Si l’on pouvait encore décrire en une phrase la trajectoire de la croissance spirituelle selon l’Evangile, il faudrait dire qu’elle va toujours de la sainteté désirée à la pauvreté offerte.
Tout commence en effet avec le désir de la sainteté : la conversion, le premier appel à la vie religieuse. C’est ce dynamisme qui nous met en route. « Faire ce qu’ont fait St Dominique et St François » : tel fut le premier rêve d’Ignace de Loyola au temps de sa conversion ! La vie se charge ensuite de nous révéler la part de rêve et d’illusions que peut comporter un tel désir. C’est alors que nous courons un risque très grave : parce que nous ne sommes pas celui que nous avons désiré être, nous sommes tentés de nous replier sur nous-mêmes, de nous résigner à n’être que ce que nous sommes. Comme si dans l’aventure de la sainteté nous avions été, à un moment ou à un autre, largués, laissés sur le rivage. Il nous faudrait alors essayer d’être d’honnêtes serviteurs de Dieu, humblement résignés à laisser à d’autres la folie de la croix.
Raisonner ainsi, c’est confondre la perte de nos illusions avec la mort de l’appel. C’est oublier que cette purification douloureuse de nos suffisances et de nos illusions est nécessaire pour que nous puissions entendre de que le P. Voillaume a appelé le second appel, l’appel à la sainteté, non plus désirée dans la recherche de notre perfection, mais vécue dans l’offrande de notre pauvreté. Oui, nous ne sommes pas celui que nous aurions voulu être, la vie nous a révélé nos faiblesses, nos limites ; les circonstances ne nous ont pas permis de développer tel ou tel aspect de notre personnalité ; l’Esprit nous a conduit sur des chemins qui n’étaient pas ceux que nous avions prévus ; le péché nous a fait négliger les sources de la vie et conduits aux fontaines crevassées où nous nous sommes attardés. Que de temps et de grâce avons-nous gaspillés, Dieu seul le sait ! Mais Dieu nous reste fidèle, et pour nous sanctifier il n’a besoin que de notre humble disponibilité à l’accueillir.
Nous ne serons pas le disciple modèle que nous aurions aimé être, mais nous pouvons être la faiblesse, la fragilité qui rayonne l’amour de Dieu, la pauvreté transfigurée par la puissance de la grâce. Il faut, et il suffit pour cela, que nous n’ayons plus rien d’autre à offrir à Dieu que cette pauvreté même. Et c’est bien là, les mystiques en témoignent après Jésus, le terme de toute croissance spirituelle : « En tes mains je remets mon esprit. » (Luc 23, 46.). père Yves Raguin