samedi 10 juillet : 14° semaine ordinaire. Ce n’est pas pour rire que je t’ai aimé !

Dernier épisode dans la grande saga de Joseph qui a nourri notre méditation tout au long de la semaine. Décidément, les frères de Joseph auront été roublards jusqu’au bout puisqu’ils vont inventer un pseudo testament de leur père Jacob. On m’a dit que parfois j’utilisais des mots dont moi seul et les gens de ma région connaissaient le sens ! Si jamais c’était le cas pour roublard, je vous en donne la définition trouvée sur internet : roublard se dit de quelqu’un qui fait preuve d’astuce et de ruse dans la défense de ses intérêts. Oui, ils sont roublards parce que le seul testament de Jacob concernait le lieu de sa sépulture. Il n’avait rien dit au sujet d’un pardon définitif que Joseph devrait donner à ses frères. Mais les frères inventent ce pseudo-testament pour être sûr que la disparition de leur père ne vienne pas perturber Joseph et ne le fasse pas revenir sur son attitude si miséricordieuse à leur égard. Mais Jacob n’a pas eu besoin de dire quelque chose sur ce pardon que Joseph devrait donner de manière définitive parce qu’il n’avait aucun doute sur ce qu’allait faire son fils Joseph.

Avant-hier le père Christian nous a expliqué que Jacob, en bien des points, était comme une figure de Dieu le Père et que Joseph était une préfiguration de Jésus. Nous le voyons bien dans cet épisode. Dieu le Père n’avait aucun doute sur ce que ferait Jésus qui, de fait, sur la croix implore la miséricorde pour ceux qui viennent de le mettre à mort. De la même manière, Jacob avait une confiance totale en son fils Joseph, il était habité par cette certitude qu’il ne reviendrait jamais sur la miséricorde donnée. Du coup, nous comprenons que si Jacob est une figure de Dieu, le Père, Joseph, une figure de Jésus, les frères de Joseph, ils sont un très beau miroir qui nous renvoie notre propre image. Ils ont du mal à croire en la miséricorde de leur frère Joseph, comme nous, nous avons du mal à croire que Jésus puisse nous faire miséricorde toujours et pour tout. Dès que le Malin fait resurgir le souvenir d’un péché passé que nous avons confessé, nous pouvons venir à vite douter : ai-je vraiment été pardonné ? Oui, le Malin aime semer le doute, il aime nous suggérer que Dieu n’est pas si bon que ça, que ce que nous avons fait est trop mal pour qu’il nous pardonne comme ça ou encore que nous ne méritons pas le pardon puisque nous recommençons sans cesse. Nous sommes bien comme les frères de Joseph qui ont du mal à croire en la puissance et en la gratuité de la miséricorde. Mais les frères de Joseph, ils ont des circonstances atténuantes, Joseph n’était qu’une préfiguration de Jésus, nous, nous savons tout ce que Jésus a fait pour nous. Oui, nous le savons, mais il y a tellement de choses que nous savons et qui restent dans notre tête sans descendre dans notre cœur ! J’espère que cette retraite vous aura aidé, et nous avec vous, à faire descendre dans le cœur ce que nous avions dans notre tête pour mieux en vivre et surtout pour goûter combien le Seigneur est bon.

Peut-être qu’au moment où nous allons rentrer, l’exemple de Ste Angèle de Foligno pourrait nous aider. Cette femme italienne vivait dans la 2° moitié du 13° siècle et début 14°. Elle est née dans une famille riche ce qui lui a permis de mener une vie superficielle et même frivole sans jamais avoir besoin de se faire de souci concernant l’argent qui ne lui manquera jamais pour soutenir cette vie mondaine. Subitement convertie, elle voudrait bien se confesser, mais elle n’ose pas avouer toutes ses fautes au confesseur. Alors, elle va continuer à communier, mais en restant tourmentée par ces communions sacrilèges. Elle aura une vision et même une apparition de St François qui vient la soutenir pour qu’elle s’engage dans une conversion exigeante. Du coup, pour se racheter, elle multiplie les austérités, le service aux pauvres. Tout cela étant d’un certain point de vue admirable, mais révélant aussi qu’elle n’arrivait pas à croire à la gratuité de l’amour de Dieu pour elle. Il faudra que Jésus vienne la visiter et lui adresse des paroles très fortes pour qu’enfin elle ose plonger dans l’amour. Un certain nombre de ces paroles sont bien connues, je vous les lis pour qu’elles puissent nous encourager à croire à l’immense amour du Seigneur pour nous et à ne plus jamais en douter. C’était le quatrième jour de la semaine sainte, j’étais plongée dans une méditation sur la mort du Fils de Dieu, et je méditais avec douleur, et je m’efforçais de faire le vide dans mon âme, pour la saisir et la tenir tout entière recueillie dans la Passion et dans la mort du Fils de Dieu, et j’étais abîmée tout entière dans le désir de trouver la puissance de faire le vide, et de méditer plus efficacement. Alors cette parole me fut dite dans l’âme : « Ce n’est pas pour rire que je t’ai aimée. » …

Et d’autres paroles vinrent : « Ce n’est pas pour rire que je t’ai aimée ; ce n’est pas par grimace que je me suis fait ton serviteur ; ce n’est pas de loin que je t’ai touchée ! … Lorsque je vis ces choses, lorsque, je vis de mes yeux la vérité de son amour et les signes de cette vérité, comment il s’était livré tout entier et totalement à mon service, comment il s’était approché de moi, comment il s’était vraiment fait homme pour porter et sentir en vérité mes douleurs ; quand je vis en moi tout le contraire absolument, je crus mourir de douleur. Il me semblait que ma poitrine allait se disjoindre et mon cœur éclater. Et comme j’étais occupée spécialement de cette parole : « Ce n’est pas de loin que je t’ai touchée », il en ajouta une autre, et j’entendis qu’il disait : « Je suis plus intime à ton âme qu’elle-même. » … Ces paroles excitèrent en moi un désir : ne rien sentir, ne rien voir, ne rien dire, ne rien faire qui pût déplaire à Celui qui parlait…

Nous allons partir, nous ne vivrons plus dans ce lieu de grâce où tout semble plus facile, mais nous pouvons transformer chaque Eucharistie en un lieu de grande grâce qui nous permette de vivre ce qu’Angèle de Foligno a vécu dans cette expérience extraordinaire. En effet, de manière toute spéciale, dans l’Eucharistie, Jésus nous redit comme à Angèle : « Ce n’est pas de loin que je t’ai touchée … Je suis plus intime à ton âme qu’elle-même … Ce n’est pas pour rire que je t’ai aimée. » Et même si certains ne peuvent pas communier, ça reste vrai car, dans la messe, il n’y a pas que par la communion que le Seigneur nous touche.

Nous allons partir, mais nous partons avec cette promesse entendue dans l’histoire de Jacob : je marcherai avec toi sur le chemin où tu marcheras, quel que soit ce chemin ! Et cela nous est confirmé dans l’Evangile que nous avons entendu. Je n’ai plus le temps de le commenter dans son ensemble, mais je voudrais juste souligner une parole de Jésus qui est une si belle confirmation de cette promesse, mais hélas cette parole a été si mal traduite qu’on ne peut pas entendre la confirmation de la promesse. Je ne suis pas un spécialiste du grec, mais j’en ai assez fait au séminaire pour comprendre et surtout, j’ai un Nouveau Testament avec le texte grec et la traduction française sous chaque phrase grecque, on appelle ce livre un Nouveau Testament interlinéaire, c’est un outil absolument génial ! Pour nous assurer de l’importance que nous avons aux yeux de Dieu, Jésus dit : « Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. » Et il rajoute : « Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux. » Mais je vous avoue que ça fait des années que ce texte me chagrine et que jamais je n’ai pris le temps d’aller regarder le texte grec. Oui, ça me chagrinait d’entendre que les moineaux tombaient quand Dieu l’avait décidé : « Pas un seul moineau ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. » Ce n’est pas que j’ai une tendresse particulière pour les moineaux, mais ça laisserait entendre que Dieu décide de tout, qu’il tire toutes les ficelles, ce qui est exactement le contraire de ce que je disais hier ! Certaines traductions ont essayé d’arranger ça en disant qu’aucun moineau ne tombait sans que le Père ne le sache. Mais ce n’est guère mieux ! A quoi sert un Dieu qui sait qu’il m’arrive du malheur et qui ne fait rien.

Hier, j’ai donc pris le taureau par les cornes et je suis allé voir le texte grec pour voir ce qui était réellement écrit et là, grande surprise en grec, il n’y a pas de verbe. Il n’est pas dit que Dieu sait ou que Dieu veut que les moineaux tombent, il est dit : aucun moineau ne tombe sans votre Père ! C’est la traduction littérale et elle est tellement belle que je me demande pourquoi les traducteurs se sont sentis obligés de rajouter un verbe. La seule explication que je trouve, c’est que c’est tellement beau, tellement fort ce qui est dit, que les traducteurs ont eu du mal à le croire, alors ils ont un peu adouci la révélation si étonnante, mais hélas, en lui enlevant le côté si percutant. « Aucun moineau ne tombe sans votre Père ! » ça veut dire que Dieu accompagne les moineaux qui tombent. Je le dis encore autrement : il ne laisse aucun moineau tomber seul, il a trop peur que cette chute ne lui apparaisse comme une descente aux enfers, alors il l’accompagne ! Du coup, nous comprenons mieux l’extraordinaire promesse qui est derrière cette parole : si Dieu accompagne la chute des moineaux pour qu’ils ne se fracassent pas, nous qui valons tellement plus que les moineaux, puisque Dieu garde en mémoire même le nombre de nos cheveux, nous n’avons pas d’inquiétude à avoir ! Nous ne tomberons jamais trop bas, tellement bas que les bras de Dieu ne pourraient plus amortir la chute !

Je termine en formulant la remarque qui vous vient peut-être à l’esprit en entendant cela : oui, c’est très beau, mais ce qui serait encore mieux, c’est que Dieu fasse en sorte que nous ne tombions pas ! Mais, ça Dieu ne le peut pas ! Sauf miracle, mais ce genre de miracle n’est pas quotidien, tous les actes que nous posons ont des conséquences sur nous et sur les autres, des conséquences positives ou négatives selon les actes posés. Dieu ne tire pas les ficelles du destin, il ne court pas derrière nous pour réparer les conséquences de nos actes mauvais, mais sa Providence nous accompagne et nous ne tomberons pas sans Lui, c’est-à-dire qu’il ne nous abandonnera pas en nous disant : bien fait, tu l’avais cherché. Nous ne tomberons jamais trop bas pour ne pas tomber dans ses bras qui sont déjà prêts à nous enlacer dans une accolade de miséricorde qui nous permettra de nous relever et de repartir. Il est évident que je n’ai parlé là que des chutes qui sont conséquences de nos actes mauvais ou des actes mauvais des autres qui ont des conséquences sur nous. Reste toute la question de la maladie, du handicap qui peut aussi nous faire tomber sans que nous n’y soyons pour rien, mais là c’est le grand mystère du mal et de la souffrance que Jésus n’est pas venu expliquer mais habiter par sa présence pour que nous n’ayons jamais à le traverser seuls.

Laisser un commentaire