Nous continuons la lecture de la lettre aux Philippiens, cette belle lettre pastorale dans laquelle Paul ouvre son cœur de pasteur aux chrétiens de cette communauté qu’il aime particulièrement et qui le lui rendent bien. Et c’est justement parce qu’il les aime bien qu’il va leur donner quelques conseils pour qu’il continue leur chemin de foi, chemin qu’ils ont si bien commencé. En effet, comme il le disait vers la fin de la lecture, Paul veut pouvoir rester fier du travail qu’accomplit le Seigneur dans cette communauté pour laquelle il est prêt à verser son sang.
Dans la lecture d’aujourd’hui, il y a un conseil qui a retenu mon attention, c’est le premier : Mes bien-aimés, vous qui avez toujours obéi, travaillez à votre salut avec crainte et profond respect ; ne le faites pas seulement quand je suis là, mais encore bien plus maintenant que je n’y suis pas. Ce conseil de Paul qui s’adressait aux Philippiens a retenu mon attention parce qu’aujourd’hui, au-delà des Philippiens, c’est à nous qu’il s’adresse, il est donc essentiel de bien le comprendre. Car il y aurait un contresens très facile à faire et qui a longtemps été fait. On pourrait croire qu’en nous demandant de travailler à notre salut, Paul nous invite à redoubler de sacrifices, de bonnes œuvres pour gagner le Salut qui pourrait nous échapper à cause de nos péchés. Ce n’est évidemment pas la pensée de Paul, il avait durement redressé les Galates qui, après un bon départ dans la foi, avaient fini par croire qu’ils étaient responsables de leur salut et qu’ils devraient le gagner en accumulant toute une série de bons points.
Derrière cette méprise, jadis, comme aujourd’hui, il y a une idée totalement fausse. Nous avons l’impression que la vie chrétienne serait un peu comme un permis à points. A notre Baptême, le Seigneur nous donnerait un certain nombre de points que nous perdrions à chaque mauvaise action. Or, comme nous pensons que nous ne pourrons pas parvenir au Salut si nous ne restituons pas, au terme, l’ensemble des points qui nous ont été confiés, nous faisons tout pour essayer de les récupérer : une confession par ci, une B.A. par là et peu à peu, nous retrouvons les points perdus. Et, en cas de sérieux dérapage, nous faisons un stage intensif de récupération de points, c’est-à-dire que nous décidons de nous imposer de rudes mortifications pendant un temps !
Mais ça, ce n’est pas la vie chrétienne ! Et, quand Paul nous invite à travailler à notre Salut, ce n’est pas une invitation à participer régulièrement à des stages intensifs de récupération de points ! Non, Paul est persuadé que le Salut est offert gratuitement par Dieu, il l’a expérimenté personnellement sur le chemin de Damas. Lui le persécuteur non seulement, il a été gracié et gracié gratis, mais en plus, il a été appelé à devenir l’apôtre des nations. Il en est donc intimement convaincu, le Salut est gratuit, il le proclamera sur tous les tons dans l’épitre aux Romains. Mais alors, que veut-il dire quand il invite les Philippiens et nous, avec eux, à travailler à notre Salut ?
Il me semble que les paroles qui suivent immédiatement le conseil peuvent nous aider à le comprendre : Car c’est Dieu qui agit pour produire en vous la volonté et l’action, selon son projet bienveillant. J’aime bien cette formule : Dieu produit la volonté et l’action. Nous croyons que Dieu nous accompagne pour nous aider à bien agir, mais encore faut-il que nous voulions bien agir ! Eh bien, dit Paul, non seulement Dieu intervient en vous aidant à agir, mais il intervient encore en nous faisant désirer bien agir, en fortifiant notre volonté pour que nous désirions toujours bien agir. Dieu est vraiment merveilleux ! Oui, mais encore faut-il que nous, nous reconnaissions notre pauvreté et que nous le prenions sans cesse à nos côtés. Je crois que c’est ainsi que nous pourrons travailler de manière juste à notre Salut, c’est en reconnaissant notre pauvreté, en arrêtant de fanfaronner, de croire que nous y arriverons par nous-mêmes et qui si nous avons dérapé, nous pourrons regagner, à coups d’efforts, de sacrifices, tout ce que nous avons perdu. Reconnaître notre pauvreté et l’appeler sans cesse pour qu’il travaille à nos côtés en ne mettant aucun obstacle à ce qu’il veut faire en nous, par nous.
Quant à l’Evangile, il nous semble bien exigeant et c’est vrai qu’il l’est, mais ces exigences visent à nous permettre de vivre libres, totalement libres. Jésus commence par évoquer le problème de liens affectifs mal ajustés qui pourraient nous faire perdre notre liberté.
J’aime bien dire que si ce n’est pas derrière Jésus que nous marchons, celui ou celle derrière qui nous marchons n’a pas fini de nous faire marcher !
Le reste de l’Evangile, je le résumerai ainsi : pour mener à bien de grands projets, tel le général qui part en guerre ou celui qui veut construire un grand bâtiment, nous risquons toujours de manquer par contre pour suivre Jésus, nous aurons toujours trop ! Les grands projets demandent souvent d’être retardés pour prendre le temps de la réflexion et trouver les moyens d’acquérir ce qui manque. Par contre, pour suivre Jésus, inutile de retarder notre décision car nous n’aurons jamais fini de nous désencombrer, si nous attendons que ça soit fait pour nous mettre en route, nous ne commencerons jamais ! Mais restons conscients que ça sera le travail de toute notre vie car nous aurons toujours trop pour le suivre, nous serons toujours tentés de mettre notre confiance dans tel ou tel appui matériel, humain.
Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons cette grâce de travailler à notre Salut en nous désencombrant !