriste, ce n’est pas en nous raisonnant que nous y parviendrons. La seule solution, c’est l’Esprit-Saint.
Il y a une très belle définition de la Trinité qui a été donnée par St Augustin que j’aime bien partager. Le Père, c’est Celui qui aime, le Fils, c’est celui qui est aimé (je rajoute : et qui rend tout l’amour reçu en le redonnant au Père et en le distribuant aux frères) et l’Esprit, c’est l’amour qui les unit. Recevoir l’Esprit-Saint, c’est recevoir l’Amour qui unit le Père et le Fils, c’est recevoir l’amour dont le Père et le Fils s’aiment mutuellement, c’est donc bien de l’Esprit-Saint dont j’ai besoin pour apprendre à me laisser aimer par le Père et pour apprendre à vivre sous ce regard d’amour en vrai Fils. St Esprit, montre-nous le Père, introduis-nous dans le dialogue d’amour qui unit le Père et le Fils et cela nous suffit !
Frère Roger, puisque Père est réservé à Dieu seul. Merci pour votre enseignement il m’a rejoint très profondément. Savoir que j’existe pour Dieu avec toutes mes fêlures c’est une chance, je suis fille de Dieu. Aujourd’hui, vous m’avez permis de m’abandonner dans les bras de notre Dieu si puissant en Amour.
Merci… Oui, se sentir fils/fille de Dieu est pour certains la seule issue… Et la meilleure ! Alléluia!