Au cours de ce temps pascal, nous avons lu le livre des Actes des Apôtres et j’ai souvent pris le temps de commenter les lectures qui en étaient tirées, mais aujourd’hui, j’aimerais m’arrêter plus sur l’Evangile. Remettons ce texte dans son contexte. Après la résurrection, Jésus apparait à ses disciples, il leur donne un acompte d’Esprit-Saint et les envoie en mission. Pierre se retrouve bien désemparé devant cet envoi, il est encore écrasé par le poids de culpabilité résultant de son triple reniement. Alors comme il ne voit pas comment répondre à l’appel de Jésus qui l’envoie en mission, il décide de partir à la pêche. La mission, il ne connait pas bien, du moins, la mission sans Jésus, ça l’effraie, il sait désormais ce qu’il vaut, alors le plus simple, pour lui, c’est de reprendre ce qu’il sait bien faire, son métier, il part donc à la pêche et entraine une bonne partie des apôtres avec lui. C’est donc clair, au lieu de la mission, c’est la démission ! Lui et les apôtres, partris avec lui, passent toute la nuit sans rien prendre. Rien d’étonnant à cela : quand on n’est pas là où le Seigneur nous envoie, là où le Seigneur nous veut, il ne peut y avoir de fécondité !
Et voilà qu’au petit matin, Jésus les rejoint en restant sur le rivage, mais les apôtres ne le reconnaissent pas. Il les interroge sur leur pêche : ils n’ont rien dans les filets, ils ont déployé beaucoup d’efforts, mais sans résultat. Jésus leur demande de jeter leurs filets et ils font une nouvelle pêche miraculeuse. Pour St Jean, tout devient clair, ça ne peut être qu’un coup de Jésus, il le dit à Pierre qui se jette à l’eau pour rejoindre Jésus. Pierre n’en peut plus de porter ce poids de culpabilité, il lui faut vite rencontrer Jésus en tête à tête. Mais les autres arrivent trop vite pour que la discussion s’engage. Alors, tous, ils partagent un barbecue que Jésus dans sa délicatesse avait préparé. Jusqu’au bout, Jésus saura prendre soin de ses apôtres. Et c’est à la fin du barbecue que Jésus invite Pierre à faire quelques pas sur la plage.
Ce dialogue entre Jésus et Pierre est de toute beauté. Hélas, la traduction française ne permet pas de l’entendre. En grec, il existe 3 verbes pour traduire l’unique verbe aimer en français. Philos, c’est l’ami, philein, c’est s’aimer comme s’aiment des amis. Il y a erein, c’est aimer avec passion, sans connotation négative, cet amour passion se dira jusque dans l’union des corps, plus haute forme d’amour entre époux. Enfin, il y a agapein, c’est aimer en se donnant totalement. L’agapê, c’est l’amour oblatif dont Paul brosse un magnifique portrait dans la 1° épître aux Corinthiens. Eh bien, les questions de Jésus à Pierre jouent sur ces nuances.
Une remarque préalable avant d’entrer dans la subtilité du dialogue : à aucun moment, Jésus ne demande à Pierre : est-ce que tu me promets de ne plus recommencer ? Face à une telle question, Pierre aurait été dans un très grand embarras ! Jamais Jésus ne veut mous mettre dans l’embarras dans les tête-à-tête qu’il nous propose.
Donc, dans la 1° question, Jésus demande à Pierre : est-ce que tu m’aimes d’agapê, c’est-à-dire d’un amour qui est prêt à tout donner, autrement dit : est-ce que tu es prêt à donner ta vie pour moi ? Jésus teste Pierre en mettant la barre si haute. Va-t-il fanfaronner encore en se croyant capable de donner sa vie, comme il le prétendait avant ? Non, Pierre ne fanfaronne plus ! Il répond, je t’aime Seigneur, mais je t’aime d’amitié, je ne peux pas te répondre sur l’amour d’agapê, je connais maintenant ma faiblesse. Et puis il y a cette comparaison à laquelle Jésus l’invitait : m’aimes-tu plus que ceux-ci, que les autres apôtres. Pierre ne répond rien à cette question, il ne veut plus se comparer, il sait désormais ce qu’il vaut !
Dans la 2° question, Jésus veut vérifier si Pierre est vraiment dans cet état d’esprit d’humilité, s’il est vraiment conscient de sa misère, alors il lui pose la même question en enlevant juste la comparaison. Pierre répond de la même manière ! Le test est concluant, Pierre est vraiment entré dans l’humilité et la vérité, il tourne définitivement le dos à son attitude de fanfaron.
Alors, pour la 3° question, Jésus veut se mettre au niveau de Pierre, c’est pourquoi dans sa question, il n’est plus question d’agapê, d’amour oblatif qui va jusqu’au bout. Jésus lui demande donc : Pierre, m’aimes-tu vraiment comme des amis peuvent s’aimer ? Il ne lui parle plus du martyr, il lui demande d’être un ami sincère, de redevenir un bon apôtre qui ne cherche plus à briller.
Et ce qui est très beau, vous l’aurez remarqué, c’est que, à chaque fois, Jésus demande comme une preuve d’amour à Pierre. C’est comme s’il disait à Pierre : si tu m’aimes d’amitié, comme tu le dis, il va falloir me le montrer. Comment ? Pas en étant impeccable, en ne commettant plus aucun péché. Non, ce n’est pas ce que Jésus demande, il connait parfaitement les faiblesses de Pierre et les nôtres ! Ce qu’il lui demande comme preuve d’amour c’est que Pierre prenne soin de l’Eglise : paix mes brebis ! C’est comme si Jésus lui disait : ce que je viens de faire pour toi, fais-le pour les autres. Je viens de prendre soin de toi en pardonnant ton triple reniement, prends soin de ceux qui seront confiés à ton ministère. Alors, c’est très fort pour nous. la meilleure preuve d’amour que nous pourrons donner à Jésus, la plus grande, la plus belle, ce n’est pas de réaliser des prouesses, c’est de prendre soin de ceux que Jésus aime.
Par l’intercession de Notre Dame de Laghet demandons que tous les pasteurs de l’Eglise soient renouvelés dans leur amour du Seigneur pour prendre soin des brebis que Jésus leur confie.