Quand on entend cet Evangile, on a envie de plaindre Jésus en disant « Qu’est-ce qu’il a dû s’en voir Jésus avec ses apôtres ! » Seulement voilà, en les montrant du doigt, en les accusant, nous risquons bien d’oublier que nous sommes du même bois qu’eux ! D’ailleurs, vous savez que l’on dit fort justement que lorsque nous montrons quelqu’un du doigt, il y en a 3 autres qui nous accusent, regardez, je fais le geste, vous verrez que c’est vrai ! Hélas, vous voyez aussi qu’il y a un doigt pointé vers le ciel et c’est terrible. De fait, quand on prend l’habitude d’accuser les autres, non seulement, on ne se rend pas compte qu’on est comme eux et parfois même pire qu’eux ce que montrent les 3 doigts qui sont pointés vers nous, mais en plus, on en vient très vite à accuser Dieu. Nous ne pouvons pas être heureux quand nous rendons Dieu ou les autres responsables de tout ce qui nous arrive. Mais revenons à l’Evangile !
Quand je dis que nous sommes du même bois que les apôtres, je ne pense pas d’abord à l’ambition démesurée des fils de Zébédée quand ils adressent cette folle demande à Jésus : « Accorde-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. » C’est vrai qu’ils sont gonflés de demander cela, et surtout au moment où ils le demandent. En effet, dans les versets qui précèdent, Jésus vient juste d’annoncer sa mort et, eux, voilà qu’ils cherchent à se placer ! C’est indécent ! Pourtant, je vous avoue qu’ils me sont sympathiques ces fils de Zébédée parce que, après tout, ce n’est pas mauvais du tout de vouloir être à gauche et à droite de Jésus pour être tout près de Lui ! Et même si leurs intentions n’étaient pas tout à fait pures, je me dis que, eux, ils ont au moins eu le courage de demander tout haut ce dont tous les autres rêvaient peut-être tout bas !
Il y a autre demande qui est sûrement plus grave dans l’Evangile et c’est en pensant à cette demande que je dis que nous sommes du même bois que les apôtres, Jacques et Jean en l’occurrence. ET, c’est dommage car cette autre demande, elle passe souvent inaperçue dans cet évangile. C’est l’introduction que font Jacques et Jean à leur demande des meilleures places, ils disent : « Maître, nous voudrions que tu exauces notre demande. » Je traduis autrement de manière plus explicite : « Maître, nous voudrions que tu fasses ce que nous avons décidé ; nous voudrions que tu fasses toutes choses selon ce que nous, nous avons décidé ; nous voudrions que notre volonté soit faite et comme nous n’avons pas les moyens de l’accomplir nous te demandons de mettre toute ta puissance divine à notre service, au service de la réalisation de nos projets, tels que nous les avons décidés ! » Evidemment, quand on dit les choses comme cela, nous n’avons pas de peine à comprendre qu’il est inutile de montrer ces deux apôtres du doigt. C’est trop clair, c’est bien de nous, de nous, de chacun de nous, que parle cet évangile.
A trop mettre l’accent sur l’ambition des apôtres, nous risquerions de ne pas tous nous sentir concernés si nous ne sommes pas ambitieux. Mais cette introduction de la demande telle qu’elle est formulée par Jacques et Jean, alors là, elle nous concerne tous. Elle pointe du doigt non pas un problème chez Jacques et Jean, mais chez nous tous. Il y a donc là un énorme sujet de réflexion, une invitation permanente à la conversion.
Que de fois en priant le Notre Père, nous disons : « Que ta volonté soit faite », mais que de fois nous rajoutons en secret, plus ou moins consciemment : « Ta volonté Seigneur, elle est difficile à connaître ou à comprendre voire à accepter, alors comme avec toi, c’est trop compliqué, on va faire comme moi, je veux, ça sera plus simple ! Parce que moi, je sais bien ce que je veux, et toi comme tu es tout-puissant, tu peux réaliser ce que moi, je veux ! » Et c’est comme ça que tout se met à patiner dans notre vie ou même dans la vie de l’Église. Que de projets mis en œuvre dans notre vie ou dans la vie de l’Eglise qui sont des projets personnels, pas des projets mauvais, mais des projets qui sont les nôtres, reflets de notre volonté. Puisque ce sont nos projets, nous allons jeter toutes nos forces pour les mettre en œuvre et forcément nous allons nous épuiser parce que nos forces ne sont pas inépuisables. C’est la fameuse différence entre les oeivres pour Dieu et l’œuvre de Dieu. Les œuvres pour Dieu, c’est moi qui décide de ce qui est bon : « Seigneur, j’ai décidé de ce que je voulais faire, alors je voudrais que tu mettes ta puissance à mon service ? L’œuvre de Dieu, c’est se mettre humblement au service de Dieu pour accomplir ses projets que je cherche à discerner. Evidemment, la fécondité n’est pas la même dans les deux cas de figure.
Vous savez, on dit souvent qu’on a lu à l’envers le récit de l’appel du petit Samuel au Temple. Eli apprend à Samuel qu’il faut dire : Parle, Seigneur, ton serviteur écoute. Mais nous qui avons lu à l’envers, nous disons : écoute, Seigneur ton serviteur parle ! Alors aujourd’hui, comme hier, il nous faut entendre la réponse du Seigneur qui nous dit, comme il disait à Jaques et Jean : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. » On pourrait entendre cette réponse de Jésus en la transformant à peine, c’est comme si Jésus disait : « Vous ne savez pas ce qu’il faut demander ! »
Dans sa réponse, Jésus évoque le combat décisif dans lequel il va entrer prochainement qui le conduira à prononcer cette parole décisive : « Père, non pas ma volonté, mais ta volonté. » C’est dans ce même combat que nous avons à entrer et c’est pour nous soutenir dans ce combat que Jésus nous a donné les bons mots de la prière à formuler : « Notre Père, que ta volonté soit faite. » Mais attention, nous avons souvent peur que la volonté de Dieu sera forcément contraire à la nôtre, qu’il exigera de nous ce qu’il y a de moins épanouissant, de plus difficile ! Qu’est-ce que c’est que cette conception de Dieu ? Dieu n’est qu’amour, il ne peut que vouloir ton bonheur. D’ailleurs, nous pourrions prendre l’habitude de faire une faute d’orthographe, cette faute que les enfants font si souvent quand ils recopient les paroles de la prière du Notre Père et qu’ils écrivent : que ta volonté soit fête !
C’est sûr, parce qu’il n’est qu’amour, Dieu ne veut pas nous briser comme dans la légion, on cherche à briser la volonté des légionnaires pour qu’ils deviennent prêts à tout quand on le leur demandera ! Non ! Dieu veut notre Bonheur. Dieu n’est pas ennemi de l’homme, l’un des mots qui revient le plus souvent dans la Bible, c’est le mot Alliance, ça signifie que Dieu notre allié. C’est ce que Jésus suggère à la fin de cet évangile en nous invitant à devenir des serviteurs comme il l’a été. Nous sommes des serviteurs, ce qui signifie que le maître, c’est Dieu. Énoncer cette vérité ne doit pas nous faire frémir de peur, au contraire ! Quelle libération ! L’avenir de l’Eglise n’est pas entre mes mains, ni entre les vôtres ! Quelle libération d’entendre cela !
Jean XXIII a raconté qu’un jour, c’était au début de son pontificat, il était tourmenté par un problème très épineux. Le soir, il se couche et, bien sûr, il n’arrive pas à trouver le sommeil, alors il se dit : « Demain, il faut absolument que j’en parle au pape. » C’est alors qu’il réalise que le pape, c’est lui ! Il aurait pu en perdre le sommeil pour toute la nuit, il n’y avait personne au-dessus de lui pour lui dire ce qu’il fallait faire. Mais ça a été tout le contraire, il s’est dit : oui, mais, Angelo, rappelle-toi que tu n’es que le Pape et que le maître, c’est Dieu ! Il s’est donc tourné sur le côté, il s’est endormi aussitôt parce qu’il croyait fermement qu’il n’était pas le maître mais seulement serviteur, il était libéré d’un grand poids.
S’il vous arrive de perdre le sommeil à cause de gros problèmes ou d’être trop tourmentés, vous savez maintenant ce qu’il faut dire et ne pas dire ! Si vous dites : « Maître, nous voudrions que tu fasses ce que nous avons décidé » vous risquez d’avoir souvent des insomnies et des soucis ! Si, par contre, nous acceptons de dire : « Seigneur, c’est toi le Maître, et moi, je ne suis qu’un humble serviteur, alors donne-moi de mettre ma pauvreté au service de ce que Toi, tu veux » alors je vous promets des nuits aussi calmes que celles de Jean XXIII. Laisse Dieu être Dieu, ne cherche pas à tout décider à sa place. Laisse Dieu être Dieu dans ta vie, dans ton couple, dans l’Eglise et dans le monde. Laisse Dieu être Dieu !
Cf. Prière de Ben Sira le Sage : il n’est pas de dieu hors de toi, Seigneur, alors, renouvelle tes prodiges, recommence tes merveilles. Pas celles que nous te dictons d’accomplir, celles que toi tu veux accomplir.