Le texte d’évangile de ce dimanche fait partie des plus exigeants à entendre et surtout à vivre. J’ai reçu par Youpray ce commentaire du père Cantalamessa que nous avions accueilli dans le diocèse pour la grande fête de Pentecôte 2012. Comme d’habitude, son commentaire est lumineux !
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 6, 27-38) En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples : « Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique. Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants. Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. » |
Méditation du père Raniero Cantalamessa L’Évangile de ce dimanche renferme une sorte de code moral qui doit caractériser la vie du disciple du Christ. Le tout se résume dans la fameuse « règle d’or » de la conduite morale : « Tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux ». Cette règle, si elle était appliquée, suffirait à elle seule à changer le visage de la famille et de la société dans laquelle nous vivons. L’Ancien Testament la connaissait sous sa forme négative : « Ne fais à personne ce que tu n’aimerais pas subir » (Tb 4, 15) ; Jésus la propose sous sa forme positive : « Faire aux autres tout ce que nous voudrions qu’ils fassent pour nous », qui est beaucoup plus exigeante. Mais ce passage de l’Évangile porte aussi son lot d’interrogations. « A qui te frappe sur une joue, présente encore l’autre ; à qui t’enlève ton manteau, ne refuse pas ta tunique. A quiconque te demande, donne, et à qui t’enlève ton bien ne le réclame pas… ». Jésus ordonnerait-il donc à ses disciples de ne pas s’opposer au mal, de laisser faire les violents ? Comment cette vision est-elle conciliable avec l’exigence de combattre l’arrogance et le crime, et de dénoncer tout cela avec fermeté, au prix même des risques encourus ? Que dire de la « tolérance zéro », aujourd’hui invoquée par certains face à l’augmentation de la micro criminalité ? Non seulement l’Évangile condamne cette exigence de légalité, mais elle la renforce. Il y a des situations où la charité n’exige pas de tendre l’autre joue, mais d’aller tout droit à la police pour dénoncer le fait. La règle d’or, qui vaut pour tous les cas, nous l’avons entendu, c’est de faire aux autres ce que nous voudrions qu’ils fassent pour nous. Si vous, par exemple, étiez victime d’un vol ou d’un chantage, ou que quelqu’un vous rentre dedans et emboutisse votre voiture, vous seriez certainement contents de voir que celui qui a assisté au fait est prêt à aller témoigner en votre faveur. Et bien c’est ce que l’Évangile vous demande de faire, au lieu de vous réfugier toujours derrière cette phrase : « Je n’ai rien vu, je ne sais rien ». Le crime prospère car il est couvert par la peur et le silence. Mais prenons les paroles de l’Évangile de demain, qui sont en quelque sorte plus dangereuses : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés ». Est-ce à dire que l’impunité a la voie libre ? Et que dire alors des magistrats qui font les juges à plein temps, par profession ? Que l’Évangile les condamne dès le départ ? L’Évangile n’est pas si naïf ou si irréaliste qu’on pourrait le penser à première vue. Ce qu’il nous ordonne ce n’est pas tant de bannir tout esprit de jugement de notre vie, mais plutôt de bannir de notre jugement le venin qui est en lui! C’est-à-dire, cette partie de hargne, de refus, ou de vengeance qui se mélange souvent à l’évaluation objective des faits. Le commandement de Jésus : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés » est immédiatement suivi, nous l’avons vu, par le commandement : « Ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés » (Lc 6, 37). La seconde phrase sert à expliquer le sens de la première. La Parole de Dieu bannit ces jugements « sans pitié », sans miséricorde. C’est une pratique qui, avec le péché, condamne sans appel les pécheurs. A juste titre, la conscience du monde civil rejette aujourd’hui, presque à l’unanimité, la peine de mort, reconnaissant qu’il s’agit davantage d’un acte de vengeance de la part de la société, que d’un réel souci de se défendre ou d’une manifestation de dépit face au crime, auquel on pourrait d’ailleurs répondre, non moins efficacement, par d’autres types de peine. Et il n’est d’ailleurs pas rare, dans ce cas-là, qu’une personne soit exécutée à la place de celle qui a vraiment commis le crime et qui entre temps, s’est repentie et a radicalement changé ! |