Je le disais déjà hier, mais je le redis pour ceux qui sont venus à la Journée pour Dieu : tout au long du temps pascal, nous lirons, dans la première lecture, un extrait du livre des Actes des Apôtres. En introduction de la messe, je disais que cette octave de Pâques nous est donnée pour que nous prenions le temps de déballer et nous approprier cet énorme cadeau que constitue la résurrection de Jésus. Depuis le temps que nous vivons et revivons cet événement dans la liturgie, chaque année, une semaine, c’est bien ! Mais les apôtres, eux qui ont vécu l’événement en direct qui ont participé à la 1° semaine sainte, au premier dimanche de Pâques, il leur aura fallu beaucoup plus de temps pour faire ce chemin spirituel. Il leur aura fallu exactement 50 jours et surtout le don du St Esprit pour que, enfin, tout s’éclaire, tout prenne sens. C’est pourquoi, hier, nous avons commencé à entendre le discours que Pierre a prononcé après la Pentecôte, la première prédication de sa carrière apostolique qui va être un long discours de relecture des événements à la lumière des Ecritures et du don du St Esprit sans qui tout serait resté bien ténébreux.
Aujourd’hui, nous avons entendu la fin de ce discours et nous assistons, ébahis, à la conversion de tant de personnes profondément touchées par la proclamation de Pierre. Pourtant, la prédication de Pierre n’était pas une grande démonstration d’éloquence, il n’a fait que relire tous les évènements liés au mystère pascal en leur donnant du sens. Mais vous avez entendu cette parole si forte : En écoutant Pierre, les auditeurs furent touchés au cœur. Ils ne furent pas touchés d’abord dans leur intelligence, ils furent touchés au cœur. La proclamation de la résurrection de Jésus, l’annonce que la mort n’aura plus le dernier mot, ça touche au cœur ! Et prenons garde, le cœur dans la Bible, ce n’est pas, comme pour nous, d’abord le siège des émotions, non ! Le cœur, dans la Bible, c’est d’abord le lieu où se prennent les décisions. C’est-à-dire que lorsque le livre des Actes mentionne que les auditeurs de Pierre étaient touchés au cœur, ça veut dire que leur vie s’est trouvée, d’un seul coup, réorientée. Autrement dit, la résurrection, non seulement ça change quelque chose dans nos vies, mais elle change nos vies ! Les participants à la journée pour Dieu reconnaitront, là, le thème de leur journée, je n’ai donc pas besoin d’en dire plus !
Voilà pour la 1° lecture, je m’arrête maintenant sur l’Evangile. Vous connaissez la conclusion que tire Jésus du geste d’amour dont il a bénéficié, chez Simon le pharisien, de la part de cette femme pécheresse qui a toutes les chances d’être Marie-Madeleine, c’est ce que dit la grande Tradition, c’est ce que je pense aussi et la retraite que j’ai prêchée à la Ste Baume a renforcé cette conviction par la lecture d’un petit livre de Mgr David Macaire qui fut le prieur de ce couvent des Dominicains et qui est maintenant archevêque de Martinique. Pour conclure ce geste de cette femme pécheresse en qui je vois Marie-Madeleine, Jésus dit : « ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour. » Et il rajoute : « Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. »
J’aime particulièrement cette parole de Jésus parce qu’elle vient remettre les pendules à l’heure ! Nous, nous aimerions que chaque pardon soit un pas de plus vers l’impeccabilité, je prends ce mot au sens littéral, c’est-à-dire vers une vie sans péché. Qu’il ou elle me jette la première pierre, celui ou celle qui n’a jamais rêvé de pouvoir arriver devant son confesseur en lui disant : ce mois, zéro péché ! C’est vrai que pour vous, comme pour moi, c’est humiliant de confesser nos péchés soit parce qu’ils sont trop récurrents, soit parce qu’ils marquent tellement notre éloignement avec notre désir de nous donner toujours mieux. Ce n’est donc pas seulement par orgueil que nous aimerions pouvoir dire : zéro défaut ! Ce n’est pas que par orgueil que nous rêvons d’impeccabilité ! C’est aussi pour que notre témoignage soit plus limpide et cela quel que soit notre état de vie, quelle que soit notre vocation.
S’il y a une chose qui est sûre, c’est que Jésus ne répondra jamais à notre désir d’impeccabilité parce qu’il sait que ça serait un cadeau empoisonné. Ce qu’il attend, c’est que les pardons reçus, les nombreux pardons nous rendent miséricordieux, nous permettent de déployer beaucoup d’amour. Célébrer le sacrement du pardon en vérité, c’est le plus sûr moyen de pouvoir aimer les pauvres qui nous entourent et qui nous font tant souffrir par leurs insuffisances.
Quand je vais célébrer le pardon, si je ne fais pas partie de ces suffisants que le Seigneur, dans le Magnificat, renvoie les mains vides, je dévoile aux yeux du Seigneur mes propres insuffisances, mes pauvretés. Et, à chaque fois, il me faut réentendre cette parole : « tes péchés, tes nombreux péchés, sont pardonnés, puisque tu as montré beaucoup d’amour en vivant cette démarche, mais rappelle-toi toujours que celui à qui on pardonne peu montrera peu d’amour. »
Oui, Marie-Madeleine a montré beaucoup, beaucoup d’amour. On la voit aujourd’hui, en larmes près du tombeau. Il faut beaucoup aimer pour beaucoup pleurer. Elle n’a pas dû avoir beaucoup de répit depuis vendredi, ses larmes ont été ses plus fidèles compagnes. Mais, je souligne encore un autre détail qui nous montre cet amour extraordinaire de Marie-Madeleine à l’égard de Jésus : elle a la chance de voir 2 anges, ce n’est quand même pas rien de voir deux anges ! Vous en voyez tous les jours, vous, des anges ? Je m’excuse, mais, elle, elle s’en fiche des anges, c’est Jésus qu’elle veut ! Alors, après, quand elle voit cet homme qu’elle prend pour le jardinier, elle n’hésite pas une seule seconde : « Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre. » Vous avez entendu : « j’irai le prendre », elle ne doute de rien ! Comment une femme pourrait-elle, toute seule, porter un cadavre inerte ? Il n’y a rien de plus lourd qu’un corps inerte. Mais elle ne doute de rien parce qu’elle sait que l’amour lui donnera des ailes, donc décuplera ses forces. Elle en est tellement persuadée qu’elle est déjà partie pour ne pas perdre une seconde ! Il ne lui a rien dit, elle ne sait pas dans quelle direction chercher, mais elle est déjà partie, elle ne tient plus en place ! La preuve, quand il commence à parler, elle se retourne, signe qu’elle était déjà partie !
Et alors, c’est merveilleux, elle entend son prénom prononcé comme Jésus seul savait le prononcer. Elle avait déjà dû être étonnée de s’entendre appelée « femme » parce que ce mot de « femme » n’était pas une appellation froide, anonyme. « Femme » c’est le si beau nom disant la dignité de l’être féminin dans le livre de la Genèse, c’est tellement vrai que c’est avec ce mot que Jésus appellera souvent sa mère. Alors, à part Jésus, il n’y en a pas beaucoup d’autres qui avaient dû appeler Marie-Madeleine par ce mot si beau de « Femme. » Les hommes devaient lui donner un tas d’autres noms beaucoup moins glorieux ! Alors, de s’entendre appelée « femme » ça avait déjà dû éveiller son attention. Mais, quand, ensuite, elle s’entend appelée « Marie », alors elle comprend. Et sa réponse ne se fait pas attendre : « Rabbouni ! » Cette réponse remplie d’affection ne manque d’aucun respect. Rabbi, en hébreu, c’est maître, c’est avec ce nom respectueux que Marie-Madeleine a choisi de s’adresser à Jésus, mais, pour autant, elle ne lui dit pas rabbi, elle dit « Rabbouni » en y mettant toute son affection. Je suis persuadé que la familiarité de Marie-Madeleine ne choque absolument pas Jésus, ce qui le chagrine, ce sont plutôt nos relations trop guindées, trop distantes, trop convenues avec lui !
Il n’y a aucun manque de respect de la part de Marie-Madeleine, la preuve, c’est qu’elle ne se jette pas à son cou mais à ses pieds ! Comme j’aime le dire en faisant un clin d’œil aux apparitions de Paray-le-Monial, elle se jette à ses pieds qui ont tant aimé le monde, ces sacrés pieds, comme il a un sacré-cœur ! Avec ses pieds, Jésus a fait tant de kilomètres pour aller chercher et sauver ceux qui étaient perdus et Marie-Madeleine en a fait partie de ces personnes perdues qu’il est allé chercher d’abord avec ses pieds. Ainsi donc, quand Jésus lui dit : « Ne me retiens pas, » je ne pense pas un seul instant que Jésus la repousse. Il veut juste lui signifier que, désormais, ce n’est plus à elle de s’occuper de lui, comme elle l’avait fait chez Simon, maintenant, c’est lui qui va s’occuper d’elle et de tous les hommes, car sa résurrection puis son ascension qu’il évoque, lui permettront d’être présent à tous et à chacun, en même temps, ce qu’il ne pouvait pas faire dans sa vie terrestre. Il ne lui interdit pas la relation, mais il commence à l’initier à un autre mode de relation qui sera encore bien plus grand. Et, surtout il lui confie une mission inouïe : devenir l’apôtre des apôtres !
C’est cette pécheresse pardonnée que Jésus choisit pour l’envoyer vers ses apôtres qui sont, dans le moment, des pécheurs en attente de pardon. Ainsi, Jésus voulait signifier que l’évangélisation la plus féconde sera toujours réalisée, non par des témoins impeccables, tentés par l’orgueil et l’auto- suffisance, mais par des pécheurs pardonnés laissant déborder cet amour qu’ils ont reçu sans aucun mérite et qu’ils veulent propager. Puissions-nous être de ceux-là !
inPâquable cette homélie pascale.
Merci !